Israël : les manifestations de masse se multiplient contre le gouvernement d'extrême droite

Au troisième tour des manifestations de masse contre les projets du Premier ministre Benjamin Netanyahu, visant à donner à son gouvernement fasciste des pouvoirs absolus et à neutraliser le système judiciaire, le nombre des participants a encore monté dans les principales villes d'Israël.

Environ 120 000 personnes ont participé à des manifestations à Tel-Aviv samedi soir, dont plusieurs milliers à celle appelée par le groupe militant judéo-arabe Standing Together (debout ensemble). Au moins 7 000 personnes ont manifesté en face de la résidence présidentielle à Jérusalem, plus de 6 000 à Haïfa, 1 500 à Be'er Sheva et des centaines à Herzliya et Rosh Pina.

Des Israéliens portent des torches lors d'une manifestation contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son gouvernement d'extrême droite que ses opposants accusent de menacer la démocratie et les libertés, à Tel Aviv, Israël, le samedi 21 janvier 2023. [AP Photo/Tsafrir Abayov]

Ces chiffres témoignent de la colère et de l'inquiétude face à la trajectoire du gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël, qui est arrivé au pouvoir à la fin de l'année dernière. Mais les chefs de file de l'ancien « gouvernement du changement » et ses partisans cherchent à garder le contrôle du mouvement, donnant aux plans du gouvernement pour affaiblir la Haute Cour la priorité sur d'autres questions sociales, économiques et politiques plus larges qui motivent également le mouvement.

Le nouveau gouvernement, composé du Likoud de Netanyahou, des partis fascisants et racistes Sionisme religieux, Pouvoir juif et Noam, et des partis religieux réactionnaires Shas et Yahadout HaTorah, défend la suprématie juive et le régime d'apartheid incarné par la loi de l’Etat-Nation juif de 2018. Cela inclut la saisie permanente des territoires palestiniens; la prière juive à la mosquée al-Aqsa; le démantèlement des mesures anti-discrimination déjà circonscrites par des modifications radicales du système juridique israélien; et l'intensification de la répression policière et militaire contre les Palestiniens et les travailleurs, juifs et palestiniens, en Israël même.

Le coût économique de la mise en œuvre d'un tel programme signifient l'éviscération de l'éducation, de la santé et de ce qui reste des services publics d'Israël, dans des conditions où 21 pour cent de la population vivent dans la pauvreté et 28 pour cent des enfants souffrent d'insécurité alimentaire.

La mise en œuvre de ce programme est liée aux plans du ministre de la Justice Yariv Levin visant à restreindre la capacité de la Haute Cour à annuler des lois et à permettre au Parlement d'annuler de telles décisions. Outre le pouvoir de nommer les juges, le gouvernement supprimerait aussi le poste de procureur général. Cela ouvrirait la voie à une fin du procès de Netanyahou pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires distinctes et d'une longue peine de prison en perspective. Plus important encore, cela accélérerait la construction de colonies comme préparatif de l'annexion d'une grande partie de la Cisjordanie.

Le mouvement de protestation qui s'oppose à la mainmise sur le pouvoir du gouvernement est dirigé par les mêmes forces que celles ayant mené les manifestations du samedi soir en 2020-2021 contre le précédent gouvernement Netanyahou, sous le slogan « N'importe qui sauf Bibi », à la suite de son inculpation. Le bénéficiaire de ce mouvement fut le mal nommé « gouvernement du changement », composé en grande partie de ministres qui, à un moment ou à un autre, avaient servi sous Netanyahou.

Ce gouvernement a poursuivi sans-à-coup les politiques de Netanyahu consistant à étendre les colonies en Cisjordanie, réprimer l'opposition palestinienne à l'occupation par Israël des territoires palestiniens, lever toutes les mesures restantes visant à freiner la propagation du coronavirus et faire payer le coût entier de ces politiques et de l'impact de l'inflation mondiale à la classe ouvrière.

En l’absence de véhicule politique pour apporter une solution progressiste à la crise, les forces d'extrême droite israéliennes – comme leurs homologues ailleurs – ont pu profiter du vide politique et aider Netanyahou à revenir au pouvoir avec une majorité de 64 sièges sur 120 à la Knesset, mettant fin à des années de régimes aux majorités fragiles.

Un éventail d'orateurs associés au bloc d'opposition, dirigé par l'ancien Premier ministre Yair Lapid, s'est adressé au principal rassemblement de Tel-Aviv. Lapid, qui a assisté aux manifestations pour la première fois, s'est concentré sur la défense de la réputation d'Israël et de ses prétentions démocratiques et n'a rien dit sur les questions sociales plus larges motivant les manifestations.

Il a déclaré : « Ce que vous voyez ici aujourd'hui est une manifestation en faveur de l'État. Des gens qui aiment le pays sont venus défendre sa démocratie, ses tribunaux, l'idée d'une vie commune et d'un bien commun. » Parmi les autres orateurs figuraient l'ancien ministre de la Défense du Likoud et chef d'état-major de l'armée Moshe Ya'alon et le romancier israélien lauréat international David Grossman.

Des cadres supérieurs de l'industrie high-tech israélienne ont déclaré leur soutien à une « grève d'avertissement » d'une heure mardi matin sur fond d’avertissements de deux anciens gouverneurs de la Banque d'Israël que les efforts du gouvernement pour affaiblir le système judiciaire israélien « pourraient porter un coup sévère à l'économie d'Israël et ses citoyens ». Cela faisait suite aux avertissements de Maxim Rybnikov de Standard & Poor's que les plans du gouvernement pourraient compromettre la cote de crédit d'Israël et décourager les investissements.

