Les heures supplémentaires obligatoires sont de plus en plus la norme pour les travailleurs au Canada

La journée de travail de huit heures et la semaine de quarante heures sont de plus en plus des reliques du passé, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde. Ces avancées fondamentales, pour lesquelles les travailleurs ont lutté et donné leur vie au cours d’un siècle et demi de combat, sont devenues effectivement lettre morte de nos jours.

Monteur-échafaudeuren Alberta [Photo: Gouvernement de l’Alberta] [Photo: Government of Alberta]

En dépit de progrès technologiques extraordinaires et d’une productivité sans précédent, dans tous les secteurs, les travailleurs travaillent plus longtemps pour un salaire moindre. La recherche incessante de profits plus élevés pousse les entreprises et les gouvernements capitalistes à forcer les travailleurs à s’épuiser, tout en criminalisant les efforts de résistance de la classe ouvrière. Les syndicats pro-capitalistes, qui fonctionnent comme un partenaire junior du patronat, appliquent consciencieusement cette régression des conditions de travail.

En août 2022, pour protester contre les bas salaires et les mauvaises conditions de travail dans les exploitations de sables bitumineux de la société énergétique Suncor dans le nord de l’Alberta, les monteurs-échafaudeurs employés par AlumaSafway ont refusé de travailler au-delà de leurs quarts de travail de dix heures et se sont contentés de remplir leurs obligations contractuelles.

Agissant au nom de Suncor, AlumaSafway a réagi en déposant une plainte auprès de l’Alberta Labour Relations Board (ALRB), qui est la commission des relations de travail de cette province. La commission a déclaré que cette protestation des travailleurs était une «grève illégale»puisqu’ils avaient fait circuler une lettre anonyme recommandant de refuser toute affectation «volontaire» et qu’ils avaient donc agi de façon coordonnée. L’ALRB a appuyé cette décision en l’accompagnant de menaces de sanctions civiles ou pénales.

En réponse, la Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique (FUCMA), qui représente les monteurs-échafaudeurs, s’est contentée de publier une copie de l’ordonnance de l’ALRB sur son site web sans faire de commentaire. Elle n’a même pas émis une protestation pour défendre les travailleurs.
Cette situation n’est pas unique au Canada ou ailleurs dans le monde industrialisé. Le Code canadien du travail, qui régit les industries sous réglementation fédérale, ne permet à un travailleur de refuser de faire des heures supplémentaires pour s’occuper des soins de santé ou de l’éducation d’un membre de sa famille, mais seulement si des mesures «raisonnables» ont déjà été prises pour résoudre le problème. Tout comme l’ALRB, les autres commissions provinciales du travail de partout au pays ont aussi statué que les travailleurs ne pouvaient pas refuser de faire des heures supplémentaires s’ils en ont fait régulièrement dans le passé.

Les heures supplémentaires obligatoires, ou les heures supplémentaires «volontaires» sous la contrainte, sont devenues la norme pour des millions de travailleurs canadiens. Le nombre record de postes vacants dans l’économie, qui a atteint le million en mai 2022, ajoute à la pression croissante sur les travailleurs. Comme il y a moins de travailleurs disponibles pour satisfaire à la demande de profit, les employeurs pressent les travailleurs qu’ils ont à travailler plus fort et plus longtemps.

L’un des principaux moteurs de ce phénomène est l’attrition de la main-d’œuvre causée par l’impact de la pandémie de COVID-19, qui a déjà tué des milliers de travailleurs et en force beaucoup d’autres à prendre une retraite anticipée en raison de l’épuisement professionnel ou des effets du COVID long. En outre, une population vieillissante quitte la main-d’œuvre, les départs à la retraite ayant augmenté de 50% par rapport à l’année précédente au mois d’août.

Tant les travailleurs des secteurs public que privé sont touchés

L’un des secteurs les plus durement touchés est celui des soins de santé, où plus d’une infirmière sur cinq a fait des heures supplémentaires (21,6%) en juillet, soit plus du double de la moyenne nationale de 9,7%. C’est ici que le poids de la politique capitaliste du «laisser-faire» en cas de pandémie se fait le plus sentir. Les postes vacants dans le secteur des soins infirmiers s’élevaient à 23.620 au premier trimestre de 2022, soit plus du triple du nombre de 2017.

