Mardi, la Cour suprême des États-Unis a rendu une ordonnance prolongeant la politique fédérale connue sous le nom de Titre 42 qui empêche la plupart des migrants frontaliers de déposer des demandes d’asile. Cet arrêté est cruel envers les centaines de milliers de personnes qui cherchent refuge à la frontière entre les États-Unis et le Mexique et donne un feu vert aux gouverneurs fascistes des États républicains qui usurpent l’autorité fédérale en matière de politique d’immigration.
C’est à la fois un acte de barbarie – le Titre 42 a été utilisé pour expulser plus de 2 millions de migrants depuis 2020 – et une nouvelle manifestation de la crise politique qui s’aggrave aux États-Unis. Les conflits au sein de l’élite dirigeante menacent d’exploser en guerre ouverte, que ce soit dans la rue, comme le 6 janvier 2021, ou par le biais des gouvernements des États qui défient la Constitution américaine et cherchent à affirmer un pouvoir indépendant pour opprimer et persécuter les travailleurs immigrés.
Le Titre 42 – une disposition de la Loi sur la santé publique vieille de 80 ans – a été invoqué par le président Trump en mars 2020, à l’instigation de son conseiller fasciste Stephen Miller, qui était chargé de la politique d’immigration à la Maison-Blanche. Miller avait profité de la pandémie de COVID-19, non pas pour protéger la population américaine d’un virus mortel, mais pour s’en servir de prétexte à une nouvelle répression des immigrants à la frontière sud.
En vertu du Titre 42, les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) peuvent interdire l’entrée des migrants sur le territoire américain si on les soupçonne d’être porteurs d’une maladie transmissible. On n’avait jamais encore appliqué cette disposition à tous les immigrants, quel que soit leur pays d’origine. Et avant le gouvernement Trump, le Titre 42 n’avait jamais été utilisé comme arme pour une politique de restriction de l’immigration.
Comme dans d’autres domaines politiques majeurs, l’administration Biden a poursuivi la guerre contre les immigrants lancée par Trump, notamment en utilisant le Titre 42 pour bloquer à la frontière les migrants qui cherchaient à déposer des demandes d’asile. Au cours des deux dernières années, sous les démocrates supposés plus bienveillants, la patrouille frontalière américaine et l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) ont agi avec la même brutalité que sous Trump, en utilisant beaucoup des mêmes armes.
L’afflux massif à la frontière sud, avec plus de 2,4 millions d’immigrants détenus par les autorités américaines au cours des deux dernières années, est dû à l’aggravation de la crise du capitalisme mondial, et non à un accueil plus chaleureux de Biden par rapport à Trump.
L’aggravation de la pauvreté et de l’oppression en Amérique centrale et en Haïti, opprimés et exploités depuis plus d’un siècle par l’impérialisme américain, sont des forces motrices majeures. Un facteur supplémentaire cette année est l’afflux massif de réfugiés en provenance du Venezuela et maintenant du Nicaragua, sous l’impact des sanctions économiques américaines qui ont visé les deux régimes (qui n’ont pas d’accords de rapatriement avec Washington, une exigence juridique pour utiliser le Titre 42 contre les demandeurs d’asile).
Les mêmes facteurs sont à l’œuvre en Europe, où des réfugiés d’Afrique et du Moyen-Orient, fuyant les guerres impérialistes et l’effondrement de sociétés entières qui en résulte, cherchent refuge. Il s’agit notamment de millions de personnes originaires d’Afghanistan, d’Irak, de Syrie, de Libye et d’autres pays visés par les bombes et les missiles américains et les troupes américaines ou celles mandatées par les États-Unis, ainsi que des victimes similaires de l’impérialisme britannique et français.
Aux États-Unis, les gouverneurs des États républicains exploitent la crise frontalière en cherchant à attiser la peur et la haine des immigrants dans le cadre de l’évolution du Parti républicain vers le fascisme. Ils exploitent la crise frontalière à la fois pour saper politiquement le gouvernement Biden et pour affirmer l’autorité de leurs États d’une manière qui défie de manière flagrante la Constitution américaine, qui affirme que la politique frontalière et son application sont réservées au gouvernement fédéral.
Le Titre 42 a constitué un casse-tête juridique pour le gouvernement Biden. Alors qu’il utilisait cette mesure comme une arme contre les immigrants, l’invocation de motifs de santé publique pour l’exclusion des réfugiés s’inscrivait dans le cadre de son effort plus large visant à lever toutes les mesures d’atténuation du COVID-19 et à déclarer la pandémie terminée, afin que les profits des entreprises puissent reprendre à plein régime, quelles que soient les conséquences pour les travailleurs.
Au printemps dernier, le CDC a déclaré que le COVID-19 ne représentait plus un danger qui pouvait justifier les mesures du Titre 42. Le gouvernement Biden a préparé un passage à d’autres méthodes de restriction de l’immigration, mais les procureurs généraux des États républicains ont intenté une action en justice contre le ministère de la Sécurité intérieure, qui supervise la politique d’immigration américaine, et ont obtenu une décision de justice temporaire pour bloquer la levée du Titre 42.
