Blinken en Israël : préparation d’une guerre avec un allié en crise

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a rencontré le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et d'autres hauts responsables lundi, pour des entretiens sur la crise politique croissante en Israël et sur les opérations militaires conjointes américano-israéliennes visant l'Iran.

Netanyahou souhaitait manifestement que l'accent soit mis sur le second de ces sujets, mais dans ses remarques publiques lors de leur rencontre, Blinken a clairement indiqué que l'inquiétude grandit à Washington face à la situation politique explosive qui se développe tant dans les territoires occupés qu’au sein même de l'État juif.

Le gouvernement Biden est clairement inquiet de ce que les événements de janvier ne déstabilisent le régime israélien et remettent en question sa capacité à servir de principal bastion de l'impérialisme américain au Moyen-Orient.

Le degré d'inquiétude est visible dans l'extraordinaire suite de hauts responsables américains à visiter Jérusalem au mois de janvier: d'abord le conseiller à la Sécurité nationale Jake Sullivan, puis le directeur de la CIA William Burns, et maintenant le secrétaire d'État Blinken.

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, à gauche, rencontre le président israélien Isaac Herzog le lundi  30  janvier 2023 à Jérusalem. [AP Photo/Ronaldo Schemidt/Pool] [AP Photo/Ronaldo Schemidt/Pool]

Netanyahou a assemblé un gouvernement d’extrême droite, dirigé par son parti Likoud, le parti traditionnel de la droite israélienne, mais avec la participation de partis fascistes basés sur les colons de Cisjordanie et de partis ultra-religieux qui cherchent à réprimer non seulement les Palestiniens mais aussi les secteurs plus laïcs de la population juive.

En partie dans le but de bloquer les poursuites contre lui pour corruption – ainsi que des poursuites similaires à l'encontre de plusieurs alliés politiques clés – Netanyahou recherche une série de changements dans la structure politique israélienne qui supprimeraient le procureur général et aboliraient l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Israël n'a pas de constitution écrite ni de garantie des droits démocratiques fondamentaux et le précédent gouvernement Netanyahou a officiellement déclaré Israël « État-nation du peuple juif », réduisant les Palestiniens à un statut de seconde classe, semblable à l'apartheid.

La dernière proposition visant à neutraliser le pouvoir judiciaire, considéré par la population comme la dernière ligne de défense indépendante des droits démocratiques, a suscité une opposition massive. Plusieurs grandes manifestations ont rassemblé à Tel Aviv jusqu'à 100 000 personnes, dans un pays qui ne compte que 7 millions d'habitants.

Blinken a fait dans ses remarques publiques une référence explicite à ces manifestations, une violation inhabituelle de la posture diplomatique traditionnelle selon laquelle les affaires intérieures d'un pays ne regardent que lui. Manifestement pas par souci pour les droits démocratiques en général, l'émissaire américain venant de passer une journée en Égypte à papoter avec le dictateur militaire sanguinaire Abdel Fattah al-Sisi.

Un autre facteur de déstabilisation, auquel Blinken a consacré la majeure partie de ses commentaires publics, est la vague de violence en Cisjordanie et à Jérusalem, provoquée par un raid israélien jeudi dans la ville de Jénine (Cisjordanie), qui a fait dix morts palestiniens.

Cette attaque a été suivie d'un attentat suicide perpétré par un Palestinien isolé contre une synagogue de Jérusalem vendredi soir, qui a fait sept morts. Samedi, un Palestinien de 13 ans a ouvert le feu sur deux Israéliens, un père et son fils, les blessant tous deux. Dimanche, de nombreuses attaques de colons contre des Palestiniens ont eu lieu en Cisjordanie. Selon certaines informations, on a enregistré jusqu'à 150 incidents violents au cours du week-end.

Lundi, dans la ville occupée d'Hébron, les forces militaires israéliennes ont ouvert le feu sur une voiture censée rouler de manière suspecte, tuant le conducteur, Nassim Abu Fouda, 26 ans, d'une balle dans la tête.

Dans les remarques d'introduction adressées à Netanyahou et dans celles, publiques, qui ont suivi, Blinken a appelé à une fin de la violence, c'est-à-dire aux actions des Palestiniens, des colons et d'autres justiciers juifs. Il n'a fait aucune référence au massacre israélien ayant déclenché la série actuelle d'attaques, sans parler de formuler une critique.

Après ses rencontres avec Netanyahou et d'autres membres du cabinet, Blinken s’est rendu mardi à Ramallah, en Cisjordanie, où siège l'Autorité palestinienne, pour s'entretenir avec le président Mahmoud Abbas, âgé de 87 ans. On s’attendait à ce qu'il intimide l'Autorité palestinienne pour qu'elle rétablisse sa coopération officielle avec les forces de sécurité israéliennes dans leurs actions de répression de la population palestinienne de Cisjordanie. Cette coopération a été suspendue après l'assaut sanglant de Jénine.

Il est probable que les entretiens à huis clos entre Blinken et Netanyahou aient traité brièvement de la crise interne et accordé une attention beaucoup plus grande à l'agressivité militaire croissante d'Israël et des États-Unis à l’encontre de l'Iran.

Une planification active est sans aucun doute en cours pour de nouvelles actions après l'attaque de samedi sur la ville iranienne d'Ispahan, où des cibles militaires ont été frappées par de petits drones apparemment lancés en Iran par des agents israéliens. Les rapports sont contradictoires sur la nature des cibles et l'étendue des dégâts, mais la ville est un centre des opérations aériennes et spatiales iraniennes.

Le Pentagone a déclaré dimanche que l'armée américaine n'avait joué aucun rôle dans l'attaque, mais comme l'a souligné le journal conservateur Jerusalem Post, « il y a toutes sortes de façons d'analyser la déclaration du Pentagone que les États-Unis n'ont pas été impliqués militairement dans l'attaque de drone. Aurait-il pu être impliqué sur le plan renseignement ou cybernétique ?'

Netanyahou a fait des menaces de guerre en vue de contrer la menace supposée d'un Iran doté de l'arme nucléaire sa carte de visite politique. Il s'est catégoriquement opposé à l'accord nucléaire de 2015 entre l'Iran et six grandes puissances, dont les États-Unis, et a salué le gouvernement Trump pour s'être retiré de l'accord et l'avoir effectivement ruiné.

L'administration Biden s'est rapprochée de la position israélienne suite au déclenchement, en février dernier, de la guerre par procuration des États-Unis et de l'OTAN contre la Russie en Ukraine. La Russie se serait appuyée sur des drones de fabrication iranienne comme arme efficace contre des cibles ukrainiennes, bien que l'Iran affirme que ces drones ont été fournis avant que la guerre ne commence.

Un collaborateur du président ukrainien Volodymyr Zelensky a ouvertement fait le lien entre l'attaque de drones israéliens sur Ispahan et l'utilisation de drones iraniens en Ukraine. Les médias américains ont beaucoup spéculé sur le fait que le gouvernement Biden cherche le moyen de perturber la production de drones iraniens ou d'exercer des représailles contre Téhéran pour son alliance de fait avec la Russie.

Début janvier, les États-Unis et Israël ont effectué les exercices militaires conjoints les plus importants de leur histoire, impliquant 7 500 soldats et des forces aériennes, maritimes et terrestres. Dans une interview accordée à CNN lundi soir, le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, a déclaré que ces exercices étaient principalement dirigés contre l'Iran, qu'il a qualifié de principale menace pour la sécurité des intérêts américains au Moyen-Orient et de l'État d'Israël.

(Article paru d’abord en anglais le 31 janvier 2023)

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