Une crise politique émerge au sein de la direction des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA)

Deux ans après l’arrivée au pouvoir des démocrates du président Joe Biden, une crise politique a éclaté au sein de la direction des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA).

Cette crise trouve son origine dans l’incapacité de l’organisation à masquer son essence pro-capitaliste et pro-impérialiste de plus en plus mise à nue. Une longue série d’actions des DSA est en train de briser les illusions de milliers de membres des DSA qui ont rejoint l’organisation en croyant qu’elle était un adversaire de la guerre impérialiste et du capitalisme.

Mais ces actions des DSA exposent la réalité que les DSA ne sont rien d’autre qu’une faction du parti démocrate. Les élus des DSA ont voté pour armer l’occupation israélienne de la Palestine, fournir à l’impérialisme américain des dizaines de milliards de dollars pour intensifier la guerre avec la Russie dotée de l’arme nucléaire, et rendre illégale la grève potentielle de 100.000 cheminots.

Avec l’arrivée au pouvoir de Biden, les DSA ont laissé tomber la posture militante qu’ils affichaient lorsque Trump était président. Leurs représentants au Congrès ont régulièrement promu les prétentions «progressistes» du gouvernement Biden tout en dénonçant les critiques de gauche à l’égard de son gouvernement. C’est en mars 2021, peu après l’investiture de Biden, qu’Alexandria Ocasio-Cortez a attaqué toute critique antiguerre et anticapitaliste de l’establishmentdémocrate en la disant faite de «mauvaise foi» par des «privilégiés».

Les dirigeants des DSA reconnaissent que cela a produit une désillusion croissante parmi les membres. Lors d’un récent forum public, les dirigeants ont noté une «démoralisation», un «épuisement» et une «incertitude politique». Un membre du Comité politique national (CPN) des DSA a récemment divulgué des informations qui montrent que 12.000 membres ont quitté l’organisation l’année dernière tandis que plusieurs branches locales et groupes de jeunes ont été dissouts ou ne répondent plus aux appels de la direction.

La crise qui a éclaté au grand jour ne reflète pas un mouvement d’une partie de la direction des DSA vers une rupture avec le parti démocrate. Au contraire, les deux principales factions sont d’accord pour maintenir le rôle de longue date des DSA, qui consiste à fonctionner au sein du Parti démocrate et du système électoral primaire du parti. Là où les factions sont en désaccord, c’est sur la meilleure méthode pour préserver le rôle des DSA à piéger l’opposition de gauche pour la maintenir dans les limites du Parti démocrate, un mécanisme qu’elles craignent de voir s’effondrer.

Une faction, dirigée par le personnel des DSA et des couches plus âgées ayant une longue expérience du Parti démocrate, soutient que l’organisation doit approfondir son alliance institutionnelle avec le Parti démocrate afin de fournir aux Démocrates le visage populaire de «gauche» dont ils ont besoin de toute urgence pour désamorcer l’opposition sociale croissante dans la population, notamment en ce qui concerne l’inflation et la baisse des salaires réels. Cette faction est composée de nombreux membres des DSA, dont le vice-président David Duhalde, lui-même ancien fonctionnaire du Comité National Démocrate (l’organe directeur du Parti démocrate).

L’autre faction appelle également à travailler au sein du Parti démocrate et du processus des primaires démocrates, mais s’inquiète du fait que les DSA se trouvent tellement démasqués par leur rôle de droite qu’ils perdent leur capacité à garder les jeunes et les travailleurs loin de ce qu’un membre éminent des DSA a appelé les groupes «d’ultra-gauche» situés «en dehors des DSA».

Ce n’est pas un hasard si le déclencheur immédiat de la crise qui a éclaté au grand jour a été la tentative de la majorité du Comité politique national des DSA d’embaucher un apparatchik du Parti démocrate comme «directeur électoral» des DSA, bien que les causes de la crise soient plus fondamentales.

