Depuis plus d’un an, les sous-variants de la «soupe à l’alphabet» Omicron ont vu une myriade de sous-descendants émerger et disparaître rapidement, donnant lieu à des vagues d’infections successives. XBB.1.5, la dernière itération du variant en question, a attiré l’attention des autorités sanitaires, des épidémiologistes et de la presse mondiale.
Lors de la conférence de presse de l’Organisation mondiale de la santé la semaine dernière, la scientifique principale, la Dre Maria Van Kerkhove, a qualifié XBB.1.5 de «sous-variant Omicron le plus transmissible détecté à ce jour».
Elle a ajouté: «Nous nous attendons à de nouvelles vagues d’infection dans le monde, mais cela n’a pas à se traduire par de nouvelles vagues de décès car nos contre-mesures continuent de fonctionner». Ce que cette affirmation optimiste cache, c’est que XBB.1.5 entraînera davantage d’infections et de réinfections, que celles-ci inonderont les systèmes de santé et que des personnes mourront inutilement.
En outre, si l’on permet au SRAS-CoV-2 de poursuivre sa course sans être gêné par le moindre effort des organismes de santé nationaux et internationaux pour mettre fin à la pandémie, le virus continuera de muter génétiquement d’une manière qui lui permettra d’échapper à l’immunité actuelle de la population et pourrait évoluer potentiellement vers une forme plus pathogénique, ce qui le rendra plus mortel et plus virulent.
Le Dr Ryan Gregory, professeur de biologie au Canada, a donné à XBB.1.5 le surnom de «Kraken» – le nom du monstre marin mythologique norvégien – pour distinguer les désignations complexes toujours plus nombreuses d’Omicron. Comme il l’a noté dans son message Twitter du 28 décembre 2022: «XBB.1.5 mérite définitivement son surnom grâce à son avantage de croissance record et à sa capacité très élevée d’échapper au système immunitaire et de se lier à ACE2».
XBB (Gryphon) et XBB.1 (Hippogryphe), ancêtres récents de XBB.1.5, omt été identifiés pour la première fois à la mi-août en Inde. Ils se sont rapidement répandus dans différentes régions d’Asie, devenant prédominants en Inde et provoquant une vague massive d’infections dans la cité-État hautement vaccinée de Singapour. Le sous-variant le plus récent a été détecté dans une vingtaine de pays, dont les États-Unis, où il a été identifié pour la première fois début octobre.
Alors que BA.5 est en voie d’extinction et que BQ.1.1 (34,4 pour cent au 7 janvier 2023) est en déclin, XBB.1.5 supplante rapidement toutes les autres sous-variants dans le pays. Il représente 27,6 pour cent (estimation révisée en baisse par rapport aux 40 pour cent de la semaine dernière) de tous les descendants suivis.
Il a dépassé le seuil de 1 pour cent de tous les sous-variants à la fin du mois de novembre, un niveau qui oblige les Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC) à signaler sa prévalence hebdomadaire en tant que sous-variant d’intérêt. Cependant, l’agence de santé publique n’a confirmé sa présence qu’après qu’un initié du CDC ait divulgué le chiffre à l’épidémiologiste Dr Eric Feigl-Ding, qui a à son tour fait part de ses inquiétudes sur les médias sociaux le 29 décembre. Ce n’est pas la première fois que le CDC censure de telles informations pour ensuite les confirmer après leur divulgation, afin de limiter les dégâts.
Le Dr Ashish Jha, coordinateur de la réponse COVID à la Maison-Blanche, s’est exprimé sur les médias sociaux la semaine dernière, admettant que le bond du nombre de cas attribués à XBB.1.5 était «stupéfiant». Le mot «stupéfiant» est destiné à exprimer la surprise et à éluder la responsabilité de la croissance soudaine de ce sous-variant qui a entraîné une augmentation rapide du nombre de personnes âgées hospitalisées dans le nord-est des États-Unis. Pourtant, compte tenu des vastes ressources mondiales à leur disposition, une telle terminologie est odieuse et indéfendable pour tout véritable défenseur de la santé publique.
Le Dr Jha a écrit: «Plus contagieux par nature? Peut-être. Il se lie plus étroitement au récepteur humain de l’ACE.» Il a reconnu que cela pouvait impacter la contagiosité, puis a rapidement minimisé les dangers et recommandé les vaccins de rappel bivalents COVID comme «votre meilleure protection contre les infections et les maladies graves». À l’heure actuelle, seuls 34 pour cent de la population américaine ont reçu une dose de rappel. Selon le CDC, seuls 15,4 pour cent des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ont reçu le vaccin bivalent actualisé depuis son arrivée en septembre.
Avec sa désinvolture habituelle, le Dr Jha a conclu: «Alors, suis-je préoccupé par XBB.1.5? Oui. Suis-je inquiet que cela représente un énorme revers? Non. Nous pouvons travailler ensemble pour gérer le virus. Et si nous faisons tous notre part, nous pouvons réduire l’impact qu’il aura sur nos vies.» Les expressions souvent utilisées «travailler ensemble» et «faire tous notre part» ressemblent davantage à des promesses électorales vides. En d’autres termes, cela se traduit par «rien à voir ici» et «passez à autre chose».
