Le voyage de la présidente taïwanaise aux États-Unis exacerbe les tensions avec la Chine

Dans le cadre d’une nouvelle initiative visant à accroître délibérément les tensions avec la Chine, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a tenu une série de réunions de haut niveau à New York la semane dernière avec des politiciens et des représentants américains.

Photo officielle de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen, le 30 novembre 2020. [Photo by 總統府 / CC BY 2.0]

Le voyage de Tsai aux États-Unis fut organisé sous la forme d’une «étape» de son périple la conduisant au Guatemala et au Belize, en Amérique centrale, deux des 13  petits pays du monde qui entretiennent des relations diplomatiques avec Taïwan plutôt qu’avec la Chine. Bien qu’on ne l’ait pas annoncé officiellement, Tsai rencontrerait le président de la Chambre des représentants Kevin McCarthy, lors de son «transit» à Los Angeles, à son retour à Taïwan le 7  avril.

La Chine a réagi à ce voyage avec colère. Zhu Fenglian, porte-parole du bureau des Affaires taïwanaises, a souligné que les transits de Tsai allaient bien au-delà de l’attente dans les aéroports et les hôtels. Elle a averti que si Tsai rencontrait le président de la Chambre McCarthy, ce serait une «nouvelle provocation violant gravement le principe d’une seule Chine, portant atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la Chine et détruisant paix et stabilité dans le détroit de Taïwan».

En vertu du principe d’«une seule Chine», Pékin considère Taïwan comme une province renégate faisant partie intégrante de la Chine. Il appelle à une réunification pacifique sur la base du principe «un pays, deux systèmes», mais avertit depuis longtemps qu’il incorporerait l’île par la force si le gouvernement taïwanais déclarait officiellement son indépendance vis-à-vis de la Chine.

Le gouvernement Biden a réagi en rejetant les préoccupations de la Chine. Le porte-parole de la Maison-Blanche chargé de la Sécurité nationale, John Kirby, a déclaré à la presse que le voyage de Tsai était conforme à ce que d’autres présidents taïwanais avaient fait dans le passé. Son «transit est conforme à nos relations officieuses de longue date avec Taïwan et à la politique d’une seule Chine des États-Unis, qui reste inchangée», a-t-il déclaré, mettant en garde la Chine contre l’utilisation de ce voyage «comme prétexte pour intensifier toute activité agressive autour du détroit de Taïwan».

En réalité, c’est l’impérialisme américain qui attise les tensions dans le détroit de Taïwan en accélérant ses plans de guerre avec la Chine. Sous la présidence de Trump et maintenant de Biden, Washington a fondamentalement modifié le délicat exercice d’équilibre qui avait conduit à l’établissement de relations diplomatiques formelles entre Pékin et Washington en 1979.

À l’époque, les États-Unis avaient reconnu que la Chine considérait Taïwan comme une partie de son territoire, mais n’avaient pas officiellement approuvé la position de Pékin. Leurs actes avaient cependant adopté de fait le principe d’une seule Chine. Washington avait coupé les relations diplomatiques officielles et mis fin à son alliance militaire avec Taipei, et avait retiré ses forces militaires de l’île.

Pendant des décennies, tout en vendant des armes défensives à Taïwan, les États-Unis avaient refusé de s’engager clairement à faire la guerre à la Chine en cas de conflit. Ils avaient maintenu des contacts officieux discrets avec Taipei par l’intermédiaire d’une quasi-ambassade, l’Institut américain de Taïwan. Sous Trump et Biden, on s’est débarrassé de ces protocoles diplomatiques.

Il suffit de considérer l’incident qui a déclenché ce que l’on a appelé la Troisième crise du détroit de Taïwan: la visite du président taïwanais Lee Teng-hui aux États-Unis en juin 1995, nominalement en tant que citoyen privé, pour prononcer un discours à son ex-université, l’université Cornell. Conformément à la politique antérieure, le gouvernement Clinton lui avait d’abord refusé un visa, comme un an plus tôt, où Lee avait transité par Hawaï de retour d’une visite en Amérique du Sud.

Face à l’opposition du Congrès, le gouvernement Clinton avait cédé et Lee avait prononcé son discours, déclenchant une confrontation militaire qui aurait pu entraîner un conflit. La Chine accusa Lee de vouloir «diviser la Chine» et le qualifia de traître. Elle mobilisa des forces militaires de l’autre côté du détroit de Taïwan et annonça des tests de missiles, ainsi que des exercices de débarquement. Les États-Unis répondirent par une énorme démonstration de force militaire, de multiples passages dans le détroit de Taïwan de navires de guerre américains, dont le porte-avions USS Nimitz et son groupe de combat. La crise continua en 1996 avant que Pékin ne recule.

Par rapport au voyage de Lee en 1995, le «transit» de Tsai à New York est une provocation calculée de Taipei et Washington, à laquelle Pékin répond avec beaucoup de retenue. Si ses réunions se sont déroulées à huis clos, les détails divulgués aux médias montrent clairement que Tsai consolide ses liens avec les États-Unis alors qu’ils intensifient leur confrontation économique et stratégique avec la Chine.

Arrivée le 29 mars au soir, Tsai a déclaré lors d’un meeting à New York que les relations entre Taipei et Washington étaient «plus étroites que jamais» et s’est vantée de «progrès significatifs» dans la coopération économique et militaire. Tsai appartient au Parti démocrate progressiste (DPP), qui prône une plus grande indépendance de Taïwan, sans pour autant déclarer de séparation formelle d’avec la Chine.

Elle a déclaré que Taïwan était un «phare de la démocratie en Asie» qui ne se laisserait pas isoler par Pékin, ajoutant «nous avons fait preuve d’une volonté et d’une détermination fermes pour nous défendre». Étaient présents à ce meeting le gouverneur du New Jersey Phil Murphy et Laura Rosenberger, présidente de l’Institut américain de Taïwan.

Le 30 mars, Tsai a prononcé un discours à une réunion organisée par le groupe de réflexion de droite Hudson Institute, qui lui a décerné son Global Leadership Award [Prix du Leadership mondial]. Selon Miles Yu, directeur de l’Institut Hudson, Tsai a déclaré que «la défense de Taïwan était en fait la défense de l’Amérique». Autrement dit, les États-Unis devaient s’engager sans ambiguïté à mener une guerre contre la Chine au sujet de Taïwan.

Il est significatif que le même jour, le principal démocrate de la Chambre, Hakeem Jeffries, a rencontré Tsai, sans communication d’aucun détail. En août 2022, alors que les démocrates contrôlaient la Chambre, sa présidente Nancy Pelosi avait fait un voyage provocateur à Taipei, déclenchant un face-à-face militaire majeur dans les eaux autour de Taïwan. Alors que l’armée chinoise procédait à des tirs de missiles et déployait des navires de guerre dans le détroit de Taïwan, les États-Unis et leurs alliés menèrent d’importantes opérations navales à proximité de l’Île.

Toute rencontre entre l’actuel président de la Chambre, McCarthy, l’homologue républicain de Jeffries, et Tsai à Los Angeles cette semaine risque de déclencher une nouvelle confrontation. S’il n’a pas officiellement approuvé une rencontre, le gouvernement Biden exploitera toute crise pour faire avancer sa stratégie de créer un prétexte de guerre avec la Chine en l’incitant à attaquer Taïwan.

À l’instar de la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine, les États-Unis cherchent à entraîner Pékin dans un conflit débilitant au sujet de Taïwan en vue de déstabiliser et, à terme, de fracturer la Chine. Washington considère la Chine comme la principale menace à sa domination mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 1 avril 2023)

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