Soutien croissant des Forces armées canadiennes pour l’extrême droite et le discours anti-Trudeau

Deux événements récents dévoilent la menace croissante que représentent pour la classe ouvrière des éléments d’extrême droite actifs au sein des Forces armées canadiennes: le discours fasciste prononcé par un ex-officier d’état-major en vue du Canada, et des menaces contre la vie du premier ministre Justin Trudeau proférées par des vétérans militaires mécontents. Ces deux incidents reflètent la confiance croissante qu’ont les forces fascistes au Canada, qui bien qu’elles ne disposent pas d’une vaste base de soutien dans la population, bénéficient néanmoins du soutien d’éléments puissants au sein de l’élite dirigeante et de l’appareil d’État.

Le 9 novembre dernier, lors de ce qui est sans doute l’activité sociale militaire la plus importante de l’année, le lieutenant-général à la retraite Michel Maisonneuve recevait le «Prix Vimy» qui est décerné annuellement par l’Institut de la Conférence des associations de la défense «au Canadien ayant apporté une contribution importante et exceptionnelle à la défense et à la sécurité du Canada et à la préservation de (ses) valeurs démocratiques».

Dans son discours d’acceptation prononcé devant le conseiller à la sécurité nationale de Trudeau, le juge en chef de la Cour suprême et une grande partie des hauts gradés des Forces armées canadiennes (FAC) et de hauts représentants de l’industrie de l’armement, le général Maisonneuve a prononcé une diatribe fasciste du type «Make Canada Great Again».

La réaction de son auditoire a été pour le moins significative. Les dénonciations de Maisonneuve à l’égard du gouvernement élu et de la classe ouvrière ont, selon tous les reportages, été accueillies par une ovation de la part du corps des officiers des FAC.

Manifestation en soutien au Convoi «de la liberté» d’extrême droite qui a occupé de façon menaçante le centre-ville d’Ottawa pendant près d’un mois en janvier et février 2022. [AP Photo/Arthur Mola/Invision/AP] [AP Photo/Arthur Mola/Invision/AP]

Maisonneuve a dénoncé les éléments sociaux faisant selon lui obstacle au renouveau de la «grandeur» du Canada – à savoir «les diplômés de première année en journalisme “Woke” (éveillés)» et les travailleurs qui dépendent «des interminables subventions et mesures d’aide gouvernementale» qui «n’assument aucune responsabilité personnelle» pour leurs «gestes».

Le lieutenant-général à la retraite a décrié «le renversement des statues», faisant référence au retrait des statues du premier premier ministre du Canada, sir John A. Macdonald, qui a mené une campagne génocidaire visant à déposséder les Premières nations de leurs terres afin de les rendre disponibles au développement capitaliste.

Hormis sa référence à «nos troupes», les seules personnalités récentes pour lesquelles Maisonneuve a eu des éloges ont été Margaret Thatcher, la reine Elizabeth II et le président ukrainien et chef de guerre fantoche de l’OTAN Volodymyr Zelensky. Le Canada, a déploré Maisonneuve, n’a pas de «grand leader» tel Zelensky. En le mentionnant, Maisonneuve a repris le salut fasciste «Slava Ukraini!» (Gloire à l’Ukraine) de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) qui a collaboré avec les nazis.

Reprenant le discours fasciste typique du «coup de poignard dans le dos», Maisonneuve a accusé le gouvernement Trudeau, voire la population civile dans son ensemble, de trahir l’armée. Il a déclaré que les Forces armées canadiennes manquent de ressources et d’«outils de pointe» pour «être bien présentes sur la scène mondiale» et «conclure des alliances». En langage codé, c’est un appel à soutenir militairement les guerres et offensives stratégiques de l’impérialisme américain dans le monde, ce qui soulève un danger croissant de conflagration mondiale avec la Russie et la Chine.

L’affirmation de Maisonneuve selon laquelle les autorités civiles laissent tomber l’armée et mettent du coup en danger le pays est l’un des leitmotivs historiques les plus notoires des mouvements d’extrême droite et fascistes, notamment des nazis d’Hitler.

Laissant entendre que le public n’apprécie pas à leur juste valeur les «sacrifices» que l’armée fait en son nom, Maisonneuve s’est plaint: «L’idée de servir dans nos Forces armées n’est pas populaire.»

La réaction enthousiaste du corps des officiers au discours de Maisonneuve montre qu’il a bien exprimé les sentiments de vastes sections de l’establishment militaire et sécuritaire.

La plupart des hauts gradés militaires n’ont en effet que du dédain pour les politiques intérieure, militaire et étrangère du gouvernement Trudeau, et pensent que celui-ci n’est pas suffisamment engagé politiquement et financièrement dans la projection de la puissance impérialiste à l’étranger; ils considèrent que son programme de «diversité» fondé sur les politiques identitaires et la promotion du mythe du Canada comme étant un pays pour le «maintien de la paix» menacent la discipline et le moral de l’armée; et ils sont irrités par les poursuites pour allégations d’agression et d’inconduite sexuelles menées contre plus d’une douzaine d’officiers hauts gradés. Ils aimeraient voir l’établissement d’un régime plus explicitement de droite et autoritaire pour défendre plus impitoyablement les intérêts impérialistes canadiens, tant contre ses rivaux géopolitiques à l’étranger que la classe ouvrière au pays.