Une étude de novembre 2022 de l’Institut canadien d’information sur la santé a révélé que 45% des ambulanciers, 34% des médecins de famille salariés et 31% des inhalothérapeutes ont fait des heures supplémentaires en 2021.

Dans tout le pays, les travailleurs de la santé font souvent de longues heures supplémentaires pour soutenir un système de santé publique qui est en train de s’effondrer et pliant sous le poids de la pandémie après des décennies de sous-financement systématique par des mesures d’austérité capitalistes.

Au Québec, des années de compressions budgétaires, de rationnement des soins de santé et de privatisation menées par les gouvernements du Parti libéral, du Parti Québécois (PQ) et maintenant de la Coalition Avenir Québec (CAQ), ont entraîné des ressources inadéquates, un manque de personnel et des heures supplémentaires forcées. Même avant la pandémie, de nombreuses infirmières québécoises étaient régulièrement contraintes de faire des quarts de travail supplémentaires, les privant du temps personnel et familial nécessaire pour récupérer physiquement et psychologiquement de leur travail. Depuis 2021, une vague de sit-in d’infirmièresdéferle sur les hôpitaux du Québec pour protester contre le manque de personnel et les heures supplémentaires forcées.

Ce sont les syndicats qui ont proposé au gouvernement péquiste de Lucien Bouchard d’utiliser un plan de départs volontaires à la retraite pour réduire les dépenses de santé à la fin des années 1990. Dans le cadre de ce plan, le gouvernement a éliminé de façon permanente des dizaines de milliers d’emplois dans le domaine de la santé, diminuant ainsi la qualité des soins offerts aux Québécois et augmentant considérablement la charge de travail des infirmières et des autres travailleurs de la santé restés en poste.

Ce processus est reproduit dans tout le pays. En Ontario, des centaines de milliers de travailleurs de la santé ont enduré des décennies de réductions de salaire, qui ont été prolongées en 2019 par le Projet de loi 124du premier ministre conservateur Doug Ford, plafonnant les augmentations de salaire du secteur public à 1% par an.

Les responsables syndicaux n’ont jamais levé le petit doigt pour mobiliser leurs membres afin de mener une lutte politique contre ces conditions désastreuses. Au contraire, ils sont le principal obstacle à tous les efforts déployés par les travailleurs pour se défendre, que ce soit contre les restrictions salariales ou les conditions de travail dangereuses résultant de la décision de l’élite dirigeante de laisser le COVID-19 se répandre. Des milliers de travailleurs ont quitté le secteur public, ce qui a aggravé le manque de personnel et la nécessité de faire des heures supplémentaires.

Au début de l’année 2022, les cheminots américains de la compagnie BNSF ont été soumis à une politique punitive d’assiduité, le système «Hi-Viz» basé sur des points. Cette politique, qui laisse effectivement les travailleurs sur appel 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, lie entièrement les travailleurs à leur emploi, sans leur laisser de temps pour leur vie familiale.

Bien que les 120.000 cheminots américains étaient disposés à faire la grève et bien déterminés à renverser des conditions qui sont presque identiques partout dans l’ensemble de leur secteur, leurs syndicats leur ont interdit de faire grève et ont conspiré avec l’administration démocrate de Biden et les compagnies ferroviaires pour leur imposer un contrat à rabais, que le Congrès a adopté en décembre par un vote bipartisan.

Travailler plus de dix à vingt heures supplémentaires par semaine est rendu la norme, et non l’exception, pour les travailleurs de certaines industries comme dans la construction automobile. Après des décennies pendant lesquelles des syndicats comme l’United Auto Workers (UAW) aux États-Unis et UNIFOR au Canada ont imposé des systèmes salariaux à deux vitesses et des réductions des avantages sociaux et des pensions, les travailleurs n’ont d’autre choix que de s’enchaîner à leur poste de travail pour joindre les deux bouts.

Le mouvement ouvrier et la lutte pour la journée de huit heures


L’obtention de la journée de huit heures a été le fruit d’une lutte soutenue de la classe ouvrière menée tout au long de la période de développement économique capitaliste, qui a culminé avec la conquête du pouvoir par la classe ouvrière sous la direction des bolcheviks en Russie en 1917.

