Mélenchon suggère discrètement une grève générale aux bureaucraties syndicales

Hier soir, les lecteurs de La Provence ont appris que Jean-Luc Mélenchon, le chef de La France Insoumise (LFI), avait proposé une grève générale pour le 6 avril. Un lecteur non averti pourrait se demander pourquoi cela n’avait pas fait la une de tous les journaux et de tous les journaux télévisés en France: une colère explosive monte face à la tentative de Macron d’imposer la réforme des retraites au peuple français, très majoritairement hostile à sa politique.

En effet, Mélenchon a eu un peu moins de 8 millions de voix lors des présidentielles de 2022, atteignant presque le second tour contre Macron. Une grève de ses électeurs, concentrés dans les quartiers populaires des grandes villes de France, bloquerait l’économie. Un pareil blocage de l’économie est souhaité par 62 pour cent des Français. Ceci écraserait la tentative de Macron d’imposer sa réforme malgré l’opposition populaire écrasante et les grèves de millions de travailleurs, et poserait la question de la survie politique même de Macron.

Mais les grands médias n’ont pas rapporté l’appel de Mélenchon à une grève générale. En effet, il n’en avait parlé à personne.

Mélenchon n’avance pas sérieusement cette proposition: il l’a noyée à la 10e minute d’une vidéo YouTube qu’il a affichée hier après-midi, et dont le titre n’évoquait aucun appel à des grèves. La Provence a pris connaissance de cet appel non pas de la part des nombreux assistants politiques ou attachés de presse de Mélenchon, mais en visionnant la vidéo sur YouTube.

Le Parti de l’égalité socialiste (PES), section française du Comité international de la IVe Internationale (CIQI), préconise la préparation d’une grève générale pour faire tomber Macron. Mais une leçon politique essentielle ressort de cet épisode ridicule avec Mélenchon: la préparation d’une grève générale ne peut pas être laissée à un ancien sénateur et ministre capitaliste comme lui. Elle ne peut être réalisée que par la construction d’un mouvement de masse des travailleurs de base, en rébellion contre l’establishment politique.

La proposition de Mélenchon ne s’adresse pas aux travailleurs à la base, mais aux appareils syndicaux et surtout à la bureaucratie stalinienne de la Confédération générale du travail (CGT). Dans sa vidéo, Mélenchon a fait à plusieurs reprises l’éloge de la CGT et espéré que sa direction sortira indemne de son congrès, qui sombrait dans d’âpres luttes intestines.

Le chef de la CGT, Philippe Martinez, a appuyé la tentative du chef de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Laurent Berger, de brader la lutte contre Macron. Berger appelle à une «médiation» avec Macron pour calmer la colère qui monte dans la classe ouvrière contre lui, et préparer ainsi une capitulation.

Mélenchon n’a pas évoqué la colère qui monte dans la classe ouvrière, ni pour attaquer la tentative de Macron de gouverner contre le peuple, ni pour critiquer la traîtrise de Berger. Cependant, le propre compte-rendu de Mélenchon a montré qu’il est bien conscient que Berger essaie de brader le mouvement.

La mobilisation du 28 mars, a dit Mélenchon, a vu «une baisse du nombre des participants aux manifestations». Il a dit que les grévistes commencent à manquer d’argent, et a noté dans les manifestations «une augmentation considérable du nombre de jeunes, et une baisse du nombre de personnes qui viennent avec des poussettes… parce que les gens prennent peur de la violence qui déferle de la part des flics».

Il faut prendre l’analyse de Mélenchon sur l’état du mouvement avec des pincettes. Le nombre de personnes qui défilent lors d’une action d’une journée fait toujours l’objet de controverses. De plus, personne n’apporte plus de poussette à une manifestation: l’explosion d’une bombe lacrymogène ou d’une grenade de désencerclement lancée par les flics dans une poussette risquait d’être fatale pour le bébé. Surtout, les travailleurs et les jeunes sont toujours très déterminés à lutter contre Macron, au mépris de l’appel à la «médiation» lancé par Berger.

Néanmoins, il est évident qu’en reportant la prochaine mobilisation au 6 avril, et en refusant comme toujours de payer des indemnités de grève, les appareils syndicaux font de leur mieux pour étrangler le mouvement.

Mélenchon a dit: «Il ne faut pas donner le spectacle d’un étiolement progressif de la lutte, parce que ce serait la brader. La lutte continue, il faut avoir de l’initiative, donner des perspectives offensives.» Prétendument pour fournir une telle perspective aux travailleurs et éviter un bradage syndical, Mélenchon a proposé de proclamer que la grève d’un jour appelée par l’intersyndicale le 6 avril est une grève générale.

Cette proposition est absurde et malhonnête. Mélenchon compte manifestement laisser la préparation de sa «grève générale» à Berger, Martinez, et Cie. Mais ces chefs syndicaux, qui selon sa propre analyse, visent à stabiliser le régime de Macron et à organiser une capitulation. Ils ne vont pas soudaine faire un virage à 180  degrés et organiser une grève générale contre Macron. L’appel frivole de Mélenchon à la grève générale n’est qu’un jeu de mots cynique, qui vise à cacher son alignement sur Berger et d’autres complices de Macron.

