La FIQ se plaint auprès d’un tribunal administratif d’avoir perdu la confiance de ses membres

La Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), un syndicat qui représente 76.000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes, a admis devant le Tribunal administratif du Travail (TAT) qu’un conflit a éclaté entre le syndicat et ses membres à la suite de la convention collective pourrie imposée par la FIQ en août dernier.

Patrick Guay, un vice-président de la FIQ, a rapporté que «la perte de crédibilité est énorme». Nathalie Lévesque, qui a été présidente par intérim de la FIQ après le départ subit de Nancy Bédard, a ajouté que la FIQ a été «complètement discréditée comme organisation syndicale à tous les niveaux».

Des membres ont remis en doute l’intégrité des bureaucrates chargés de la négociation de la convention collective, les traitant de «vendus» et leur demandant s’ils avaient reçu des «pots de vin».

Manifestation de travailleurs de la santé contre les dures conditions de travail, y compris le manque de protection et le temps supplémentaire obligatoire, durant la première vague de la pandémie au printemps 2020

Ces témoignages accablants ont été livrés dans le cadre d’une contestation judiciaire que la FIQ et cinq autres syndicats ont entreprise contre une décision du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) d’offrir des primes de plusieurs milliers de dollars pour attirer des infirmières dans le système de santé public afin de pallier la grave pénurie de personnel. Celle-ci a été alimentée par des décennies d’austérité capitaliste et intensifiée par la pandémie de COVID-19.

La CAQ avait annoncé ses primes à peine quelques semaines après que la FIQ eut imposé à ses membres une nouvelle convention collective remplie de reculset qui ne contenait aucune mesure pour résoudre le manque de personnel et le surmenage des infirmières.

Devant le TAT, les bureaucrates de la FIQ ont affirmé que la colère des membres était simplement le résultat de cette décision du gouvernement. En réalité, elle découle de décennies de trahison des travailleurs et particulièrement de l’imposition de la dernière convention collective.

En juin 2021, la FIQ a conclu une entente avec le gouvernement de la CAQpour le renouvellement de la convention collective de ses membres. Alors que l’inflation était à 3.5% – et qu’elle est aujourd’hui à plus de 5% – le contrat pourri négocié par la FIQ prévoyait des hausses salariales d’à peine 2% par année sur trois ans.

En pleine pandémie mortelle de COVID-19, l’entente de principe ne prévoyait rien pour la protection du personnel de la santé, durement touché par la maladie. De plus, le contrat ne contenait aucune mesure pour remédier à la pénurie criante de personnel de la santé, si ce n’est une vague intention d’ajouter 1.500 postes d’infirmières, un geste futile alors que des dizaines de milliers d’infirmières additionnelles et des milliards de dollars seraient nécessaires.

En réalité, le contrat négocié par la FIQ était une concession à la vision du gouvernement que la pénurie d’infirmières peut être résolue en faisant plus travailler les infirmières déjà en poste. Ainsi la convention collective maintenait le temps supplémentaire obligatoire honni par les infirmières et prévoyait l’allongement de la semaine de travail.

Malgré les tactiques de manipulation et d’intimidation des bureaucrates de la FIQ, les membres ont voté en août 2021 en faveur de l’entente dans une faible proportion. Seulement 54% des membres ayant voté ont approuvé l’entente, et celle-ci a été rejetée par certaines sections locales, le tout avec un très faible taux de participation, inférieur à 50% dans certaines régions et atteignant à peine 30% à d’autres endroits.

Soulignant à quel point cette entente pourrie n’a rien réglé, des infirmières de partout au Québec ont multiplié les manifestations contre leurs conditions de travail misérablesdans les semaines et les mois suivants le vote sur la convention collective. Ces sit-inorganisés par les infirmières elles-mêmes ont provoqué une réaction brutale de la classe dirigeante et de son gouvernement, qui a immédiatement saisi ses tribunaux du «droit du travail» en leur ordonnant de criminaliser ces gestes avant que la situation n’échappe complètement au contrôle des appareils syndicaux. Siégeant de toute urgence en plein dimanche, le TAT a déclaré que les sit-inétaient des moyens de pression illégaux et a ordonné aux infirmières de reprendre immédiatement le travail sous peine d’amendes de 10.000$ ou de peines de prison.

En septembre 2021, à peine quelques semaines après le vote des membres de la FIQ sur le nouveau contrat de travail, le gouvernement du Québec a annoncé son programme de primes en réponse à la pénurie d’infirmières. Offrant des sommes pouvant aller jusqu’à 12.000$ ou 15.000$ aux infirmières du secteur privé désirant revenir dans le réseau public, aux retraitées voulant reprendre le travail ou aux infirmières à temps partiel acceptant de passer à du temps plein, l’initiative du gouvernement Legault n’était rien de plus qu’un pansement appliqué sur une plaie béante.