Le World Socialist Web Sitea eu accès à l’offre d’emploi pour le poste de directeur électoral. Celle-ci souligne que le candidat doit avoir une expérience substantielle au sein du parti démocrate, exigeant un «minimum de 5 ans de gestion de campagnes électorales lourdes sur le terrain et de mise en place de systèmes durables et portables, dont 1 à 2 ans d’expérience en supervision de personnel». Contrairement à cette exigence, le fait qu’un candidat «s’identifie comme socialiste» et soit en «accord général» avec les DSA est seulement un «atout».

L’objectif du poste de directeur électoral est d’approfondir le lien entre les DSA et les démocrates élus et d’orienter le travail des membres vers l’élection de nouveaux démocrates. L’offre d’emploi demande de «développer notre nouveau département électoral par le biais de campagnes de candidature et de scrutin». Elle indique que le candidat doit être prêt à aider à surmonter l’opposition des membres au travail de campagne du Parti démocrate. L’une des principales responsabilités du poste sera de «travailler avec les branches locales pour les aider à faire connaître leur travail électoral en interne et construire une voie claire et passionnante pour la participation des membres à leurs campagnes».

Le 16 janvier, une fraction minoritaire du comité politique national des DSA a quitté une réunion du comité, privant ainsi la majorité du quorum nécessaire pour approuver officiellement l’embauche de la personne choisie par le comité du personnel pour servir de directeur électoral.

Dans une lettre publique datée du 17 janvier, neuf membres du comité politique ont expliqué qu’ils ont «décidé de s’abstenir en bloc d’un vote qui vise à embaucher un candidat spécifique pour le nouveau poste de directeur électoral».

Le texte de la lettre ne laisse aucun doute sur le fait que le «directeur électoral» choisi est un responsable de campagne de longue date du parti démocrate. Les signataires déclarent que le dossier du candidat montre qu’il ne soutient pas «la construction d’un projet électoral socialiste indépendant» et ne «comprend pas les limites de la coalition avec les ailes les plus progressistes du parti démocrate».

Les signataires de la lettre n’énumèrent cependant aucun différend fondamental avec la stratégie de longue date des DSA, qui consiste à travailler en tant que faction du parti démocrate. Le groupe ne s’oppose pas nécessairement à l’embauche du candidat, réclamant seulement «une discussion politique complète concernant ce poste, les candidats qui ont postulé, et l’impact sur notre stratégie électorale» avant que l’embauche soit réalisée.

«Qui a dit quoi que ce soit sur le fait de se désinvestir du travail électoral?» a écrit la signataire Kara Hall sur Twitter, en réponse aux affirmations selon lesquelles le groupe facilitait une rupture avec le Parti démocrate. Un autre signataire, Justin Charles, a rejeté les allégations selon lesquelles la lettre était «d’ultra-gauche», en tweetant: «Certains d’entre vous sont vraiment ici pour rendre le mot “ultra” sans signification, ressaisissez-vous».

La lettre ne mentionne pas le nom du candidat dont l’embauche a provoqué le litige. Elle affirme également que la majorité du comité politique et le comité du personnel des DSA ont refusé de fournir au comité politique les noms et les CV des autres candidats au poste. «Tout ce processus n’inspire pas confiance qu’il a été fait de manière équitable et aussi politiquement inclusive que possible. Ce n’est pas la première fois que des comités ou des cadres dirigeants ne partagent pas immédiatement tous les détails avec l’ensemble du CNP [Comité politique national]», écrivent les signataires.

Les préoccupations politiques motivant la sortie en bloc à la réunion du comité politique ont été mises en évidence lors d’un événement organisé le 13 janvier par plusieurs tendances internes au sein des DSA auxquelles appartiennent les signataires de la lettre d’abstention. L’événement était intitulé «Les DSA à la dérive? Une discussion avec Reform and Revolution, Bread and Roses, Marxist Unity Groupet Tempest».

Au début de la réunion, Matthew Strupp, représentant du «Marxist Unity Group», a résumé l’origine de la crise comme suit: «La capacité des DSA à projeter une politique d’opposition séparée de l’aile libérale de la bourgeoisie a souffert depuis l’arrivée au pouvoir du Parti démocrate en 2021. Les DSA ont signalé qu’ils ne feraient pas partie de la coalition Biden, mais beaucoup de nos membres élus ont ouvertement annoncé qu’ils avaient conclu une alliance avec la direction du Parti démocrate».

