Les Archives nationales rendent publics des milliers de documents sur l’assassinat de John F. Kennedy

Le 15 décembre, l’US National Archives and Records Administration [Administration des archives nationales américaines] a mis en ligne une cache de 13.173  documents, provenant en grande partie de la Central Intelligence Agency, relatifs à l’assassinat du président John F. Kennedy, le 22  novembre 1963.

Le président John F. Kennedy dans un cortège avec sa femme, Jacqueline Kennedy. [Photo: Abbie Rowe, National Park Service] [Photo: Abbie Rowe, National Park Service]

Ces documents jusque là non accessibles ont été rendus publics sur ordre du président Joe Biden, en conformité tardive avec une loi adoptée par le Congrès en 1992. Celle-ci exigeait que le gouvernement rende publics tous les documents concernant l’assassinat et l’enquête subséquente avant octobre 2017. La loi comportait une réserve permettant à un président en exercice de reporter la publication de documents relatifs à JFK s’ils pouvaient compromettre les «sources et méthodes» du renseignement américain ou nuire directement aux intérêts vitaux de la politique étrangère américaine.

La CIA et d’autres agences d’État américaines ont longtemps cherché à bloquer ou à limiter la publication des documents, et le président Donald Trump a invoqué des raisons de sécurité nationale pour retarder leur publication, prévue en 2017. En 2018, Trump a cependant autorisé la divulgation de 19.045  documents, dont les trois quarts environ contenaient des suppressions.

En 2021, Biden a invoqué la pandémie de COVID-19 pour justifier le report d’une nouvelle divulgation de documents. Dans un mémo publié le 15 décembre, la Maison-Blanche a déclaré qu’elle l’autorisait dans l’intérêt de la «transparence», puis ajouta qu’elle ferait des exceptions «lorsque les raisons les plus fortes possibles conseillent le contraire».

En fait, le gouvernement retient toujours quelque 3.000  documents à la demande des Archives nationales et d’«autres agences», qui auront jusqu’en mai 2023 pour les examiner. Après cela, «toute information soustraite au discours public et dont les agences ne recommandent pas le report continu» sera rendue publique avant le 30  juin 2023.

Autrement dit, les documents considérés comme particulièrement sensibles continueront d’être soustraits à la vue du public.

Les événements de la fin novembre 1963 ont marqué un tournant dans l’histoire américaine et ont joué un rôle majeur et continu dans l’érosion de la confiance et du soutien de la population envers le système politique américain. Des millions de gens ont regardé les images du président Kennedy, tué par des coups de feu qu’on aurait tirés depuis le Dallas Book Depository Building lorsque la limousine présidentielle, décapotée, traversait Dealey Plaza le 22  novembre 1963.

En l’espace de quelques heures, Lee Harvey Oswald était arrêté pour le meurtre d’un policier de Dallas et peu après il était accusé pour l’assassinat de Kennedy. Deux jours plus tard, en direct à la télévision, Oswald fut abattu par Jack Ruby, propriétaire d’une boîte de nuit locale, alors que la police escortait l’assassin présumé dans le sous-sol du quartier général de la police de Dallas.

Le rapport officiel de la Commission Warren, qui a conclu en 1964 que le meurtre de Kennedy était l’œuvre d’un assassin isolé, Oswald, qui avait agi seul, et qu’il n’y avait pas de conspiration a été largement, et à juste titre, considéré à l’époque comme un camouflage. Cette perception du public n’a pas changé avec le temps. Un sondage d’opinion commandité par le site américain FiveThirtyEight en 2017 a révélé que seul un tiers des Américains croyait à l’histoire officielle selon laquelle Oswald était seul responsable.

En fait, la propre biographie d’Oswald, ses relations et ses actions ont depuis le début pointé vers une complicité de la CIA, ou d’éléments en son sein. L’ancien marine et transfuge soviétique en puissance, qui était actif tant dans les milieux pro-castristes que ceux de droite et qui, en septembre 1963, s’était rendu à l’ambassade soviétique au Mexique pour obtenir un visa pour Cuba, avait été suivi de près par la CIA depuis la fin des années  1950.

Les historiens, les journalistes et les spécialistes de Kennedy viennent tout juste de commencer à examiner les documents nouvellement publiés, et le World Socialist Web Site entend les examiner attentivement dans les jours à venir ; mais ce que l’on sait déjà du contenu des dossiers montre clairement que l’élimination de Kennedy, en dépit de ses qualifications impérialistes et de guerre froide, fut une opération d’État.

