Lors de sa dernière réunion lundi, la commission spéciale de la Chambre sur l’attaque du Capitole du 6 janvier 2021 a voté à l’unanimité pour transmettre quatre accusations criminelles contre Donald Trump au ministère américain de la Justice pour enquête.
C’est la première fois dans l’histoire américaine qu’un ex-président est formellement accusé d’actes criminels. S’il est poursuivi et reconnu coupable, Donald Trump risque une longue peine de prison ainsi que l’interdiction d’exercer à nouveau une fonction publique.
Les quatre chefs d’accusation retenus contre Trump sont: l’incitation et l’aide à une insurrection; l’obstruction à une procédure fédérale (la certification de l’élection par le Congrès le 6 janvier); le complot visant à spolier le gouvernement fédéral; et le complot visant à produire de fausses déclarations (en faisant remplir par de faux électeurs des déclarations selon lesquelles leurs États les avaient effectivement choisis).
Dans un passage particulièrement frappant, le résumé du rapport accompagnant la recommandation de poursuites expose les plans de Trump pour se mettre à la tête de la foule de ses partisans et entrer dans le Capitole le 6 janvier. Cela ne fut empêché que par l’opposition de ses gardes des services secrets, qui estimaient trop dangereux de le laisser quitter la Maison-Blanche pour rejoindre une foule armée :
[L]e président avait en fait l'intention de participer personnellement aux efforts du 6 janvier au Capitole, en dirigeant la tentative de renverser l'élection depuis l'intérieur de la Chambre des représentants, depuis une scène à l'extérieur du Capitole, ou d'une autre manière... Il ne fait aucun doute, au vu de toutes les preuves rassemblées, que le président Trump avait cette intention.
L’ouverture d’une procédure pénale démontre que la crise politique s’aggrave aux États-Unis au lieu de s’atténuer. Cela se produit en dépit d’affirmations contraires de la Maison-Blanche de Biden et d’analystes médiatiques complaisants, suite à une élection de mi-mandat au cours de laquelle les négationnistes qui soutenaient Trump ont été battu dans de nombreuses joutes électorales très médiatisées.
Trump et ses partisans au Congrès et au Parti républicain ont immédiatement dénoncé la recommandation de poursuites et les autres actions demandées par le Commission, notamment le renvoi de quatre membres républicains du Congrès devant la commission d’éthique de la Chambre, pour avoir refusé d’obéir aux citations à témoigner sur les événements du 6 janvier.
Une majorité des républicains qui prendront le contrôle de la Chambre des représentants le 3 janvier 2023 ont voté il y a deux ans pour ne pas certifier la victoire de Biden. Le chef des républicains de la Chambre, Kevin McCarthy, a déclaré qu’il ouvrirait une enquête, non pas sur l’insurrection mais sur la commission, dès le début de la nouvelle session.
La vice-présidente et principale responsable de la commission, la républicaine Liz Cheney (Wyoming), a semblé reconnaître la persistance de tensions explosives lorsqu’elle a entamé la dernière session. Elle a rappelé que son arrière-grand-père avait combattu dans l’armée de l’Union pendant la guerre de Sécession pour défendre la structure constitutionnelle des États-Unis. Cette structure est toujours en place, a-t-elle affirmé, car tous les présidents américains ont transmis pacifiquement le pouvoir à un successeur élu, à l’exception d’un seul: Donald Trump. L’implication claire de ses commentaires était que les États-Unis sont confrontés à la menace d’une guerre civile.
Cheney elle-même quitte le Congrès après avoir été battue par un partisan de Trump à une primaire républicaine. Trois autres membres de la commission ont choisi de ne pas se représenter ou ont été battus, ce qui signifie que seuls cinq des neuf membres ayant voté pour la recommandation de poursuites lundi, seront effectivement au Congrès dans deux semaines.
La commission elle-même sera dissoute après avoir publié son rapport final mercredi. Lundi, on a rendu public le résumé exécutif et des milliers de pages de transcriptions de dépositions et d’autres preuves. Ils furent remis au ministère américain de la Justice où on a chargé un procureur spécial, Jack Smith, de l’enquête.
La recommandation de poursuites ne se limite pas à Trump, mais désigne plusieurs de ses conseillers juridiques ainsi que l’ex-chef de cabinet de la Maison-Blanche Mark Meadows et l’ex-responsable du ministère de la justice Jeffrey Clark, comme cibles potentielles de poursuites. La recommandation suggère également que d’autres crimes, en plus des quatre énumérés contre Trump, ont été commis, mais laisse au DOJ le soin de déterminer quelles charges doivent être retenues et contre qui.
Jack Smith a été nommé il y a un mois par le procureur général Merrick Garland dans le but de séparer le gouvernement Biden des conséquences politiques d’une décision de poursuivre ou d’annuler les poursuites contre Trump et d’autres hauts collaborateurs. Il n’est pas tenu de donner suite à la recommandation pénale de la commission.
Le point central de la dernière audience d’une heure et du résumé de 154 pages était le rôle personnel de Trump, à l’exclusion de tout examen des racines sociales et politiques de la crise qui a tourné à la violence le 6 janvier, et même des actes des institutions du gouvernement américain, avant tout l’armée et les agences de renseignement.
«Ces preuves ont conduit à une conclusion primordiale et directe: la cause centrale du 6 janvier était un homme, l’ancien président Donald Trump, que beaucoup d’autres ont suivi», déclare le résumé exécutif. «Aucun des événements du 6 janvier ne se serait produit sans lui».