Le soutien que de larges pans de l’élite politique, des services de sécurité de l’État et des médias bourgeois ont accordé au Convoi de la liberté d’extrême droite alors qu’il occupait de façon menaçante le centre-ville d’Ottawa l’an dernier, souligne que la classe dirigeante au Canada, comme ses homologues à l’échelle internationale, est en train de rompre avec les formes traditionnellement démocratiques du pouvoir. Instigué et dirigé par des activistes d’extrême droite et fascistes – beaucoup étant des camionneurs «indépendants», de petits entrepreneurs, des vétérans des Forces armées ou des policiers à la retraite – le Convoi de la liberté n’est parvenu à jouer un rôle aussi important dans la vie politique nationale uniquement parce qu’il a été mis sur pied et incité par les conservateurs de l’opposition officielle, les premiers ministres de droite de l’Alberta, de la Saskatchewan et de l’Ontario, et les médias ultra-droitistes comme le National Post et le Toronto Sun. Ces éléments ont utilisé le Convoi de la liberté comme un bélier pour vaincre le large soutien du public aux mesures de santé publique contre la COVID-19. En attisant un mouvement extra-parlementaire d’extrême droite, ils cherchaient également à pousser le gouvernement Trudeau encore plus à droite, à le déstabiliser et même si possible à précipiter son effondrement.

C’est finalement sous la pression croissante de l’administration Biden, des investisseurs internationaux et des grandes entreprises pour mettre fin au blocage par les partisans du Convoi de la liberté des routes commerciales transfrontalières essentielles que le gouvernement Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, jamais utilisée auparavant, accordant ainsi à l’État, à ses corps de police et à ses agences de sécurité des pouvoirs de répression étendus. Même si ces pouvoirs ont été utilisés dans un premier temps contre les occupants d’extrême droite du centre-ville d’Ottawa, ils peuvent être – et ils seront le cas échéant – utilisés contre toute opposition de la classe ouvrière au programme de guerre de classe de l’élite dirigeante, à savoir ses actes d’agression militaire à l’étranger et ses assauts contre les salaires et les dépenses publiques au pays.

Dans son discours d’acceptation, Maisonneuve a exprimé son indignation face à la dispersion du Convoi de la liberté par le gouvernement Trudeau. Révélant peut-être plus que ce qu’il avait l’intention de dire, Maisonneuve a commenté: «Pouvez-vous imaginer un chef militaire étiquetant la moitié de son commandement de déplorables, d’extrémistes marginaux ou de moins que rien et qui s’attend ensuite à ce qu’ils se battent de façon unie?» L’insinuation est qu’une grande partie des Forces armées canadiennes soutenait le Convoi de la liberté.

Le gouvernement Trudeau, qui compte sur le soutien des sociaux-démocrates du Nouveau Parti démocratique pour rester au pouvoir, a réagi à la tirade de Maisonneuve avec un silence embarrassé. La ministre de la Défense, Anita Anand, n’a émis qu’un seul commentaire critique, qui a été enterré dans les médias.

Dans le cadre de l’opération Unifier, les Forces armées canadiennes ont joué un rôle majeur dans l’instruction et la réorganisation de l’Armée ukrainienne en vue de la guerre avec la Russie. Elles ont notamment aidé à l’intégration des milices fascistes comme le bataillon Azov. [Photo: ministère de la Défense nationale du Canada] [Photo: Canadian Department of Defence]

Le fait que les propos fascistes vomis par Maisonneuve aient une oreille attentive croissante au sein des Forces armées canadiennes, y compris du corps des officiers, est une accusation accablante des politiques poursuivies par les gouvernements successifs, y compris les libéraux de Trudeau, pour soutenir les ambitions prédatrices mondiales de l’impérialisme canadien. Trois décennies de guerres et d’interventions militaires, notamment en Yougoslavie, en Afghanistan, en Haïti, en Libye, en Syrie, en Irak et maintenant en Ukraine, ont créé un important réservoir de soldats et d’officiers meurtris, aguerris et mécontents. Dans l’exercice normal de leurs fonctions, nombre d’entre eux auront participé à des crimes de guerre, notamment des actes de torture et des meurtres de civils. Les plus désorientés d’entre eux sont maintenant prêts à se rallier à un mouvement fasciste.

Plus important encore, alors que l’ensemble de l’establishment politique se rallie à la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie, l’élite dirigeante reconnaît de plus en plus que des formes de gouvernement plus autoritaires seront nécessaires pour soutirer à la classe ouvrière les ressources financières dont l’impérialisme canadien a besoin pour financer sa machine de guerre. Déjà, le gouvernement libéral s’est engagé à dépenser plus d’un demi-billion (500 milliards) de dollars au cours des deux prochaines décennies pour financer l’acquisition de nouveaux systèmes d’armes, notamment des chasseurs F-35, des navires de guerre et des drones armés. Pendant ce temps, les soins de santé s’effondrent dans tout le pays alors qu’un nombre croissant de patients meurent en attendant d’être soignés dans des salles d’urgence qui débordent et que l’éducation publique est soumise à des mesures d’austérité brutale.

