Perspectives

La catastrophe du séisme en Turquie et en Syrie est une condamnation du capitalisme

Avant-hier, deux puissants tremblements de terre ont secoué la région frontalière turco-syrienne. Un séisme de magnitude  7,7 sur l’échelle de Richter tôt le matin, ayant pour épicentre la ville de Kahramanmaraş, dans le sud de la Turquie fut suivi d’une réplique massive,de magnitude  7,6, dans l’après-midi. Ces tremblements de terre, ressentis jusqu’au Liban et à Chypre ont fait des milliers de morts et des dizaines de milliers de personnes ensevelies sous les décombres attendent désespérément d’être secourues.

En Turquie, les séismes ont détruit au moins 6.200  bâtiments, tué 2991 personnes et en ont blessé 16.000 dans 10  villes où vivent plus de 15  millions de personnes. Les hôpitaux, les routes et les aéroports ont tous été détruits ou endommagés, et les dégâts subis par les transformateurs électriques et les conduites de gaz naturel entraînent des coupures généralisées de courant et de gaz.

Des personnes et des équipes de secours recherchent des personnes dans les décombres d’un bâtiment détruit à Gaziantep, en Turquie, lundi  6  février 2023. [AP Photo/Mustafa Karali]

En Syrie, pays dévasté par la guerre de changement de régime de 12  ans menée par l’OTAN, le bilan confirmé a déjà dépassé 1.300  morts. La guerre en cours empêche les équipes de secours d’atteindre de nombreuses régions. Certaines parties du nord-ouest de la Syrie sont sous le contrôle de l’armée turque et de ses mandataires islamistes. Le nord-est de la Syrie est lui sous le contrôle des forces américaines et de leurs alliés nationalistes kurdes.

Malheureusement, de nombreuses personnes sont encore coincées sous des bâtiments effondrés, tant en Turquie qu’en Syrie, et le bilan des victimes devrait s’alourdir considérablement. Des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de passer la nuit dans des températures glaciales ou dans des bâtiments endommagés par le séisme. L’Organisation mondiale de la santé a prévenu que le nombre de morts pourrait être multiplié par huit et atteindre près de 30.000.

Le gouvernement du président Recep Tayyip Erdoğan a déclaré sept jours de deuil national, mais les habitants de la zone touchée par le tremblement de terre sont largement livrés à eux-mêmes.

Seuls 9.000  secouristes turcs ont été mobilisés et aucune équipe officielle n’est encore arrivée dans de nombreux endroits. Des mineurs de différentes provinces se portent volontaires pour se rendre dans la région et participer aux efforts de recherche et de sauvetage. Si le gouvernement turc se vante de produire des drones tueurs et des missiles de longue portée capables de frapper Athènes, les personnes qui tentent de sauver leurs amis et leurs proches sous les décombres doivent, elles, travailler avec des pioches et des pelles.

La bourse d’Istanbul a résumé ainsi la réaction insensible de l’oligarchie financière à la catastrophe du tremblement de terre : les actions des cimenteries y ont explosé.

Le nombre massif de victimes de ces tremblements de terre est une tragédie entièrement évitable et largement prévue. En réalité, il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle, mais d’un crime social dont le système capitaliste porte la responsabilité.

Les tremblements de terre de lundi se sont produits dans la deuxième région la plus sismique du monde, la «ceinture alpine». Située sur des lignes de faille majeures, elle a un long passé de catastrophes sismiques. Le tremblement de terre de Marmara, en Turquie, en 1999, a tué près de 18.000  personnes et en a blessé des dizaines de milliers, selon les statistiques officielles.

Les scientifiques avaient de plus en plus mis en garde contre l’imminence de la catastrophe d’avant-hier et imploré les pouvoirs publics de renforcer les bâtiments. Ils avaient prévenu que ne pas le faire aurait un coût épouvantable en vies humaines.

Après le tremblement de terre d’Elazığ (Turquie) en janvier 2020, Hüseyin Alan, le président de la Chambre des ingénieurs en géologie, a déclaré qu’outre İstanbul, 18  centres-villes – dont Kahramanmaraş et Hatay qui ont subi d’importants dégâts lors du séisme de lundi – étaient situés sur des «failles actives à fort potentiel sismique». En cas de séisme majeur, les bâtiments de ces régions seraient «détruits».

Le professeur Naci Görür, l’un des géologues les plus respectés de Turquie et partisan de la construction de villes antisismiques, a longtemps insisté pour comparer le Japon à la Turquie. Il a écrit que seules quatre personnes étaient mortes des dommages causés par séisme de Fukushima, de magnitude  7,4, en 2022, alors que 20.000  personnes étaient mortes dans celui de Marmara, de même magnitude, en 1999. Cela montre que pratiquement tous les décès dus au séisme d’hier à Kahramanmaraş étaient évitables.