Un procès distinct intenté par les familles de migrants pris dans la répression du Titre 42 a conduit à une injonction d’un autre tribunal, fixant au 21 décembre 2022 la date de fin du Titre 42. Les gouvernements des États républicains ont cherché à intervenir dans ce procès, contre les migrants.
Les défenseurs des migrants ont souligné l’hypocrisie cynique des États républicains: sur les 19 États qui affirment que la pandémie continuait à rendre l’exclusion des migrants nécessaire, 12 poursuivaient le gouvernement fédéral pour lever toutes les restrictions de santé publique au motif que la pandémie était terminée.
Les décisions de justice contradictoires ont donné à la Cour suprême l’occasion d’intervenir par une action manifestement partisane et anticonstitutionnelle, en prenant le parti des gouverneurs républicains contre l’administration Biden. La Cour a fixé une audience pour les arguments fin février ou début mars pour déterminer si les États ont le droit de poursuivre le gouvernement fédéral sur cette question. Cela retarde toute levée du Titre 42 jusqu’à une décision de la haute cour, qui pourrait être rendue aussi tard que fin juin.
Entre-temps, le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a effectivement usurpé le pouvoir d’élaborer la politique d’immigration, déployant la Garde nationale du Texas pour installer des clôtures en fil de fer barbelé le long de la frontière mexicaine dans la région d’El Paso, foyer actuel d’entrée des migrants aux États-Unis. Des soldats arrêtent les immigrants qui tentent de traverser, séparant les hommes des femmes et des enfants, et envoyant les hommes à l’autre bout de l’État pour qu’ils soient jugés pour entrée illégale, condamnés et envoyés en prison. Une fois qu’ils auront purgé leur peine, ils seront remis à l’ICE pour être expulsés. Tout cela est manifestement inconstitutionnel et illégal, en plus d’être cruel et impitoyable.
Le président Biden pourrait mettre fin à cette anarchie frontalière en une minute, en fédéralisant simplement la Garde nationale du Texas, une procédure appliquée régulièrement pendant les guerres en Afghanistan et en Irak, et utilisée par une succession de gouvernements dans les années 1950 et 1960, républicains et démocrates, pour faire respecter l’intégration raciale contre la résistance des gouverneurs démocrates racistes du sud qui cherchaient à défendre la ségrégation. Biden ne le fait pas, en partie parce que lui et Abbott sont d’accord sur la politique fondamentale consistant à fermer hermétiquement la frontière entre les États-Unis et le Mexique et à bloquer les immigrants, et en partie parce qu’ils ne sont pas certains qu’un ordre de fédéralisation de la Garde nationale serait respecté.
La Maison-Blanche a publié une déclaration brève et peu convaincante en réponse à l’arrêt de la Cour suprême, qui indique que le gouvernement s’y conformerait «tout en faisant avancer nos préparatifs pour gérer la frontière de manière sûre, ordonnée et humaine, lorsque le Titre 42 sera finalement levé…»
Le président, en vacances dans les îles Vierges, a déclaré aux journalistes: «La Cour ne va pas se prononcer avant le mois de juin, apparemment, et en attendant, nous devons l’appliquer.»
Les juges de droite qui composent la majorité de 5 contre 4 dans la décision de la Cour suprême ont publié leur décision sans commentaire. Mais l’opinion dissidente, rédigée par le juge de droite Neil Gorsuch, avec l’accord du juge libéral Ketanji Brown Jackson, a souligné que la majorité de la cour ne répondait à aucune véritable urgence de santé publique.
«La crise frontalière actuelle n’est pas une crise du COVID», a écrit Gorsuch. «Et les tribunaux ne devraient pas avoir pour mission de perpétuer des édits administratifs conçus pour une urgence uniquement parce que les élus n’ont pas réussi à répondre à une autre urgence. Nous sommes une cour de justice, pas des décideurs politiques de dernier recours».
Ceci, bien sûr, n’est pas vrai. La Cour suprême, comme toutes les institutions politiques du gouvernement américain, est un instrument de l’oligarchie financière américaine pour faire respecter ses intérêts. Elle agit comme une dernière ligne de défense pour les sociétés américaines contre toute demande populaire de réforme ou de redistribution des richesses. Elle a joué un rôle particulièrement nocif au cours des dernières décennies en tant que fer de lance d’un assaut systématique contre les droits démocratiques. Le point culminant dans cet assaut était la décision Dobbs de juin dernier abrogeant la décision de «Roe contre Wade» et permettant aux États de criminaliser l’avortement.
La défense des droits des immigrés, et de tous les droits démocratiques, ne peut être menée à bien par des appels à l’une des institutions politiques de la classe capitaliste, y compris le Parti démocrate et le gouvernement Biden. Elle nécessite la mobilisation de la classe ouvrière en tant que force politique indépendante, organisée et dirigée par son propre parti révolutionnaire et luttant pour un programme socialiste.
Un tel programme comprend la défense du droit de tous les travailleurs à vivre et à travailler dans le pays de leur choix, et de se déplacer librement sans tenir compte d’anachronismes historiques tels que les frontières et les États-nations. Le programme de lutte de la classe ouvrière doit être basé sur l’internationalisme, l’unité des travailleurs de tous les pays dans une lutte commune contre le système capitaliste mondial.
(Article paru en anglais le 29 décembre 2022)