LO veut imposer à la mobilisation ouvrière le diktat de bureaucraties syndicales pro-Otan

L’explosion de luttes ouvrières à travers l'Europe met à nu le fossé de classe qui sépare le mouvement des travailleurs d'une série de partis de pseudo-gauche orientés vers les bureaucraties syndicales sur la base d’une perspective nationale. C’est notamment le cas de Lutte Ouvrière (LO). LO cherche à canaliser les travailleurs derrière les appareils syndicaux qui négocient l’austérité avec Macron et déclarent leur soutien à la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine.

En répandant l’illusion que les travailleurs peuvent faire pression sur les appareils syndicaux et en cachant le soutien de ces appareils pour la guerre de Macron en Ukraine, LO tente d’empêcher les travailleurs de les déborder et de construire d’autres organisations de lutte, à la base. Dans la déclaration « Pour les retraites et les salaires, pour une véritable riposte ouvrière », LO dit que la réforme des retraites « a réussi à construire l'unité syndicale contre leur réforme. Et, alors qu’ils misaient sur une certaine résignation, ils ont suscité la colère dans le monde du travail. »

En fait, l’opposition des dirigeants syndicaux à la réforme des retraites de Macron n’est que superficielle et cynique. Ils ont négocié cette réforme pendant des mois avec Macron, et ils soutiennent la guerre menée par Macron. Ils appellent des manifestations car ils craignent d’être débordés par la base. Mais en même temps, ils négocient en coulisse avec l’État et ils s’opposent à une entrée des cheminots, des raffineurs et d’autres travailleurs en une grève reconductible qui pourrait provoquer une explosion sociale en France et à travers l’Europe.

LO laisse entendre, par contre, que Macron est si fort que l’on peut seulement espérer que la bureaucratie syndicale le convaincra de changer d'avis. LO écrit : « Bien des travailleurs considèrent que la partie est difficile, car Macron a été réélu et dispose, avec le soutien des Républicains, d’une majorité à l’Assemblée.»

Les travailleurs et les jeunes qui entrent massivement en lutte réfutent le pessimisme de LO. Par dizaines ou centaines de milliers ou le plus souvent par millions, les travailleurs se mobilisent contre l’inflation et la guerre en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne, en France, au Portugal, en Finlande, au Danemark, et au-delà. Ce puissant mouvement, conjugué à une guerre Otan-Russie, marque l’émergence d’une situation objectivement révolutionnaire.

A partir d’une lecture pessimiste et fausse de la situation, LO insiste par contre que la seule voie pour la classe ouvrière est de faire pression sur les appareils syndicaux pour qu’ils convainquent Macron de retirer sa réforme. LO écrit :

« Plusieurs autres gouvernements ont dû, par le passé, manger leur chapeau après avoir pourtant affirmé, comme le Premier ministre Juppé en 1995, être ‘droit dans [ses] bottes’. Plus récemment, en décembre 2019 et janvier 2020, les grèves à la SNCF et à la RATP et les nombreuses manifestations ont mis en échec une précédente réforme des retraites, à laquelle le gouvernement a renoncé en prenant argument de la pandémie. »

En fait, une crise révolutionnaire est en train de poindre à travers l’Europe. Tous les mécanismes politiques qui stabilisaient tant bien que mal le capitalisme en 1995, quelques années à peine après la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991, se sont effondrés. Le régime capitaliste post-soviétique russe et l’OTAN sont à présent en guerre. Tous les droits sociaux remportés par la classe ouvrière en Europe après la défaite des nazis par l’Union soviétique sont constamment attaqués depuis 30 ans.

Au long de la période depuis la dissolution stalinienne de l’Union soviétique, la base ouvrière des syndicats s’est effondrée sur fond de trahisons éhontées par les appareils. Les mêmes confédérations que LO salue aujourd’hui ont en 1995 mis fin à la grève des cheminots contre la réforme de Juppé, dont des plans entiers ont été adoptés. Depuis, des mobilisations ouvrières étroitement contrôlées par les appareils syndicaux se sont soldées par des défaites à répétition et l’adoption de réformes des retraites sous Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron.

