Un jeune homme détenu illégalement meurt à la suite d’une intervention brutale d’agents correctionnels à Montréal

Nicous D’Andre Spring, un jeune homme noir de 21 ans est décédé le 24 décembre dernier à l’Établissement de détention de Montréal (EDM) après une intervention brutale d’au moins 9 agents correctionnels et d’un chef d’unité.

Selon les informations publiées par les grands médias, soigneusement filtrées par le ministère de la Sécurité publique du Québec (MSP) et le Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN), l’intervention est survenue le 23 décembre vers 11h30 dans l’aire de vie du secteur A de l’EDM, mieux connu sous le nom de prison de Bordeaux.

Sur une page de levée de fonds (Gofundme) lancée par la sœur de la victime, Nicous y est décrit comme une personne «gentille, généreuse, et qui avait toujours un sourire au visage». Aspirant à devenir un chanteur rap, il a publié des chansons sous le nom de scène «YK Lyrical». Selon un organisme sans but lucratif qui accompagne la famille, la victime «recevait du soutien pour gérer sa santé mentale au moment de son décès».

Une photo de Nicous D’Andre Spring affichée sur sa page Facebook (source: Yk Lyrical/Facebook)

D’Andre Spring aurait d’abord été impliqué dans une bagarre avec d’autres détenus. L’intervention de plusieurs agents correctionnels aurait permis d’y mettre fin et de renvoyer tous les détenus dans leur cellule, à l’exception de la victime. Parce qu’il hurlait et postillonnait, les agents lui auraient mis un masque anti-crachat. Sorte de filet placé sur la tête afin d’empêcher que la salive ne soit projetée sur les agents, le masque anti-crachat peut toutefois exacerber le sentiment de panique chez un individu en crise, notamment en créant une perception de difficulté respiratoire.

Un chef d’unité aurait ensuite ordonné à un agent d’asperger D’André Spring avec du poivre de Cayenne alors qu’il était immobilisé au sol. Selon des experts, l’utilisation combinée d’un masque anti-crachat et de poivre de Cayenne est un «combo très dangereux». Sans d’abord s’assurer de l’état de santé du jeune homme, les agents correctionnels ont ensuite tenté de le forcer à prendre une douche de décontamination et, devant son refus, l’ont de nouveau aspergé de poivre de Cayenne.

Cette façon de faire est contraire aux procédures de décontamination en cas d’emploi d’agents inflammatoires tel le poivre de Cayenne. Dans son rapport annuel, le Protecteur du citoyen rappelle qu'un détenu ne devrait être placé dans une douche de décontamination que s’il y consent, qu’il est calme et après qu’on l’ait conduit dans un lieu ouvert pour qu’il y respire librement. Les agents doivent aussi «observer toute difficulté respiratoire».

Or, selon des documents «confidentiels» du MSP auxquels Radio-Canada a eu accès, après cette deuxième utilisation du poivre de Cayenne dans la douche de décontamination, les agents auraient constaté que le corps de D’Andre Spring était «mou». Plutôt que de suivre les protocoles, le chef d’unité a conclu sans raison apparente que le détenu simulait un malaise et a ordonné qu’il soit transporté dans sa cellule. C’est à ce moment que l’on aurait constaté la détresse respiratoire du jeune homme. L’intervention de l’équipe médicale n’a pas permis de le ranimer et son décès a été constaté à l’hôpital.

Une autopsie sera pratiquée pour confirmer la cause exacte du décès, mais D’Andre Spring serait mort d’une «défaillance cardiaque» selon Radio-Canada.

Un agent des services correctionnels et le chef d’unité impliqué dans l’incident ont été suspendus et un gestionnaire de l’EDM a été congédié.

Le décès du jeune homme est d’autant plus tragique qu’il n’aurait pas dû se trouver à l’EDM le jour où il est mort. Incarcéré quelques jours plus tôt suivant son arrestation, D’Andre Spring avait comparu par vidéo devant un juge le 23 décembreet été accusé formellement de voies de fait, de voies de fait contre un agent de la paix, de port d’arme dans un dessein dangereux et d’omission de se conformer à une ordonnance. Au terme de l’enquête sur sa remise en liberté, le juge avait ordonné que D’Andre Spring soit libéré dans l’attente de subir un procès. Or, cet ordre de libération n’a pas été immédiatement exécuté, de sorte que le jeune homme était en détention illégale lorsqu’il a été tué le lendemain.