Pendant ce temps, on observe une forte augmentation des infections à COVID dans le pays, dont l’épicentre se situe actuellement dans le nord-est, où le variant XBB.1.5 représente 70 pour cent des variants séquencés. Le nord-est a toujours donné le ton au reste du pays et bientôt, toutes les autres régions verront les cas de COVID augmenter à nouveau.
Les hospitalisations des personnes âgées de 70 ans et plus aux États-Unis ont atteint 16 admissions quotidiennes pour 100.000 personnes, soit le troisième pic le plus élevé de la pandémie. Près de 50.000 personnes sont hospitalisées pour le COVID, soit une augmentation de 17 pour cent en 14 jours. Le nombre de décès a augmenté de 20 pour cent soit 514 par jour, dont 90 pour cent chez les personnes âgées de 65 ans et plus.
Akiko Iwasaki, professeure d’immunologie et de biologie à l’école de médecine de Yale, qui a beaucoup étudié et écrit sur l’immunologie du coronavirus et qui travaille à la mise au point de vaccins stérilisants pour les muqueuses contre ce virus, a lancé un avertissement dans un récent tweet: «Veuillez vous protéger et protéger les autres en portant des masques N95. Je suis vraiment inquiète de la longue vague de COVID qui suivra cette infection. Je suis préoccupée par la capacité putative de XBB.1.5 à avoir une capacité accrue d’infecter des types de cellules qui expriment des niveaux encore plus faibles d’ACE2. Cela augmentera le tropisme et peut-être la persistance dans les types de cellules qui ont une longue durée de vie [neurones].»
XBB.1.5 est une souche recombinante créée par la fusion de deux variants de BA.2, BJ.1 (BA.2.10.1.1) et BM.1.1.1 (BA.2.75.3.1.1.1). La Dre Emma Hodcroft, une épidémiologiste moléculaire britannico-américaine à l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Berne, a expliqué qu’à un moment donné, les deux variants ont infecté la même personne, ils se sont recombinés et ont échangé du matériel génétique, créant ainsi XBB.
Le Dr Eric Topol, fondateur et directeur du Scripps Research Translational Institute en Californie, a écrit le 23 décembre 2022: «Il apparaît maintenant que dans l’État de New York, XBB a encore évolué vers XBB.1.5, avec de nouvelles mutations, ce qui a été judicieusement noté pour la première fois par JP Weiland [dans un tweet du 15 décembre 2022] il y a quelques semaines, coïncidant avec le début d’une forte augmentation des hospitalisations dans cet État».
Le commentaire du Dr Topol sur XBB.1.5 souligne l’importance de la mutation F486P que le Kraken a acquise et qui lui donne l’avantage sur ses lignées ancestrales. Le SRAS-CoV-2 joue en fait un jeu de patience en bricolant les mutations génétiques nécessaires pour contourner l’immunité actuelle. Il a trouvé une protéine clé comme un voleur qui joue avec les clés d’une serrure pour essayer d’ouvrir le coffre-fort.
Les auteurs principaux et expérimentés du département de microbiologie et d’immunologie de l’université Columbia, à New York, ont abordé ce sujet dans leur article publié dans la revue Cell,«Propriétés alarmantes de résistance aux anticorps des sous-variants BQ et XBB de SARS-Cov-2» (Alarming antibody evasion properties of rising SARS-Cov-2 BQ and XBB subvariants).
Ils écrivent: «Nos données démontrent que ces nouveaux sous-variants étaient à peine sensibles à la neutralisation par des sérums qui proviennent de personnes vaccinées avec ou sans infection préalable, y compris des personnes récemment stimulées par les nouveaux vaccins bivalents à ARNm. L’ampleur de la dérive ou du déplacement antigénique mesuré ici est comparable au saut antigénique réalisé par le variant initial d’Omicron par rapport à ses prédécesseurs il y a un an». En langage courant, XBB.1.5 est l’équivalent d’un variant entièrement nouveau.
La vague hivernale du COVID s’abat une fois de plus sur les États-Unis. On manque de données sur la gravité de XBB.1.5, mais le temps nous le dira, très bientôt. La politique de «laisser-faire» des gouvernements et des principales agences de santé publique à travers le monde signifie que la population mondiale est soumise à une expérience permanente de «gain de fonction» où la mutation massive du virus SRAS-CoV-2 pose le danger croissant d’une nouvelle vague encore plus terrible de la pandémie.
La crise est aggravée davantage par la réouverture complète de la Chine, avec ses 1,4 milliard d’habitants, au coronavirus, après la fin de la politique très réussie de COVID zéro du pays.
Parallèlement à l’abandon de pratiquement toutes les mesures d’atténuation, la surveillance et le séquençage par les pays des nouveaux variants ont chuté de 90 pour cent au début de 2023 et continuent de chuter alors que le monde entre dans la quatrième année les yeux bandés.
The Economist a pris la mesure de cette évolution en écrivant: «Le démantèlement des capacités de test, de séquençage et de surveillance mises en place au cours des trois dernières années risque de laisser le monde sans préparation pour la prochaine pandémie. L’espoir que les hommes politiques puissent enfin considérer la maladie pandémique de la même manière qu’ils considèrent la défense du royaume, comme quelque chose qui nécessite le maintien d’un établissement permanent prêt à contrer les menaces, semble s’estomper».
(Article paru en anglais le 9 janvier 2023)