En 2020, Macron a d’abord imposé sa réforme en attendant simplement la fin d’une longue grève à la SNCF et à la RATP contre lui. Épuisés financièrement, car ils ne recevaient aucune aide sérieuse des appareils syndicaux, les travailleurs ont dû rentrer au travail, après quoi Macron a fait adopter sa réforme à l’Assemblée.

Macron l’a pourtant retirée au début de la pandémie de COVID-19. Alors qu'il s'apprêtait à donner des milliards d'euros aux grandes entreprises et que les travailleurs à travers l'Europe se mobilisaient contre l’inaction des gouvernements capitalistes contre le virus, Macron a jugé qu’imposer sa réforme serait un geste trop provocateur. Il craignait une explosion sociale qui aurait totalement débordé les appareils syndicaux.

L’effondrement l’ordre mondial établi après la dissolution stalinienne de l’Union soviétique, dominé par les guerres impérialistes menées avant tout par Washington et le diktat d’austérité de l’oligarchie financière, révèle le vrai caractère des tendances politiques. Un gouffre sépare le Comité international de la IVe Internationale (CIQI), la direction du mouvement trotskyste mondial, d’organisations petite-bourgeoises comme LO.

Le pessimisme de LO et son orientation nationale vers des négociations petite-bourgeoises d’appareil avec l’État reflète son hostilité congénitale envers une perspective révolutionnaire. LO descend d'un groupe dirigé par Robert Barta pendant les années 1930 et 1940. Ce groupe a rejeté la fondation de la IVe Internationale par Trotsky en 1938 pour défendre de la tradition internationaliste de la révolution d’Octobre 1917 contre la bureaucratisation stalinienne de l’État soviétique.

Barta a avancé l’argument, vite réfuté par l’histoire, qu’il aurait été le critique prolétarien d’une IVe l’Internationale qui aurait été petite-bourgeoise. Son groupe a été inactif au début de l’Occupation nazie, alors que la IVe Internationale luttait pour soulever les travailleurs d’Europe contre Hitler. Quand il a repris l’activité suite à la défaite des nazis par l’Union soviétique à Stalingrad en 1943, il a caché son inactivité en taxant la IVe Internationale d’opportunisme national, parce qu’elle luttait pour soulever les travailleurs de nations opprimées par le nazisme et la collaboration.

En 1956, des forces proches de la Nouvelle Gauche et des futurs fondateurs du PS ont fondé Voix ouvrière, le nom de LO avant 1968, autour d’un ex-militant du groupe Barta. Ils ont conservé de Barta son pessimisme essentiellement nationaliste. Ils ont ensuite cherché des alliances avec des forces pablistes qui avaient rompu avec le CIQI en 1953 pour chercher des alliances avec des appareils staliniens et nationalistes bourgeois. VO/LO s'est parfois dit trotskyste, mais n'a jamais rompu avec une orientation nationale envers la bureaucratie syndicale.

Aujourd’hui, ceci l’aligne sur le soutien des appareils syndicaux pour la guerre contre la Russie. Dans sa déclaration, LO évoque brièvement l’escalade militaire de l’OTAN mais évite de lier la lutte contre la réforme à la lutte contre la guerre. LO écrit, « Le contexte est celui d’un approfondissement de la crise, à laquelle s’ajoutent des menaces de guerre de plus en plus fortes ».

Le Parti de l’égalité socialiste (PES), section française du CIQI, appelle à rallier les travailleurs à l’international y compris ukrainiens et russes, à une lutte contre la guerre, tâche inséparable de la lutte contre l'austérité. Pour le PES, les travailleurs doivent déborder les appareils syndicaux qui négocient l’austérité avec les État capitalistes et étouffent l'opposition ouvrière à la guerre. Ceci nécessite la construction de comités de la base, indépendants des appareils syndicaux, et de l’Alliance ouvrière internationale des comités de la base.