Tout au long du XIXesiècle, la journée de travail était de 10 à 16 heures, la semaine de travail étant généralement de six jours et le recours au travail des enfants bien courant. Lorsque l’Association internationale des travailleurs a adopté la demande d’une journée de huit heures lors de son congrès à Genève en 1866, elle a déclaré: «La limitation légale de la journée de travail est une condition préliminaire sans laquelle toutes les tentatives ultérieures d’amélioration et d’émancipation de la classe ouvrière seront nécessairement avortées... Le Congrès propose huit heures comme limite légale de la journée de travail».

Abordant les effets délétères des longues heures de travail sur la santé, Karl Marx écrit dans Le Capital(1867): «La production capitaliste… ne produit donc pas seulement par la prolongation de la journée qu’elle impose la détérioration de la force de travail de l’homme, en la privant de ses conditions normales de fonctionnement et de développement, soit au physique, soit au moral; – elle produit l’épuisement et la mort précoce de cette force.»

La législation limitant la journée de travail est une conquête fondamentale des luttes ouvrières militantes remontant au début du XIXesiècle. La première législation canadienne accordant une protection aux syndicats est apparue en 1872 à la suite d’une agitation infructueuse en faveur d’une journée de neuf heures menée par la Toronto Typographical Union. C’était là une revendication courante dans les années 1860 et 1870, tant en Europe qu’en Amérique du Nord. Dans ce qui allait se transformer dans la tradition du premier mai, le 1ermai 1886, 300.000 travailleurs ont débrayé aux États-Unis pour soutenir la revendication d’une journée de huit heures.

L’Union soviétique a été le premier pays à adopter la journée de travail de huit heures dans toutes les professions en 1917. Dans les pays industrialisés, la journée de huit heures est principalement le résultat de luttes militantes menées par des travailleurs d’allégeance socialiste dans les années 1920 et 1930, inspirées par la révolution d’Octobre en Russie. Le Canada a adopté la semaine de quarante heures dans les années 1960, mais les pressions constantes des employeurs et les concessions constantes des syndicats ont affaibli cette disposition depuis lors.

La situation actuelle que vivent les travailleurs survient après des décennies de recul. Il y a vingt ans, sous la bannière de la «révolution du bon sens» du premier ministre de l’Ontario Mike Harris, le gouvernement conservateur supprimait les limites imposées depuis longtemps à la durée de la semaine de travail et modifiait le mode de calcul de la rémunération des heures supplémentaires au détriment des travailleurs. Cela a contribué à créer un précédent pour les autres gouvernements provinciaux et d’État partout en Amérique du Nord qui ont depuis mené des attaques similaires.

Comme nous l’écrivions en septembre, «Alors que les grandes entreprises sont libres d’utiliser tous les instruments de l’appareil d’État et des tribunaux pour criminaliser l’opposition des travailleurs dans leur quête incessante de profits, les travailleurs sont empêchés à tout moment de réagir collectivement. Le système dit des «relations de travail», y compris de négociation collective, devrait en fait être qualifié d’«exécution du travail» par une dictature collective exercée par les entreprises, les bureaucrates syndicaux et les gouvernements sur la classe ouvrière. Il n’y a aucun moyen pour les travailleurs de défendre même leurs intérêts les plus fondamentaux au moyen de ces institutions truquées de domination de la classe bourgeoise.»

La situation actuelle démontre clairement aux travailleurs qu’il est nécessaire de former des comités de base sur leur lieu de travail, indépendants de leur bureaucratie syndicale et en opposition à elle, comme première étape essentielle pour améliorer leurs salaires et leurs conditions de travail. Ce n’est qu’en unissant les luttes menées dans les divers lieux de travail, industries, provinces et pays, dans une lutte commune pour le socialisme, que la classe ouvrière, tant au Canada qu’à l’échelle internationale, peut mettre fin à l’intensification de son niveau d’exploitation et atteindre l’égalité sociale. L’Alliance ouvrière internationale des Comités de base se bat pour cette perspective et cette stratégie.

(Article paru en anglais le 9 janvier 2023)

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