L’assassinat a eu lieu au milieu d’âpres conflits opposant la Maison-Blanche de Kennedy à la CIA et à l’état-major militaire, suite au fiasco de l’invasion de Cuba par la Baie des Cochons en 1961 et de la crise des missiles de Cuba en 1962. À la suite de cette débâcle, Kennedy avait renvoyé Allen Dulles, alors chef de la CIA, qu’on a néanmoins nommé à la Commission Warren.

Le Washington Postcite Jefferson Morley, un ex-rédacteur du Postet actuel vice-président de la Fondation Mary Ferrell, qui a intenté un procès au gouvernement Biden en octobre pour le retard dans la publication du document faisant référence à un document de 15  pages datant de 1961, adressé par Arthur Schlesinger Jr. à Kennedy et intitulé «Mémo au Président Réorganisation de la CIA». Ce document avait été précédemment rendu public par les Archives nationales sous forme expurgée.

Le journal cite ainsi Morley: «Ce que la CIA a caché», c’est si elle avait un «intérêt opérationnel pour Oswald» au moment de l’assassinat de Kennedy.

Selon des articles de la presse, l’objectif de la communication des documents est le «dossier de personnalité» de 80  volumes de la CIA sur Oswald, que l’agence dit avoir commencé à compiler en décembre 1960, près de trois ans avant le meurtre de Kennedy et suivant la défection ratée d’Oswald en Union soviétique en 1959. Le dossier compterait plus de 50.000  pages. La Commission Warren n’a jamais reçu de dossier complet de la CIA sur Oswald, pour des raisons qui restent inexpliquées.

Plusieurs des documents déclassifiés de la CIA concernent le voyage d’Oswald à Mexico quelques semaines avant le meurtre de Kennedy où, selon les rapports de la CIA, Oswald a pris contact avec des espions soviétiques et cubains, y compris un prétendu spécialiste des assassinats du KGB. Pourtant, la CIA, les services secrets et d’autres agences ont permis au cortège de Kennedy de passer, le couple présidentiel en pleine vue de tous, devant la ligne de feu de l’immeuble où travaillait Oswald.

Un autre document, cité par Politico, concerne George Joannides qui a servi de liaison entre la CIA et une commission spéciale de la Chambre dans les années  1970, chargée de réexaminer le meurtre de Kennedy. L’agence n’a jamais révélé aux députés que Joannides avait dirigé pendant le gouvernement Kennedy des opérations d’espionnage pour renverser Castro, ce qui le mettait en lien étroit avec les forces anti-Castro qui reprochaient à Kennedy l’échec de l’invasion de la Baie des Cochons.

Politico cite également un mémo interne de la CIA daté de février 1964, déclassifié des décennies plus tard. Il montre que l’agence savait qu’au moins 37  documents avaient disparu du dossier lorsqu’il avait été examiné dans les jours qui ont suivi l’assassinat. Ceux-ci comprenaient des documents relatifs à Oswald que le FBI et le département d’État avaient partagés avec la CIA.

Malgré les nombreuses preuves d’une implication de l’État dans l’assassinat de Kennedy, les médias bourgeois ont toujours cherché à discréditer ceux qui critiquaient le rapport Warren, qu’ils qualifient de «théoriciens du complot». C’est toujours un thème dominant de leurs articles sur la publication des documents la semaine dernière, de même que l’affirmation que les récentes publications ne perturberont pas le récit de la Commission Warren.

Le Guardianécrit que «la masse de documents occupera les obsédés de l’assassinat de JFK pendant des mois», ajoutant que «peu d’entre eux s’attendent cependant à trouver des bombes dans tout ce tas». Le journal se plaint que les reports répétés de la publication de ces documents avaient « permis aux théories du complot de proliférer».

CNN cite ainsi Larry Sabato, auteur de «Le demi-siècle Kennedy: la présidence, l’assassinat et l’héritage durable de John F. Kennedy»: «La vérité n’est pas qu’Oswald faisait partie d’une conspiration pour tuer Kennedy… La vérité est que cet assassinat était évitable et aurait pu être évité…»

Le New York Timeslui, cite Mark S. Zaid, un avocat de Washington qui a mené des affaires de liberté d’information sur l’assassinat de Kennedy : «Il n'y aura pas de preuve irréfutable. Il n'y aura rien qui fera pencher la balance d'un côté ou de l'autre».

(Article paru d’abord en anglais le 17  décembre2022)

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