Pour subordonner la classe ouvrière aux appareils syndicaux, LO prétend que les confédérations syndicales, malgré leur orientation contre-révolutionnaire, feront pression sur Macron. Le fait même de vouloir canaliser les luttes ouvrières, écrit LO, leur imposera l’obligation d’imposer des politiques qui ne fâchent pas trop les travailleurs : « Leur intérêt est de montrer qu’elles sont des interlocuteurs indispensables, mais aussi qu’elles méritent ce rôle en montrant leur capacité à contrôler les réactions des travailleurs».

Cette affirmation cynique soulève de multiples questions. Si leur intérêt est de servir d’ « interlocuteurs indispensables» à Macron, qui mène une politique de guerre impérialiste contre la Russie et d’austérité sociale, pourquoi les appareils syndicaux ne continueront-ils pas plutôt à soutenir la guerre et à trahir les grèves? Et si les appareils veulent contrôler et étouffer les luttes ouvrières, pourquoi LO n’appelle-t-il jamais à briser leur influence ?

LO sait qu’une énorme colère monte parmi les travailleurs. La possibilité, ou de son point de vue le risque, que les travailleurs débordent les appareils syndicaux, et ainsi les dirigeants de LO présents dans ces appareils, monte sans relâche. Alors, ils proposent d’établir de fausses organisations de la base pilotés par des éléments de mèche avec les appareils syndicaux.

LO écrit : « Quoi qu’il en soit, les travailleurs ne peuvent pas leur donner de chèque en blanc et s’en remettre entièrement aux directions syndicales pour diriger une riposte qui les concerne tous. Il faut que, dans les entreprises et les secteurs en lutte, les travailleurs se donnent les moyens de décider de leur mouvement, il faut que se mettent en place des assemblées générales et des comités de grève démocratiquement élus. »

Mais LO ne propose pas de construire ces organisations afin de lutter pour le renversement du capitalisme et la prise de pouvoir par la classe ouvrière. Elles auraient vocation, selon l’argument absurde de LO, à entraîner une masse suffisante de la classe ouvrière pour convaincre la bourgeoisie à retirer sa réforme afin de sauver le capitalisme. Ceci permettrait ensuite d’obtenir des réformes sous la domination bourgeoise, écrit LO :

« Eh bien, si des secteurs importants de la classe ouvrière se lancent dans le mouvement, si celui-ci est suffisamment déterminé, c’est la bourgeoisie elle-même qui ira demander à son valet Macron de retirer sa réforme. Et face à une classe ouvrière renforcée, mobilisée et consciente, il deviendra possible d’imposer d’autres reculs au pouvoir politique et au patronat. »

Ceci relève non pas de la réalité, mais des rêves réformistes de politique-fiction des bureaucrates qui dirigent LO. Si la bourgeoisie internationale et française était si raisonnable, elle ne mènerait pas une guerre entre grandes puissances nucléaires et une politique d’appauvrissement des masses. En fait, LO sous-estime massivement la profondeur de la crise de la bourgeoisie, tout comme elle sous-estime le pouvoir et la volonté de lutte de la classe ouvrière internationale.

Le PES souligne que le capitalisme vit une crise mortelle, pas moindre que celle qu’il vivait alors que Hitler préparait la guerre en Europe et que Trotsky fondait la IVe Internationale. Le PES s’oppose à toute tentative de diviser la classe ouvrière sur des lignes nationales en subordonnant ses luttes aux appareils syndicaux. La lutte des droits démocratiques et sociaux, menacés à travers l’Europe et le monde, nécessite l’unification de la classe ouvrière au niveau international sur la base d’une perspective socialiste révolutionnaire.

Alors que les travailleurs de toute l'Europe lancent des luttes contre la perte du pouvoir d’achat, les coupes sociales, et le militarisme, le programme historique du trotskysme défendu par le CIQI est plus que jamais d’actualité. Lutter pour ce programme nécessite le rejet des positions réformistes, démoralisées et anti-trotskystes d’organisations de pseudo gauche comme LO.

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