Le rôle des DSA dans la trahison de la grève des infirmières de la ville de New York

Les infirmières de l’hôpital Mount Sinai réclament une meilleure dotation en personnel

La grève de trois jours menée par 7.000 infirmières de la ville de New York aux hôpitaux Mount Sinai et Montefiore au début du mois, qui a été sabotée par leur syndicat sans qu’elle ne réponde aux revendications des grévistes, permet aux travailleurs de tirer des leçons essentielles sur l’appareil syndical et ceux qui l’entourent.

Parmi les infirmières, il y avait un soutien pour une lutte plus large qui aurait permis d’unir tous les hôpitaux de la ville, exprimé par une série de votes de grève quasi unanimes. Mais l’Association des infirmières de l’État de New York les a divisés en accords de capitulation séparés, sapant ainsi leur unité.

Les socialistes démocrates d’Amérique (DSA) ont joué un rôle essentiel dans cette capitulation. Cette organisation a également joué un rôle dans la trahison de la lutte pour le contrat des infirmières de Michigan Medicine l’année dernière, en donnant au syndicat une couverture «de gauche». Les DSA sont une organisation de la classe moyenne composée de fonctionnaires syndicaux, de représentants du Parti démocrate et d’autres carriéristes dont le rôle est d’empêcher les travailleurs, qui se radicalisent et se déplacent vers la gauche, de trouver une voie véritablement indépendante.

À l’échelle nationale, les DSA font partie de la direction ou apportent un soutien important à la direction de nombreux grands syndicats. La présidente de l’Association des hôtesses de l’air, Sara Nelson, est membre des DSA et était l’un des principaux candidats à la présidence de l’AFL-CIO.

La conduite des DSA montre que c’est une organisation pro-capitaliste qui n’a rien à voir avec le socialisme. En décembre, Alexandria Ocasio-Cortez et deux autres membres des DSA à la Chambre ont voté pour interdire une grève de 120.000 cheminots. Les DSA ont également joué un rôle clé dans les manœuvres parlementaires qui ont permis aux deux partis de s’unir contre les cheminots, tout en offrant un semblant de couverture politique aux démocrates sur la question des congés maladie. Cela a contribué à une crise majeure qui a éclaté au sein de l’organisation.

Dans le domaine de la santé, le rôle des DSA ne se limite pas simplement à empêcher ou à limiter les grèves.Ils approuvent depuis longtemps la politique d’«immunité collective», axée sur le profit, d’infection massive promue à l’origine par Trump et l’extrême droite, mais désormais approuvée par l’ensemble de l’establishment politique. Le magazine Jacobin, l’organe interne de fait des DSA, a interviewé les signataires de la Déclaration pro-infection de Great Barrington à la fin de 2020, qui appelait à la réouverture des écoles. Par conséquent, les DSA sont politiquement solidaires des politiques de santé qui ont produit le quasi effondrement du système de santé et les conditions mêmes de sous-effectif et de surcharge de travail contre lesquelles les infirmières se battent.

Pendant la grève à New York, les DSA étaient directement impliqués dans l’organisation bureaucratique de la grève et dans les négociations contractuelles. Dans le cadre de leur «Campagne pour le pouvoir syndical», les DSA ont organisé des tables avec l’équipe AOC [l’équipe de campagne d’Alexandria Ocasio-Cortez, membre des DSA] et ont fait la promotion de politiciens du Parti démocrate qui ont pris la parole lors de piquets de grève.

Les DSA de la ville de New York ont une longue histoire avec l’Association des infirmières de l’État de New York (NYSNA). En 2019, selon Politico, la branche new-yorkaise des DSA a ciblé le NYSNA comme l’un des quelques syndicats sur lesquels elle concentrait particulièrement son travail et ses ressources. Un document interne indiquait que «les DSA ont déjà une densité d’infirmières au sein du NYSNA» et qu’un caucus de réforme du NYSNA «a créé une présence active et forte au Montefiore Medical Center».

L’ancienne présidente de la NYSNA, Judy Sheridan-Gonzalez (2013-2021), a des liens étroits avec les DSA et a tenté «de faire basculer les postes de direction du syndicat vers des membres affiliés aux DSA, selon plusieurs personnes au fait de la situation». Sheridan-Gonzalez faisait également partie de l’équipe de négociation contractuelle de 13 membres à Montefiore lors de la récente grève.

Après l’arrêt de la grève, la publication semi-officielle des DSA, Jacobin, a publié un article d’interview d’une infirmière des soins intensifs de Montefiore et membre des DSA, Michelle Gonzalez, avec le titre suivant: «Les infirmières de deux hôpitaux de New York viennent de remporter des victoires historiques lors de la grève». Gonzalez est également membre du comité exécutif de la NYSNA à Montefiore Moses et était également membre du comité de négociation responsable du nouveau contrat. Elle a participé à de nombreux événements et panels des DSA dans le passé.

Dans l’interview, Gonzalez proclame: «C’est une victoire phénoménale pour nous, les infirmières». Interrogée sur les demandes concrètes des infirmières et sur le fait de savoir si elles ont été satisfaites dans l’entente de principe, elle a soulevé l’enjeu du manque de personnel: «Je pense que les infirmières de cette institution sont très démoralisées par le fait d’être à court de personnel tous les jours… Je suis enthousiasmée par le langage que nous avons pu négocier pour les infirmières». La députée démocrate américaine et membre des DSA, Alexandria Ocasio-Cortez, a reflété cette rhétorique sur le parquet de la Chambre des représentants, le jour où la grève des infirmières a pris fin.