Il ne fait aucun doute que Trump était le centre, mais il n’était pas seulement le chef d’une conspiration fasciste. Il était aussi le chef du Parti républicain et le commandant en chef d’une vaste machine militaire et de renseignement. Aucun compte rendu de ce qui s’est passé avant et pendant la toute première tentative d’un président américain d’annuler sa propre défaite électorale ne peut ignorer cette réalité.
Mais depuis le début, la mission de la commission du 6 janvier a été de dissimuler le rôle de l’État capitaliste et du Parti républicain tout en se concentrant sur Trump l’individu et ses complices non gouvernementaux dans le complot, les avocats et les agents politiques. Ces derniers ont à leur tour entretenu les liens de Trump avec un milieu fasciste qui comprend des groupes armés, comme les Proud Boys et les Oath Keepers, ayant participé à l’assaut violent sur le Capitole.
Ce camouflage était l’intention de la présidente de la Chambre Nancy Pelosi, lorsqu’elle a mis en place la commission spéciale de la Chambre et fut adopté par Liz Cheney, la fille de Dick Cheney, l’ex-vice-président et criminel de guerre non inculpé. Tous deux sont d’ardents défenseurs de l’appareil militaire et de renseignement.
Pour cette raison, la commission n’a jamais abordé publiquement les raisons pour lesquelles le Pentagone avait retardé de 199 minutes l’envoi de la Garde nationale pour protéger le Capitole. Cela après que des responsables du Congrès et de la police le lui aient demandé, alors que la horde se déchaînait dans le Capitole. Le général à la retraite William Walker, qui dirigeait alors la garde nationale de Washington, n’a jamais été appelé à témoigner publiquement pour discuter ses demandes répétées au Pentagone d’être autorisé à envoyer des troupes.
La commission n’a pas non plus exploré les raisons pour lesquelles les services de renseignement et les forces de l’ordre n’étaient pas préparés à l’avance alors qu’ils disposaient de nombreuses preuves de l’existence de plans pour une attaque violente le 6 janvier, dont l’occupation du Capitole. Au lieu de quoi le résumé fait valoir que les événements spécifiques du 6 janvier n’auraient pu être anticipés, comme l’appel soudain et prétendument «non scénarisé» de Trump à ses partisans de marcher du rassemblement devant la Maison-Blanche jusqu’au Capitole, et sa promesse de les accompagner.
Une autre institution clé apparemment «hors limites» pour la commission était la Cour suprême des États-Unis. Au moins deux juges étaient directement liés aux organisateurs du coup d’État. L’épouse du juge Clarence Thomas, Virginia «Ginni» Thomas, est une militante républicaine de longue date ayant joué un rôle majeur dans la promotion de certains aspects du coup d’État électoral de Trump, notamment les efforts visant à inciter les législateurs des États à renverser les électeurs choisis par leur État.
Le juge Samuel Alito de la Cour Suprême devait émettre un sursis judiciaire sur la certification des votes électoraux par le Congrès si le vice-président Mike Pence ne suivait pas l’ordre de Trump de perturber le processus en refusant d’accepter les votes électoraux d’États clés «disputés» comme l’Arizona et la Pennsylvanie. Le juge d’ultra-droite s’est retenu de prendre une décision, regardant la foule attaquer, puis a permis à la proposition de devenir caduque après que Trump ait dit à ses partisans fascistes de rentrer chez eux.
Le résumé exécutif déclare correctement que Trump «croyait alors, et continue de croire maintenant, qu’il est au-dessus de la loi, non lié par notre Constitution et ses contrôles explicites de l’autorité présidentielle».
Le résumé ajoute: «Si le président Trump et les associés qui l’ont aidé dans un effort pour renverser le résultat légal de l’élection de 2020, ne sont finalement pas tenus pour responsables devant la loi, leur comportement peut devenir un précédent et une invitation au danger pour les élections futures… Un échec à les tenir responsables maintenant peut finalement conduire à de futurs efforts illégaux pour renverser nos élections, menaçant ainsi la sécurité et la viabilité de notre République».
Mais contre cette menace de dictature, les démocrates et les républicains de la commission n’offrent rien d’autre qu’une théorie du «méchant». La démocratie américaine serait un jardin fleuri si seulement Trump le serpent n’avait pas arrêté un instant, pour s’y glisser, ses entreprises d’escroquerie immobilière et de télé-réalité à Manhattan.
La réalité est que la menace d’un régime autoritaire émerge organiquement de la crise du capitalisme américain et mondial où une infime minorité de super-riches voit sa domination de la société confrontée à un défi croissant venu d’en bas.
L’élite dirigeante, agissant par l’intermédiaire des partis républicain et démocrate, ses deux principaux instruments politiques, s’est engagée dans une course à la guerre à l’extérieur et à la répression à l’intérieur: les conflits de plus en plus incendiaires avec la Russie et la Chine et l’utilisation de l’État capitaliste contre la classe ouvrière à l’intérieur du pays, comme dans l’action bipartisane du Congrès visant à interdire une grève des cheminots.
Le gouvernement Biden a cherché assidûment à se distancer des actions de la commission ; il a donné l’accolade aux complices de conspiration de Trump au Parti républicain comme à des «collègues» dont le soutien est nécessaire à la poursuite de la guerre à l’étranger.
(Article paru d’abord en anglais le 20 décembre 2022)