Le rassemblement a été dominé par les couches laïques les plus aisées d'Israël, qui y portaient le drapeau national. On pouvait lire sur les banderoles des remarques comme « Gouvernement criminel » et « La fin de la démocratie », « Nos enfants ne vivront pas dans une dictature » et « Israël, nous avons un problème », et des pancartes artisanales disant: « Non à la dictature ».

Mais d'autres exprimaient des préoccupations plus larges. Noya Matalon, 24 ans, étudiante en droit à l'université de Tel Aviv, a déclaré au Guardian: « Le dernier grand mouvement de protestation en Israël visait à renverser Netanyahou, mais ce n'est plus une question de droite ou de gauche. Tout le monde – les Arabes, les Juifs, même les gens qui sont d'accord sur le fait que nous ayons besoin de réformes du système judiciaire – tout le monde dit en avoir peur. »

Le musicien Ollie Danon a déclaré : « Je crois que la Cour suprême a besoin d'être réformée. Ses décisions soutiennent généralement l'occupation [des territoires palestiniens], et d'une certaine manière, maintenant, c'est l'aile gauche qui manifeste pour la défendre. Tout cela est absurde.”

Comme l'a souligné l'Israel Democracy Institute (IDI), les modifications prévues du système judiciaire, notamment la limitation du droit de pétitionnaires publics à saisir la Haute Cour contre les violations des droits de l'homme et l'adoption d'une clause de neutralisation, affecteraient gravement des centaines d’organisations de défense des groupes vulnérables. Les forces fascisantes du gouvernement Netanyahou ont vitupéré contre ces groupes, les qualifiant de « dangereux et hostiles », déclarant les groupes de défense des droits de l'homme une « menace existentielle pour Israël ».

Les enseignants et les chefs de l'éducation dans les municipalités ont déclaré leur refus de coopérer avec le Département des programmes éducatifs, désormais sous la direction du ministre homophobe Noam Avi Maoz. 170 maires et chefs de municipalités ont refusé de mettre en œuvre la décision du gouvernement de financer des écoles ultra-orthodoxes.

À Jérusalem, où plus d'un tiers des près d'un million d'habitants sont palestiniens et les deux tiers du reste des Israéliens religieux ou juifs de droite, au moins 7 000 personnes se sont rassemblées en face de la résidence du président. Ha'aretz a rapporté la présence de nombreux partisans des habitants menacés d’expulsion de Sheikh Jarrah, unquartier palestinien de Jérusalem-Est. Ils tenaient des pancartes en hébreu et en arabe pour souligner le fait que la lutte pour la démocratie israélienne est liée à la lutte contre l'occupation par Israël des territoires palestiniens, illégalement occupés – et annexés dans le cas de Jérusalem-Est – depuis la guerre israélo-arabe de 1967.

L’organisateur de la manifestation, Bayit Meshutaf (Maison partagée), a monté le rassemblement de Jérusalem autour du slogan « Droite et gauche contre la destruction – protégez notre maison commune », invitant des orateurs du Likoud de Netanyahu, le bloc d'opposition, ainsi que des militants libéraux.

Alors que le conflit entre son gouvernement et la Haute Cour s'intensifie, Netanyahou n'a pas l'intention de reculer. Mercredi, lui et ses alliés d'extrême droite réagirent avec colère en voyant la Haute Cour accepter des requêtes et disqualifier sa nomination du chef du Shas, Arieh Dery à la tête des ministères de l'Intérieur et de la Santé. Le tribunal qualifia celle-ci de « déraisonnable » et d’inconstitutionnelle étant donné les trois condamnations pénales de Dery, dont une peine de prison, son plaidoyer de culpabilité pour évasion fiscale l'an dernier et sa promesse de se retirer de la vie publique dans le cadre de cet arrangement juridique.

Netanyahou a été contraint de renvoyer Dery. Mais il a déclaré à Dery, en le décrivant comme une « ancre d'expérience, d'intelligence et de responsabilité », que « la décision de la Haute Cour ignore la volonté de la nation, et j'ai l'intention de trouver tous les moyens juridiques possibles pour vous permettre de contribuer au pays ».

Vendredi, le ministre de la Défense et membre du Likoud Yoav Galant a ordonné le retrait de l'avant-poste non autorisé d'Or Haim en Cisjordanie, après que Netanyahou eut soutenu son démantèlement comme concession symbolique au conseiller américain à la Sécurité nationale Jake Sullivan, qui était en visite en Israël.

La visite de Sullivan eut lieu quelques jours avant que Washington et Tel-Aviv ne lancent le plus grand exercice militaire conjoint jamais organisé, préparé avec une rapidité sans précédent, en seulement deux mois. Celui-ci a été conçu pour envoyer un avertissement à l'Iran et souligner l'engagement du gouvernement Biden envers Israël, malgré le caractère fascisant du nouveau gouvernement. L'exercice conjoint, nommé Juniper Oak, comprend 100 avions américains, des chasseurs, bombardiers et avions de ravitaillement volant à l'unisson avec 42 avions israéliens, ainsi que le groupe d’attaque du porte-avions USS George HW Bush.

Les travailleurs israéliens et palestiniens ne doivent pas faire confiance aux politiciens capitalistes qui cherchent à contrôler le mouvement de protestation. La question décisive est la formation d'une direction révolutionnaire pour assurer l'indépendance politique de la classe ouvrière. Cela doit se faire dans une lutte implacable contre toutes ces forces qui cherchent à maintenir l'emprise de l'une ou l'autre aile de l'élite dirigeante, et en unifiant la lutte des travailleurs israéliens et palestiniens avec celle de leurs frères et sœurs de la région – arabes, iraniens, kurdes et turcs – et des centres impérialistes, contre le capitalisme et pour le socialisme. C'est la perspective de la révolution permanente défendue par le Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 24 janvier 2023)

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