Strupp explique que de nombreuses personnes ont rejoint les DSA en pensant qu’ils représentaient une alternative au Parti démocrate, mais «les DSA sont en crise depuis que Biden a gagné les élections». Les membres sont «désorientés», car «rien n’indique que nous sommes un parti d’opposition intransigeant de la classe ouvrière». Il s’est plaint qu’Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) a proposé des réunions avec le Comité National Démocrate que ce dernier n’a pas pu programmer. Nous n’avons même pas essayé de faire [de l’ «Escouade» DSA] nos instruments au Congrès».

Stubb a déclaré que le personnel des DSA n’a fait aucun effort pour éduquer les membres. «Ils ont réduit la taille de l’organge Gauche démocratiquede 8 pages à 4. Ce n’est plus qu’un dépliant pour la collecte de fonds».

L'ancien dirigeant de l'Alternative socialiste (Socialist Alternative) et membre du caucus de Reform and Revolution, Phillip Locker, a partagé le point de vue de Strupp sur la crise et a averti que la croissance de l'opposition au caractère droitier des DSA conduit à une croissance de 'l'ultra-gauchisme'. Il a déclaré:

«Une gauche existe au sein des DSA qui est insatisfaite, rebelle, qui voit la nécessité d’un changement, mais qui se trouve trop souvent freinée par un ultra-gauchisme qui se met des limites et s’isole. Nous voyons cela aussi en dehors des DSA et nous devons équiper politiquement les forces les plus rebelles qui cherchent un changement radical, qui cherchent une politique marxiste, que oui, nous devons exploiter cette énergie. Mais d’une manière qui soit efficace et offre un défi viable à la direction des DSA et des travailleurs. Cela fait partie de la discussion et du débat que nous avons».

La déclaration de Locker vaut la peine d’être décortiquée parce qu’elle résume avec précision le rôle que les DSA ont joué pendant des décennies pour désarmer l’opposition sociale et bloquer le développement d’un mouvement socialiste de masse indépendant du Parti démocrate.

Locker affirme qu’il y a un esprit de rébellion parmi les membres des DSA qui voulaient adhérer à une organisation socialiste, mais qui ont fini par rejoindre une organisation capitaliste. Le grand danger est que cet esprit se développe en dehors du contrôle des DSA et du Parti démocrate et que des forces d’«ultra-gauche» et «extérieures aux DSA» en profitent. Les DSA «doivent exploiter cette énergie, mais d’une manière qui puisse être efficace» et «viable» – les mots à la mode souvent utilisés pour justifier la capitulation devant le Parti démocrate sur la base d’un faux «réalisme» pragmatique. Les DSA doivent bloquer ce mouvement vers la gauche, le détourner d’une politique indépendante et socialiste, et le diriger vers des appels à la direction des DSA, au Parti démocrate et aux bureaucraties syndicales.

Les inquiétudes exprimées par ces dirigeants des DSA découlent de ce qui semble une perte substantielle de membres et une diminution de l’activité d’une partie importante des membres. Andy Sernatinger, représentant le groupe pro-impérialiste Tempest Collective(composé en grande partie d’anciens membres de l’Organisation socialiste internationale), a déclaré lors de la réunion:

Lors de la convention de 2021, [la directrice nationale des DSA] Maria Svart a déclaré que la croissance des membres avait ralenti jusqu’à devenir un filet d’eau. Nous n’avions pas reçu plus d’informations sur les chiffres des adhésions jusqu’à ce que Jenbo [Jennifer Bolen, membre du Comité politique national] les divulgue. Elle a dit qu’en août 2021, nous avions 94.687 membres au total. 77.000 étaient des membres (81 pour cent) en règle. Maintenant, nous sommes à 86.977 membres au total et 64.000 (74 pour cent) en règle. Il s’agit d’une perte de 12.000 membres, soit 15 pour cent de l’organisation. Ce n’est pas rien.