Affublé de multiples conditions strictes susceptibles de faire perdre leur prime aux infirmières, le programme s’est avéré impopulaire. Selon un rapport produit en janvier 2022, le programme a attiré seulement 2.163 infirmières, bien en deçà de l’objectif, déjà modeste et insuffisant, du gouvernement du Québec d’ajouter 4.300 infirmières lorsqu’il a annoncé sa «petite révolution» en novembre. L’impopularité du programme de bonus est due, selon les infirmières elles-mêmes, au fait qu’il ne fait rien pour régler les conditions de travail exécrables qu’elles vivent, notamment les horaires, le surmenage, l’épuisement et le temps supplémentaire obligatoire.

La FIQ, tout comme les cinq autres syndicats participant au litige, s’est opposée aux primes de la CAQ, non pas pour défendre les infirmières, mais pour préserver les privilèges de la bureaucratie syndicale et son rôle de partenaire du gouvernement. Elle a contesté l’arrêté ministériel établissant les primes devant le TAT non sans avoir «salué le plan du gouvernement».

Les syndicats ont précisé ne pas être contre les bonus, mais plutôt contre «la façon dont ça s’est fait», c’est-à-dire le «contournement du processus de négociation». Leur plainte devant le TAT allègue que le gouvernement aurait dû les consulter et ils demandent au tribunal de «reconnaitre le rôle d’interlocuteur obligé» des syndicats.

Autrement dit, la FIQ n’est pas contre le programme de primes, mais aurait voulu être impliquée dans sa préparation et son annonce afin d’éviter la colère de ses membres et de préserver sa «place à la table de négociation», laquelle garantit les privilèges de la couche bien nantie qui dirige le syndicat. Fondamentalement, le plan de rétention du gouvernement annoncé en novembre est conforme à l’entente imposée par le gouvernement aux infirmières avec la collaboration de la FIQ: faire travailler davantage les infirmières et le personnel contre leur gré, éliminer le temps partiel et allonger la semaine de travail.

Sans surprise, la FIQ n’a pas cherché à mobiliser ses membres pour lutter contre le programme de primes et pour l’amélioration des conditions de travail. Elle a préféré s’adresser à un tribunal pro-patronal dans l’objectif avoué de préserver son statut et de diriger – de manière démagogique – la colère qui bouille au sein de ses membres vers le gouvernement.

La FIQ reprend ainsi le rôle qu’elle-même et les autres syndicats jouent depuis des décennies: celui de partenaires subordonnés de la classe dirigeante, chargés d’étouffer la lutte des classes, d’imposer des conventions collectives remplies de reculs, et de canaliser la colère et l’énergie des travailleurs derrière des appels à voter pour l’un ou l’autre des partis politiques officiels de la grande entreprise.

L’orientation de la FIQ vers la classe dirigeante est aussi visible dans l’annonce récente que son ancienne vice-présidente, Shirley Dorismond, sera candidate pour la CAQ à l’élection partielle dans la circonscription Marie-Victorin.

Le fait qu’une dirigeante haute placée de la FIQ, qui a acquis une certaine notoriété dans les grands médias pour ses critiques verbales du gouvernement pendant les négociations, puisse ainsi faire une transition en douceur vers le parti très à droite du multimillionnaire et ex-PDG François Legault démontre une fois de plus que les syndicats ne sont plus des organisations de travailleurs.

Dirigées par des bureaucrates bien rémunérés, ces organisations représentent en fait les couches aisées de la classe moyenne dont le niveau de vie confortable est intimement lié au succès de la classe dirigeante à exploiter les travailleurs pour faire grimper les profits et les marchés boursiers.

La colère des membres rapportée par les bureaucrates apeurés de la FIQ devant le TAT est un autre signe du conflit qui se développe – à travers le Canada et sur une échelle internationale – entre les appareils pro-capitalistes et une classe ouvrière déterminée à défendre ses conditions de travail et son niveau de vie menacés par le capitalisme en faillite.

Mais cette rébellion naissante doit devenir consciente et être armée d’un programme politique clair. Les infirmières, comme les autres travailleurs de la santé et l’ensemble de la classe ouvrière, doivent s’organiser en dehors de ces appareils sclérosés en bâtissant des comités de base, indépendants et opposés aux syndicats pro-patronaux.

Ces comités lutteront pour mobiliser toute la force sociale de la classe ouvrière contre l’austérité capitaliste, le danger de guerre mondiale et la politique criminelle des «profits avant les vies» menée par les autorités face à la pandémie. Ils adopteront une stratégie «zéro Covid» et mèneront la lutte pour l’égalité sociale et la satisfaction des besoins sociaux de tous – ce qui requiert le développement d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière luttant pour un gouvernement ouvrier.

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