Afrique: Répression brutale des manifestations

Les manifestations appelées au Kenya, en Afrique du Sud, au Nigeria et en Tunisie contre la vie chère, la corruption, l’autoritarisme, les élections frauduleuses et le chômage se sont heurtées à une répression brutale.

Les régimes de quatre centres géopolitiques et économiques du continent, avec une population combinée de 343 millions d’habitants, ont lancé des arrestations massives, gazé des manifestants, arrêté les principaux dirigeants de l’opposition et tué au moins deux manifestants.

Des membres des Economic Freedom Fighters manifestent au Cap, en Afrique du Sud, le lundi 20 mars 2023. Le parti a appelé à une fermeture nationale et à des manifestations de masse pour obtenir la démission du président Cyril Ramaphosa. [AP Photo/Nardus Engelbrecht]

L’ampleur de la répression brutale démontre qu’il y a plus en jeu que de freiner les activités des partis d’opposition capitalistes. Les élites dirigeantes ont l’intention de réprimer l’opposition massive au sein de la classe ouvrière aux conditions de vie déplorables à travers le continent, intensifiées par la réponse des classes dirigeantes à la pandémie de COVID-19 et la flambée des prix due à la guerre en cours des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine.

Kenya

Au Kenya, le gouvernement du président William Ruto a transformé son modèle économique électoral «de bas en haut» soi-disant axé sur la réduction du coût de la vie, l’éradication de la faim et la création d’emplois en une répression policière brutale dirigée contre le bas.

Il a interdit la première manifestation de masse sous son régime à l’appel du chef milliardaire de l’opposition et ancien Premier ministre Raila Odinga du Parti de la coalition Azimio la Umoja-One Kenya, arguant de manière ridicule que les préavis de manifestations avaient été déposés trop tard pour être autorisés. 5000 policiers lourdement armés et les paramilitaires notoires, l’Unité des services généraux (GSU), ont été déployés.

Nairobi a été convertie en forteresse. La ville s’est réveillée avec une présence policière massive. Les routes menant aux principaux bâtiments gouvernementaux de la capitale avaient été bloquées et la résidence officielle du président, State House, bouclée.

La police a gazé des centaines de manifestants qui avaient pu contourner les cordons de police dans le quartier central des affaires de Nairobi, d’où Odinga avait appelé à une marche vers la résidence du président. Au moins quatre députés et des dizaines de manifestants ont été arrêtés, dont le chef de la minorité à l’Assemblée nationale Opiyo Wandayi, le sénateur Stewart Madzayo et les députés Amina Mnyazi et Richard Chonga. D’autres législateurs ont été aspergés de gaz lacrymogène.

«Nous sommes venus ici pacifiquement mais ils nous ont gazés», a déclaré à l’AFP Charles Odor, un manifestant de Nairobi. «Ils nous mentent tous les jours. Où est la farine de maïs pas cher qu’ils ont promise? Où sont les emplois pour les jeunes qu’ils ont promis? La seule chose qu’ils font, c’est d’embaucher leurs amis.»

Certains des affrontements les plus violents ont eu lieu à Kibera, le plus grand bidonville urbain d’Afrique et l’un des bastions d’Odinga. Des policiers en tenue anti-émeute ont tiré des gaz lacrymogènes et utilisé des canons à eau contre des centaines de manifestants dont certains lançaient des pierres, alors qu’ils incendiaient des pneus, bloquaient des routes et scandaient «Ruto doit partir». Un manifestant a été grièvement blessé par balle policière. Certaines informations indiquent qu’il en est décédé.

Les slogans rappelaient les revendications des travailleurs et des masses rurales au Sri Lanka en juillet de l’année dernière: «Gota [le Premier ministre Rajapaksa] doit partir!»

Quand Odinga est sorti à midi d’un hôtel de Nairobi pour diriger la marche et tenir une conférence de presse, son cortège a été la cible de tirs de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Le porte-parole d’Azimio, Makau Mutua, a déclaré que le véhicule d’Odinga avait été touché par une balle. Dans un tweet, Mutua a partagé en ligne une photo d’un pare-brise éclaté.

Les manifestants ont été dispersés dans d’autres régions du pays, notamment à Kisumu dans l’ouest du Kenya, la troisième plus grande ville et un bastion d’Odinga. Un étudiant de troisième année a été abattu.

Les Kenyans ont du mal à s’en sortir alors que les prix des produits de première nécessité montent en flèche et que la valeur du shilling a fortement chuté au cours de l’année écoulée par rapport au dollar américain: 3,5 millions de personnes sont menacées de famine en raison d’une sécheresse prolongée dans le nord. Les dernières données du Bureau national des statistiques du Kenya montrent que les ménages ont dépensé 13,3 pour cent de plus pour l’alimentation par rapport à l’année précédente. La nourriture représente près d’un tiers du panier de courses des familles kenyanes.

Afrique du Sud

En Afrique du Sud, le gouvernement du Congrès national africain a déployé 18.000 policiers et 3500 soldats pour réprimer une «fermeture nationale» appelée par l’opposition Economic Freedom Fighters (EFF) contre la crise de l’électricité, pour appeler à la démission du président Cyril Ramaphosa et pour résoudre le haut niveau du chômage.

