Espagne: les travailleurs d’Amazon lancent une grève illimitée contre la fermeture de l’entrepôt de Martorelles

Les travailleurs d'Amazon ont lancé la semaine dernière une grève illimitée contre la décision du géant du commerce en ligne de fermer sa plate-forme logistique de Martorelles, au nord de Barcelone, supprimant 800 emplois. Ce centre logistique de 30 000 mètres carrés, inauguré en octobre 2017, doit fermer le 22 avril.

L'entreprise affirme qu'elle reclassera ses employés dans des centres situés dans d'autres villes. La vérité est que cette fermeture signifiera le licenciement de la majeure partie d'une main-d'œuvre ne pouvant pas déménager dans des villes comme Gérone ou Saragosse qui est à des centaines de kilomètres. Il n’offre que des réaffectations vers les usines de Barcelone, les plus proches de Martorelles, qu'à 190 travailleurs, soit 20 pour cent des salariés de la plate-forme.

Plate-forme logistique d’Amazon à San Fernando de Henares, Espagne [Photo: Wikipedia/Álvaro Ibáñez]

Ce qu'Amazon propose, ce n'est pas un reclassement, mais un licenciement collectif, moins le coût économique et d'image que cela entraînerait. Telle est la principale préoccupation du géant de commerce en ligne avec une capitalisation boursière actuelle de 1 000 milliards de dollars.

L'entreprise refuse de donner les raisons de la fermeture, affirmant qu'elle fait simplement partie de sa « stratégie commerciale ». Les causes sous-jacentes sont cependant très claires. En transférant le centre dans la province de Saragosse, Amazon économisera environ 30 pour cent de salaires ou plus. En effet, Amazon n'a pas de convention collective propre et les contrats des travailleurs sont régis par des accords au niveau des provinces. Celui de Saragosse a des conditions de travail et des salaires inférieurs à ceux de Barcelone, où se trouve la ville de Martorelles.

Les travailleurs perdraient également d'autres avantages de l'accord de Barcelone, comme les primes de nuit ou les week-ends.

Si une entreprise qui emploie 20 000 salariés en Espagne dans des dizaines de centres à travers le pays n’a pas de convention collective propre garantissant un salaire minimum et certaines conditions de travail à ses travailleurs, cela tient avant tout au rôle des syndicats. Ceux-ci ont systématiquement collaboré avec Amazon pour imposer des bas salaires, la précarité et des pratiques abusives qui ont pendant des années mutilé et blessé des milliers de travailleurs tout en rendant les actionnaires d'Amazon extrêmement riches.

Les travailleurs ne reçoivent aucune prime de risque bien qu'ils utilisent des machines lourdes et soient soumis à des mécanismes de contrôle très sévères pour vérifier leurs mouvements et évaluer leur productivité.

La baisse de salaire sera particulièrement dure pour les salariés de bas niveau qui passeront de 1 500 euros par mois au salaire minimum de 1 050 euros. Après que la grève a commencé, l'entreprise a offert aux travailleurs un paiement unique de 6 000 euros d'indemnisation – un chiffre qui, même avec cette augmentation, ne leur permettra guère de faire face au coût économique d'un déménagement pour vivre avec un salaire bien pire, à des centaines de kilomètres de leur foyer.

Ceux qui n'acceptent pas d'être mutés seront licenciés avec une indemnité de 23 jours par année d’ancienneté, bien en deçà de ce qu'ils toucheraient pour un licenciement normal. Amazon économise ainsi 20 à 30 millions d'euros de compensation.

« Comment je vais aller travailler à Saragosse ou Figueras si je viens d'acheter un appartement? », a déclaré un travailleur à El Dario.es qui a rejoint les piquets de grève à Martorelles.Un autre a dit: « ils nous manquent de respect, ils nous maltraitent ».

Une travailleuse qui a deux enfants a déclaré qu'elle ne pouvait même pas envisager d'être transférée et que, de plus, « personne ne [lui] assure que dans quelques années, ils ne [lui] feront pas la même chose et ne la mettront pas à la rue ». Elle a insisté pour dire « non au transfert, c'est une fermeture manigancée ». Un autre travailleur a fait remarquer qu’« à Noël, ils nous ont dit que nous avions battu le record de production et une semaine plus tard, on a découvert qu'ils allaient fermer. »

Sous une pression croissante, les bureaucraties syndicales ont appelé à la grève. Dans un premier temps, le principal syndicat de l'usine de Martorelles, l'UGT social-démocrate, proche du parti au pouvoir, le Parti socialiste (PSOE), a accepté la fermeture. L'UGT a colporté des illusions sur les intentions d’Amazon, déclarant « que l'entreprise présentera des options viables et équitables » aux travailleurs licenciés.