En 1935, dans Où va la France, peu avant la grève générale française de 1936, Léon Trotsky attaqua ceux qui jouaient avec des appels creux à la grève générale. De telles personnes ne voulaient pas une vraie grève générale, a-t-il écrit avec ironie, mais «une petite grève bien docile, tout juste bonne pour l’usage propre» des membres de l’establishment politique. Par contre, expliquait-il,

La grève générale, comme le sait tout marxiste, est un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. La grève générale ne se trouve possible que lorsque la lutte des classes s'élève au-dessus de toutes les exigences particulières et corporatives, s'étend à travers tous les compartiments des professions et des quartiers, efface les frontières entre les syndicats et les partis, entre la légalité et l'illégalité et mobilise la majorité du prolétariat, en l'opposant activement à la bourgeoisie et à l'État. Au-dessus de la grève générale, il ne peut y avoir que l'insurrection armée. Toute l'histoire du mouvement ouvrier témoigne que toute grève générale, quels que soient les mots d'ordre sous lesquels elle soit apparue, a une tendance interne à se transformer en conflit révolutionnaire déclaré, en lutte directe pour le pouvoir. En d'autres termes : la grève générale n'est possible que dans les conditions d'une extrême tension politique et c'est pourquoi elle est toujours l'expression indiscutable du caractère révolutionnaire de la situation. 

La colère explosive qui émerge parmi de les travailleurs contre la tentative de Macron de gouverner contre le peuple place l’éruption d’une grève générale à l’ordre du jour. La majorité des travailleurs, au-delà des divisions professionnelles et géographiques, cherche un moyen d’imposer sa volonté au diktat de Macron et des banques. Des couches toujours plus larges de travailleurs comprennent que dans cette lutte, les chefs syndicaux ne sont pas des alliés, mais des soutiens de Macron.

Les questions décisives pour mobiliser la classe ouvrière contre Macron est la construction de nouvelles organisations de lutte à la base, et la lutte pour une conscience politique marxiste dans la classe ouvrière.

Cela nécessite une lutte politique contre Mélenchon, qui prône le populisme français et une «révolution citoyenne», contre une orientation vers la classe ouvrière internationale et la révolution socialiste. Ici il faut rappeler comment son livre, Qu’ils s’en aillent tous, définit sa «révolution citoyenne». Il s’agit, précise-t-il, d’un processus où grèves et manifestations servent non pas à renverser le capitalisme et les régimes capitalistes, mais à installer un nouveau gouvernement capitaliste en France par le biais d’élections. Il écrit:

Je souhaite une révolution «citoyenne» en France. L’adjectif «citoyenne» indique à la fois le moyen et la finalité de cette action. Ces deux précisions sont décisives en raison de l’imagerie puérile qui associe stupidement la révolution avec je ne sais quel complot pour un «grand soir» armé … La révolution que je souhaite est citoyenne d’abord en ceci que, si elle s’enracine dans le mouvement social, elle se déclenche et se mène par les bulletins de vote et les élections.

Mélenchon souligne qu’il ne veut pas que les travailleurs prennent le contrôle de leurs lieux de travail ou qu’ils exproprient leurs propriétaires capitalistes privés. Il attaque avec arrogance cette composante essentielle de la révolution socialiste comme une capitulation à des «intérêts particuliers». Dans la «révolution citoyenne», par contre, «il ne s’agit pas non plus de clamer, à l’ancienne, ‘la mine au mineur et la terre à celui qui la travaille’. On ne brise pas la dictature de l’actionnariat pour établir le gouvernement des corporations».

La principale revendication de Mélenchon dans sa «révolution citoyenne» est de renommer la législature en «Assemblée constituante», c’est-à-dire une assemblée qui peut changer la constitution. Ceci vise à endormir les travailleurs révoltés contre les autorités de l’État, en laissant entendre que l’élite dirigeante capitaliste procédera elle-même à une profonde réforme démocratique. L’objectif, en fin de compte, est de soutenir l’appareil d’État existant et éviter la révolution, par le biais d’un changement de personnel au sommet.

Comme Mélenchon l’écrit lui-même, lors de son voyage en Amérique latine, il n’était pas sûr au départ de la nécessité de l’appel à une «Assemblée constituante». Mais, écrit-il, «l’explication m’an a été donnée sur place. C’était la condition pour que les pouvoirs redeviennent légitimes».

C’est ainsi que Mélenchon veut peindre sa défense de l’État capitaliste sous des couleurs «révolutionnaires». Cette perspective réactionnaire n’a rien à offrir aux millions de travailleurs et de jeunes en lutte contre Macron et la dictature de l’oligarchie financière. Une condition préalable essentielle pour construire les organisations de la base et la direction politique nécessaires pour faire tomber Macron et construire le pouvoir ouvrier, est de rejeter le populisme contre-révolutionnaire de Mélenchon.

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