«C’est une tentative de renverser le gouvernement. Ce n’est pas une fermeture, mais l’anarchie», a déclaré vendredi le commissaire de la police du KwaZulu-Natal, le lieutenant-général Nhlanhla Mkhwanazi.

La veille de la manifestation, au cours d’une période de 12 heures qui s’est étendue sur dimanche soir et lundi matin, la police a arrêté 87 personnes à travers le pays.

Des manifestations ont éclaté à Braamfontein dimanche soir. La police a utilisé des grenades de désencerclement pour disperser la manifestation. Au Cap, aux premières heures de la matinée de lundi, un groupe d’environ 100 personnes a été dispersé lorsque la police a tiré des cartouches de gaz lacrymogène.

Au cours de la journée, l’EFF a organisé des manifestations à Sandton, Cape Town, Pretoria et dans toutes les provinces. Sous une escorte lourde et avec un hélicoptère de la police au-dessus de leur tête, 2000 manifestants ont défilé dans la capitale Pretoria jusqu’à la résidence officielle de Ramaphosa, passant devant le siège du gouvernement, les Union Buildings. À Sandton, plus de 30 manifestants ont été arrêtés après avoir tenté de bloquer le détaillant de vêtements Woolworths. Des groupes dont la taille varie de dizaines à des centaines se sont rassemblés dans d’autres parties du pays.

Le chef de l’EEF, Julius Malema, a reconnu que le taux de participation était inférieur aux attentes, accusant le ministre des Transports de l’ANC, Sindisiwe Chikunga, d’avoir saboté les projets du parti de transporter les manifestants en bus vers Pretoria. Il a déclaré aux manifestants que plus d’un million de rands (55.000 dollars) avaient été dépensés pour louer des bus pour transporter les partisans de l’EFF à Tshwane, mais que les entrepreneurs de bus avaient retiré leurs services à la dernière minute.

Avec un taux de chômage de 33 pour cent, beaucoup ont perdu leurs sources de revenus. Les jeunes (âgés de 15 à 34 ans) ont un taux de chômage de 45,3 pour cent. Ajoutant à la colère des travailleurs, les autorités de régulation ont autorisé Eskom, la compagnie d’électricité publique qui produit 90 pour cent de l’électricité de l’Afrique du Sud, à augmenter ses prix jusqu’à un tiers au cours des deux prochaines années alors qu’elle fait face à l’insolvabilité. Cela survient alors que le taux d’inflation annuel de l’Afrique du Sud s’élevait à 6,9 pour cent en janvier, tandis que l’inflation des prix alimentaires a atteint un record en 14 ans à 13,4 pour cent.

Nigeria

Au Nigeria, des manifestations se poursuivent ciblant des fraudes lors des élections tenues dans 28 provinces. Certaines provinces, comme Anambra, Bayelsa, Edo, Ekiti, Imo, Kogi, Ondo et Osun organisent des élections de gouverneur anticipées.

À Lafia, la capitale de la province de Nasarawa, des manifestants ont affronté la police, et une personne aurait été tuée et plusieurs autres blessées. Dans la province d’Enugu, des manifestants ont défilé dans les rues d’Independence Layout, Enugu, pour protester contre l’annonce tardive de l’élection du poste de gouverneur et ont pris d’assaut la Commission électorale nationale indépendante (INEC).

Le gouvernement de la province de Kano a imposé un couvre-feu du crépuscule à l’aube. Le commissaire à l’information et aux affaires intérieures, Malam Muhammad Garba, a menacé les gens de rester à l’intérieur car la police «n’épargnerait personne ou groupe déterminé à causer des troubles».

Tunisie

À Tunis, la capitale, des milliers de Tunisiens se sont rassemblés pour protester contre le régime du président Kaïs Saïed, près d’un an après que ce dernier a dissout le parlement et assumé un régime dictatorial en juillet dernier. Au cours des derniers mois, Saïed a arrêté des politiciens de l’opposition, des syndicalistes, des juges, un homme d’affaires de premier plan et le directeur d’une station de radio indépendante.

Dans un discours prononcé samedi pour commémorer le départ des troupes françaises et l’indépendance de la Tunisie en 1956, il a menacé d’expulser «tous ceux qui veulent saper l’indépendance».

Au cours des dernières semaines, le régime a lancé des attaques sauvages contre les migrants noirs africains à travers la Tunisie, qui commencèrent début février et s’étaient accélérées après le discours raciste de Saïed le 21 février. L’objectif est de détourner l’attention des effets dévastateurs de la hausse de l’inflation et des pénuries alimentaires sur niveau de vie. En février, l’inflation a atteint 10,4 pour cent, contre 8,3 pour cent en 2022. Le chômage des jeunes s’élève à 40 pour cent.

Saïed avait déclaré que «des hordes de migrants irréguliers d’Afrique subsaharienne» étaient venues en Tunisie, «avec toute la violence, la criminalité et les pratiques inacceptables que cela implique». Cela faisait partie d’un plan criminel conçu pour «changer la composition démographique» et faire de la Tunisie «juste un autre pays africain qui n’appartient plus aux nations arabes et islamiques».

(Article paru en anglais le 20 mars 2023)

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