Au même moment, nous avons reçu un rapport des dirigeants sur l’état de l’organisation qui indiquait qu’ils étaient incapables d’atteindre un grand nombre de contacts. Ils ne pouvaient tout simplement pas entrer en contact avec eux. Ils n’avaient aucun moyen de savoir ce qui se passait. Et parmi ceux qu’ils atteignaient, ils signalaient un niveau d’épuisement et d’épuisement professionnel comme ils n’en avaient jamais vu.

Il y a un énorme dysfonctionnement au sein du comité politique national. Nous l’avons vu de différentes manières, j’ai fait une interview avec Jenbo pour expliquer ce qui se passait. Ils violent leurs propres règles, il y a des démissions, il se passe toutes sortes de choses. Ce n’est pas bon. Oui, il y a une crise. S’il n’y a pas de crise, je ne sais pas comment on appelle cela. Quelque chose d’important s’est produit dans la vie de cette organisation.

Sernatinger a conclu ses remarques en notant que les DSA n’ont pas réussi à gagner le soutien de la classe ouvrière: «Si nous n’avons pas convaincu les gens de la classe ouvrière que notre alternative est utile et que ce n’est pas une perte de temps, alors c’est de notre faute».

Tout en feignant de critiquer les DSA et «l’Escouade» (The Squad), l’événement consistait en grande partie à s’excuser de leur caractère droitier.

Laura Wadlin, qui représentait «Pain et Roses» (Bread and Roses), a déclaré que «l’accent mis sur la colère contre Alexandria Ocasio-Cortez (AOC), [Jamaal] Bowman et Cori Bush est un peu un leurre». Ocasio-Cortez continue «d’ouvrir l’esprit des gens aux idées gauchistes», et pour cette raison, les membres des DSA doivent «continuer à s’identifier à elle». Wadlin a offert l’excuse la plus pathétique de la soirée, en prétendant que les élus des DSA continuent de promulguer des mesures de droite parce qu’ils sont trop occupés. Il a dit: «La plupart de nos dirigeants élus n’ont pas le temps de faire le travail nécessaire pour faire avancer notre politique» parce qu’ils sont «coincés dans leur travail de 40 heures par semaine ou plus».

Wadlin a conclu en disant que «malgré les nombreux problèmes des DSA, ça reste la meilleure chance que nous ayons». Locker a déclaré: «une voie plus simple n’existe pas en dehors les DSA». Stubb a appelé à une «campagne pour ces reconceptions fondamentales de la politique des DSA». Sernatinger a été le seul panéliste à envisager de quitter les DSA, ajoutant: «Je me demande s’il y a une peur de partir parce qu’on ne sait pas quoi faire».

Les intervenants eux-mêmes ont reconnu que le soutien des DSA à la guerre impérialiste et au capitalisme était tout à fait conforme à la longue histoire de l’organisation.

Citant les votes de l’Escouade en faveur du financement de la guerre impérialiste et de l’écrasement de la grève des cheminots, Matthew Strupp a déclaré que cela montrait que «les DSA continuent de suivre ces politiques de front populaire qui dominent son histoire depuis 40 ans», c’est-à-dire depuis sa fondation. «Il y avait des signes avant-coureurs qu’on allait abandonner cela, mais on est retombé dans ce schéma d’attente sans que rien d’autre ne prenne forme d’une manière solidement définie. C’est l’ornière dans laquelle nous nous trouvons».

Les DSA fonctionnent comme un rouage de la machine du parti démocrate depuis sa fondation en 1982 et la fondation du Comité d’organisation des socialistes démocrates en 1972. Ses racines se trouvent dans l’école politique de Max Shachtman et Michael Harrington, dont l’objectif fondamental est d’empêcher l’opposition sociale de gauche au capitalisme de sortir du cadre acceptable de la politique impérialiste du Parti démocrate.

Le World Socialist Web Siteva continuer de couvrir la crise des DSA et son déroulement.

(Article paru en anglais le 19 janvier 2023)

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