Görür attire l'attention sur le danger des tremblements de terre majeurs dans cette région depuis des années. Dans une émission de télévision lundi soir après le tremblement de terre, Görür a déclaré que son équipe avait préparé un projet pour prévenir ces pertes, mais que les autorités l'avaient ignoré.

Görür a de nouveau mis en garde contre un tremblement de terre majeur à Istanbul. Un séisme de magnitude  7 est attendu dans cette mégapole d’au moins 16  millions d’habitants. Alors que la mairie d’Istanbul, contrôlée par le Parti républicain du peuple (CHP), parti de l’opposition bourgeoise, prétend qu’il ne causerait «que» 14.000  morts, Görür prédit que le nombre réel de victimes pourrait dépasser les 400.000.

La construction de logements antisismiques est un problème mondial crucial que le capitalisme s’est révélé incapable de résoudre. Un article publié en 2021 dans l’International Journal of Disaster Risk Science par des scientifiques chinois, australiens, américains, canadiens et allemands, révélait qu’en 2015, un nombre stupéfiant de gens (1,5  milliard) vivaient dans des zones exposées aux tremblements de terre. Ce nombre augmente rapidement, principalement dans les pays vulnérables du Moyen-Orient et de l’Asie centrale et du sud, comme l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh.

Aujourd’hui, développement de la science et de l’industrie est tel que des villes antisismiques pourraient être construites dans le monde entier. Pourquoi les infrastructures sociales sont-elles constamment négligées? Pourquoi l’appel à réaménager les villes et à rénover les bâtiments pour les rendre résistants aux séismes est-il ignoré, tout comme les appels à se préparer aux secours et aux traitements post-séismes?

Les séismes de lundi se sont produits à l’épicentre de la campagne des guerres impérialistes menées depuis trois décennies au Moyen-Orient par les puissances de l’OTAN sous la direction des États-Unis, suite à la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991. Les guerres en Irak, en Afghanistan et en Syrie, ont coûté des milliers de milliards de dollars et des millions de vies. La Syrie a été dévastée par une guerre de l’OTAN par procuration qui dure depuis 12  ans, a coûté la vie à plus de 500.000  personnes et en a déplacé plus de 10  millions.

De nombreux réfugiés syriens ayant fui la Syrie pour sauver leur vie et vivant dans la pauvreté dans le sud de la Turquie ont été abandonnés à leur sort après le tremblement de terre.

Des dizaines d’États de l’OTAN ont fait des déclarations symboliques sur l’envoi d’aide à leur allié turc, tout en ignorant largement les victimes de la même catastrophe en Syrie. Celle-ci reste sous un régime de sanctions américaines paralysantes qui prive sa population de l’accès aux ressources, médicales et autres, dont elle a désespérément besoin, non seulement pour faire face à la catastrophe actuelle, mais encore pour soutenir sa vie au quotidien.

En réalité, les dirigeants des gouvernements impérialistes, qui présentent hypocritement leurs condoléances aux victimes du séisme, sont les premiers responsables de la guerre en Syrie et du gaspillage catastrophique de richesse sociale pour la guerre, plutôt que pour la santé et la sécurité publiques.

Toutes les grandes questions sociales d’aujourd’hui, y compris la prévention des catastrophes naturelles, sont par nature des problèmes mondiaux qui nécessitent une solution socialement coordonnée. Mais les intérêts du profit privé de la bourgeoisie et la division du monde en États-nations rivaux font obstacle à toute réponse progressiste. C’est pourquoi on n’a vu aucune réponse scientifique mondiale à la pandémie de COVID-19 ou au changement climatique planétaire.

Au lieu de quoi les puissances impérialistes, dont la politique criminelle du «laisser sévir» face à la pandémie de COVID-19 a conduit à la mort de plus de 21  millions de personnes dans le monde, menacent à présent l’humanité entière d’une troisième guerre mondiale en intensifiant leur guerre contre la Russie en Ukraine.

L’obstacle à une réponse planifiée et rationnelle aux problèmes sociaux urgents ne peut être éliminé que par une attaque frontale menée par la classe ouvrière internationale contre le pouvoir et la richesse de la classe dirigeante, en subordonnant ainsi le profit privé aux besoins de la société. La dévastation évitable des tremblements de terre de lundi démontre une fois de plus la nécessité urgente de remplacer le capitalisme par le socialisme mondial.

(Article paru d’abord en anglais le 7 février 2023)

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