Selon le président du SAPSCQ-CSN, ce sont «des problèmes de communication entre le ministère de la Justice, les tribunaux et le ministère de la Sécurité publique» qui entraineraient des retards dans la remise en liberté de personnes détenues depuis que la majorité des comparutions se fait par vidéo et que les prisonniers demeurent à la prison plutôt que d’être transportés au palais de justice.

La mort d’un prisonnier en détention provisoire – soit en attente de son enquête sur remise en liberté ou gardé en prison en attente de son procès – n’est pas un cas isolé dans le système carcéral canadien. Entre 2012 et 2017, des 270 personnes décédées dans les prisons provinciales au Canada, 174 étaient en détention provisoire et donc légalement innocentes.

En raison de règles de libération sous caution rétrogrades et d’un tournant du système judiciaire vers une politique de répression face au crime, la proportion de la population carcérale canadienne qui se trouve en détention provisoire n’a cessé d’augmenter depuis deux décennies. Alors qu’elles représentaient 54% des prisonniers en 2006, les personnes en détention provisoire constituent environ 67% de la population carcérale actuelle.

En contravention à la présomption d’innocence, un droit démocratique fondamental, la détention provisoire place des personnes qui n’ont été reconnues coupables d’aucun crime et qui sont donc présumées innocentes, dans les prisons provinciales aux côtés des prisonniers ayant reçu une sentence et dans les mêmes conditions horribles.

La Sureté du Québec a ouvert une enquête criminelle et le bureau du coroner a annoncé une enquête publique visant à «faire la lumière sur la cause et les circonstances du décès de M. Spring». Le MSP a quant à lui ouvert une enquête administrative. Dans une déclaration pour la forme, une porte-parole du ministre de la Sécurité publique François Bonnardel a demandé que «toute la lumière soit faite» sur l’incident et promis que le MSP allait «suivre toutes les recommandations qui découleront de cette enquête».

Il s’agit là de paroles en l’air de la part d’un politicien de la Coalition avenir Québec, le parti de droite pro-police qui forme le gouvernement du Québec. Pas moins de 132 personnes sont mortes dans les établissements de détention du Québec depuis le 1er avril 2017, dont 2 à la suite d’homicides et 59 par suicides. Aucune enquête ou recommandation officielle ne changera la situation catastrophique des quelque 4.500 personnes détenues dans les prisons provinciales du Québec, qui subissent des mauvais traitements, de la violence et de la négligence au quotidien dans des établissements de détention sous-financés et surpeuplés.

La famille de la victime a réclamé de son côté une enquête sur le «racisme systémique dans le système carcéral québécois». S’il est vrai que les minorités raciales, et notamment les Autochtones, sont surreprésentées dans les prisons canadiennes, le décès en détention de Nicous D’Andre Spring met avant tout en cause le recours généralisé des autorités aux méthodes les plus brutales.

Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), une majorité écrasante de plus de 80% des nouveaux détenus admis dans les établissements de détention du Québec en 2019-2020 avait une scolarité de niveau secondaire ou primaire. Près de 50% ont mentionné l’assistance sociale comme principale source de revenus. Par ailleurs, la population carcérale comporte beaucoup de gens souffrant de maladies mentales. Autrement dit, les principales cibles du système judiciaire et carcéral sont la classe ouvrière et les sections les plus démunies et vulnérables de la population.

Peu importe les circonstances exactes et la cause médicale, en dernière analyse la mort tragique de Nicous D’Andre Spring est le résultat direct d’un système carcéral brutal qui fait partie intégrante du vaste appareil coercitif de l’État capitaliste pour réprimer violemment les conflits irréconciliables entre la classe dirigeante et la classe ouvrière.

Voir aussi:

Des experts dénoncent l’isolement cellulaire dans les pénitenciers canadiens

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