En Ukraine, le Canada et le gouvernement Trudeau sont ouvertement alliés aux fascistes depuis des années. Dans le cadre de leur mission d’instruction militaire en Ukraine, l’Opération Unifier, les FAC ont aidé à superviser l’intégration du bataillon Azov autres unités paramilitaires fascistes dans les forces armées et la garde nationale du pays. Cette campagne pour créer une puissante armée ukrainienne – fondée sur la célébration des traditions politiques fascistes de l’OUN, une organisation ayant participé à l’holocauste nazi en Ukraine – a été cruciale dans les préparatifs de guerre de l’OTAN contre la Russie.

L’impérialisme canadien contribue depuis longtemps à la promotion de l’extrême droite en Ukraine. Ayant donné refuge à des milliers de combattants de l’OUN au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, il a blanchi leurs crimes et les a aidés à diffuser leur idéologie nationaliste-fasciste. Cette alliance entre l’extrême droite ukrainienne et l’État canadien est documentée dans la série du WSWSpubliée l’an dernier et intitulée Les amis fascistes de l’impérialisme canadien.

Ces opérations impérialistes favorisent le soutien croissant pour les politiques d’extrême droite au sein des Forces armées canadiennes. Un groupe illustrant bien cette évolution est l’association bien mal nommée «Veterans for Freedom» (V4F), qui fait de l’agitation contre les mesures de santé publique anti-COVID. Le mois dernier, V4F a organisé une table ronde de vétérans «pour survivre au Noël communiste canadien», au cours de laquelle les participants ont discuté de la nécessité de «sortir» le gouvernement Trudeau.

Dans une vidéo sur YouTube, un officier naval à la retraite Andrew MaGillivray, a décrit l’insubordination discrète des membres de l’unité d’élite des forces spéciales des Forces armées canadiennes, la JTF2, chargés de protéger Trudeau. Selon ses dires, ils conserveraient l’agrandissement d’une photo sur laquelle ils posent avec Trudeau dans leur salle de briefing, et sur laquelle apparaît Trudeau tout souriant avec deux soldats au «regard désapprobateur». La photo a incité le vétéran de la guerre en Afghanistan Shaun Arntsen à se demander: «Je me demande ce qui leur passe par la tête. Je veux dire, pourquoi ne font-ils rien, merde? Ils voient tout ce qui se passe en secret. Ils sont la 'garde prétorienne'... c’est comme ça que César a été éliminé.» La suggestion d’Arntsen que les troupes devraient assassiner Trudeau ou réaliser un coup d’État militaire a reçu l’approbation des autres participants à la table ronde.

Il y a eu des précédents et il y a des raisons de craindre une tentative d’assassinat du premier ministre par les militaires. Le 2 juillet 2020, dans une tentative d’assassinat, Corey Hurren, un réserviste des FAC lourdement armé, a défoncé avec un camion la grille de Rideau Hall où Trudeau résidait temporairement. Le gouvernement libéral et l’État canadien ont minimisé l’attaque, refusant même de la qualifier d’attentat manqué contre la vie de Trudeau et rejetant le tout comme un «incident isolé» perpétré par un individu désorienté. En fait, Hurren est un partisan d’extrême droite de longue date des théories du complot et était en service actif lorsqu’il a été arrêté.

La police provinciale de l’Ontario a allégué que Daniel Bulford, un tireur d’élite et agent de renseignement de la GRC qui faisait auparavant partie de la garde rapprochée de Trudeau, avait divulgué l’emploi du temps du premier ministre à ses alliés d’extrême droite. Bulford a démissionné de la GRC à la fin de 2021 pour protester contre la politique de vaccination obligatoire du gouvernement fédéral. Par la suite, il est devenu une figure de proue des opérations de sécurité du Convoi de la liberté.

L’assurance croissante des fascistes au sein de l’appareil militaire et étatique au Canada fait partie d’un phénomène international enraciné dans la crise capitaliste mondiale. Aux États-Unis, l’ex-président Donald Trump et ses principaux collaborateurs au sein du Parti républicain et de l’appareil d’État sont toujours en liberté plus de deux ans après avoir tenté un coup d’État fasciste le 6 janvier 2021 pour empêcher le président élu Biden d’entrer en fonction. La semaine dernière au Brésil, une opération en tout point similaire a été tentée par les partisans de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro à Brasilia. Tant en France qu’en Espagne, des généraux ont ouvertement spéculé sur le lancement de coups d’État militaires et le massacre d’une grande partie de la population, tandis qu’en Allemagne, de nombreux réseaux terroristes d’extrême droite entretiennent des liens étroits avec les forces armées et les services de renseignement de l’État.

(Article paru en anglais le 13 janvier 2023)

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