En réalité, le nouvel accord de principe des infirmières ne fait rien pour faire respecter des ratios de personnel sûrs. Au contraire, il institutionnalise le sous-effectif en permettant à la direction de violer les ratios de dotation fixés en échange du paiement de pénalités financières figées qui sont inférieures au coût de l’embauche d’infirmières supplémentaires. Les 170 nouveaux postes créés à Montefiore par l’accord représentent moins d’un quart des postes vacants, tandis que les augmentations annuelles de 7, 6 et 5 pour cent seront plus qu’absorbées par l’inflation.

Dans une interview avant la grève avec une autre publication de pseudogauche, Left Voice, Gonzalez a été interrogée sur l’expérience des infirmières du NYSNA en 2019, lorsque le syndicat a empêché qu’une grève soit déclenchée, et sur la façon dont la situation est différente aujourd’hui. Ici, elle a profité de l’occasion pour défendre la division des infirmières par hôpital comme une manœuvre prétendument pragmatique.

«La dernière fois, nous avons participé à des négociations à travers plusieurs hôpitaux et ceux d’entre nous qui étaient favorables à une grève ont été mis en minorité. Nous avons appris que les négociations multi-hôpitaux ne fonctionnent pas pour nous à Montefiore, alors nous négocions séparément». Ces propos ont été repris par Judy Sheridan-Gonzalez lors d’un événement organisé le week-end dernier au People’s Forum de New York, dans le cadre d’un débat sur le livre de Joe Burns, «Class Struggle Unionism» (Sydicalisme de la lutte des classes). Burns est le directeur des négociations collectives pour le syndicat Association of Flight Attendants-CWA et écrit également pour Jacobin.

En réalité, 17.000 infirmières de huit hôpitaux de la ville ont voté à une écrasante majorité pour autoriser la grève. Cela a montré un grand désir d’unité et de mise en place d’une large lutte pour la défense des soins de santé. Le fait que la plupart de ces infirmières ne soient jamais entrées en grève est entièrement dû au fait que la NYSNA a annoncé des accords de principe séparés dans leur dos.

Dans un forum en ligne après la grève, Sean Petty, membre des DSA, membre du comité de négociation de la NYSNA et ancien membre du conseil d’administration de la NYSNA, a longuement répondu à une personne qui avait partagé un article du WSWS sur l’adoption des contrats des infirmières de la NYSNA. La personne a déclaré qu’elle pensait que davantage d’hôpitaux auraient dû se mettre en grève ensemble. Cette personne a commenté que la lutte ressemblait à une trahison de la part des bureaucrates de la NYSNA et qu’elle avait entendu la même chose de la part de travailleurs.

Petty a rejeté ces propos et a salué la grève comme «une victoire de l’“auto-activité” et du militantisme des infirmières de la base et non des bureaucrates». Il a parlé des «avancées majeures» pour les «conditions matérielles des infirmières de la base». Le dirigeant des DSA a ensuite jeté le blâme sur les infirmières pour l’arrêt de la grève, affirmant faussement qu’elles «avaient le contrôle du moment de leur retour, pas les bureaucrates de la NYSNA».

C’est un mensonge. En fait, la NYSNA a annulé la grève avec un court préavis quelques heures seulement à la suite de l’entente de principe. Les infirmières n’ont même pas reçu de copies de l’accord de principe, et encore moins la possibilité de voter sur celui-ci, avant que les piquets de grève ne soient levés, afin de briser l’élan des infirmières et de mieux assurer l’adoption des contrats.

Pour couvrir les traces de la bureaucratie, il a ensuite rendu les infirmières elles-mêmes responsables du fait qu’elles étaient divisées par hôpital, prétendant que, malgré les votes de grève quasi unanimes, une lutte unifiée des infirmières était à la fois impossible et impopulaire. «Le personnel de la NYSNA… n’avait pas et n’a pas l’influence nécessaire pour pouvoir “faire débrayer tous les hôpitaux en même temps”. L’idée que cette idée puisse même être soulevée révèle une naïveté assez grande quant à l’état actuel de la conscience». Cela renverse totalement la réalité. Les infirmières voulaient toutes débrayer ensemble; c’est la bureaucratie syndicale qui ne voulait pas qu’elles le fassent.

Plus les travailleurs font grève pour défendre leur emploi et leur niveau de vie, plus ils se heurtent à un système corporatiste bien développé de contrôle sur eux, qui combine la bureaucratie syndicale à l’appareil d’État et à la direction des entreprises. Les DSA se révèlent être un élément important de cette conspiration.

Les travailleurs doivent savoir qui sont leurs amis et qui sont leurs ennemis. Le droit à un véritable contrôle de la base signifie mettre à nu les méthodes et les acteurs de cette conspiration, y compris les DSA. Cela signifie également une lutte contre la répression bureaucratique de leurs luttes par la formation de comités de la base, c’est-à-dire de nouveaux organes démocratiques de pouvoir dirigés par les travailleurs eux-mêmes et non par l’appareil bureaucratique: des organes pour unir les travailleurs et non pour les diviser.

(Article paru en anglais le 27 janvier 2023)

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