Le 23 janvier, deux semaines après l'annonce de la fermeture, l'UGT refusait toujours tout appel à la grève, sans parler d’une mobilisation de couches plus larges de travailleurs contre la fermeture, chez Amazon et dans d'autres entreprises.

La présidente du comité d'entreprise, Esther Rodríguez, a appelé à « poursuivre les négociations » et à rencontrer l'entreprise « pour voir comment les négociations se déroulent ». Rodríguez a confirmé que le climat était « très chaud » car « ce que l'entreprise propose est une bagatelle ». En conséquence, a-t-elle dit, les travailleurs étaient «prêts à faire des mobilisations ». Ce sont les dirigeants syndicaux qui n'étaient pas disposés à mobiliser les travailleurs et ont continué à repousser la grève.

Les bureaucraties syndicales ont seulement proposé de reclasser les travailleurs dans des centres de la même province et d'améliorer les indemnités de licenciement ou de transfert, mais elles ont refusé de s'opposer à la fermeture de l'usine, qui aura de lourdes conséquences dans toute la ville. Outre les 800 emplois directs, des centaines d'emplois indirects seront perdus en plus de tous les investissements publics réalisés lors de l'installation du centre logistique d’Amazon à Martorelles en 2017, il y a à peine cinq ans.

Malgré que les conditions de travail soient difficiles dans tous les entrepôts d'Amazon en Espagne comme à l'international, les bureaucraties syndicales s'efforcent d'isoler les travailleurs de Martorelles. La section UGT d'Amazon à Saragosse a même donné son feu vert à la fermeture de Martorelles. Elle a célébré le transfert du centre dans cette ville, déclarant qu'il consolidait « Saragosse en tant que plate-forme logistique, mais aussi en tant que référence en matière de conditions de travail et de respect de la législation du travail».

Mardi se tiendra la sixième réunion entre les syndicats et Amazon au siège du département du Travail du gouvernement régional catalan, qui fait office de médiateur. C'est le même endroit où a eu lieu la médiation pour l'usine Nissan de Barcelone, en août 2020. Ensuite, avec un cynisme sans bornes, les bureaucraties syndicales ont signé un accord fermant les trois sites de Nissan à Barcelone, supprimant directement plus de 2 500 emplois. 20 000 emplois supplémentaires ont été perdus chez les sous-traitants et les travailleurs des équipementiers dépendant des usines automobiles.

Les travailleurs doivent assimiler les leçons de ces luttes. Amazon, comme Nissan avant lui, lance contre eux une offensive mondiale. Rien qu'en janvier, 18 000 employés d'Amazon ont été licenciés dans le monde. Cela n'inclut pas les licenciements déguisés comme ceux de Martorelles ou ceux en cours en Angleterre avec des stratégies similaires, à Doncaster, Hertfordshire et Gourock, touchant 1 300 travailleurs. Comme à Martorelles, on les licencie indirectement, avec des offres de reclassements impossibles.

Une telle offensive mondiale ne peut être combattue qu'en unissant les travailleurs d'Espagne, de Grande-Bretagne et de tous les centres d'Amazon dans le monde, dans une lutte commune pour battre les attaques de l'entreprise. C'est quelque chose que les syndicats ne peuvent pas faire et ne feront pas. Leurs intérêts directs consistent à collaborer avec Amazon pour rendre «ses» travailleurs plus rentables pour l'entreprise, que cela se joue entre des villes comme Saragosse ou Barcelone, entre différents pays d'Europe ou du monde.

L'International Amazon Workers Voice [Voix internationale des travailleurs d’Amazon] aide les travailleurs à mettre en place un réseau de comités de la base dans les entrepôts et pour établir des lignes de communication entre travailleurs des différents sites et organiser une résistance collective aux diktats de l'entreprise. Ces comités ont pour but le contrôle ouvrier sur les cadences du travail, les délais de livraison et l’organisation de grèves pour faire respecter l’hygiène et la sécurité des travailleurs. Ils peuvent constituer la base d’une extension de la lutte et du soutien des travailleurs de Martorelles parmi les travailleurs d'Amazon dans toute l'Espagne et à l'international.

(Article paru en anglais le 20 février 2023)

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