Pourquoi le Socialist Workers Party britannique minimise-t-il la pétition de censure contre la direction du syndicat des soignants RCN ?

L'accord salarial inférieur à l'inflation entre les principaux syndicats britanniques de la santé et le gouvernement conservateur a provoqué la colère des travailleurs du Service national de Santé (NHS). Il est probable que l'accord soit rejeté par les soignants lors du scrutin qui s’est terminé le vendredi 14 avril, les syndiqués d'Unison, Unite et d'autres syndicats de la santé ayant voté sur le même accord dans des scrutins séparés.

La direction du syndicat Royal College of Nursing (RCN), avec Pat Cullen à sa tête, a eu recourt aux menaces et à l'intimidation dans le but de forcer un vote en faveur du «oui». Ses tactiques musclées ont culminé avec des menaces d'intervention de la police contre les organisateurs d'une pétition appelant à une assemblée générale extraordinaire pour voter une motion de censure à l’encontre de Cullen et de l'exécutif national qui a approuvé l'accord salarial inférieur à l'inflation, ainsi que du comité en charge des négociations du syndicat.

La dirigeante du RCN, Pat Cullen, s'adressant aux médias alors qu'elle visitait un piquet de grève de soignants en Angleterre

Alors que la pétition et les menaces du RCN d'appeler la police ont été rapportées en bonne place dans le Guardian, le Times et les publications de la santé, le Socialist Workers Party (SWP) a enterré les deux sujets. Leur seule mention se trouve à la fin d'un article du 4 avril sur la grève des médecins internes intitulé :« Les médecins internes se battent pour mieux avec une grève de quatre jours ».

Le correspondant du SWP écrit: « Il est honteux que le RCN ait demandé à la police d'enquêter sur une pétition demandant d'organiser un vote de censure envers ses dirigeants. Il a également signalé le comportement d'autres militants aux plate-formes de réseaux sociaux et à l'Ordre des infirmiers. » Ces deux phrases sont la seule référence à ce qui est un développement significatif dans la lutte des classes, suite à la première grève nationale des soignants dans l'histoire du NHS.

Malgré le titre de la brève, « Les soignants doivent organiser une révolte: faites campagne et votez pour rejeter les accords au rabais », le SWP n'avance aucune stratégie pour une révolte des soignants, encourageant plutôt l'illusion qu'un vote « non » majoritaire suffira à rejeter l'accord pourri des dirigeants du RCN conclu avec le ministre de la Santé Steve Barclay et le gouvernement conservateur.

L'article du SWP conclut: « Les militants doivent continuer à se battre pour un vote ‘non’ jusqu'au tout dernier moment. La meilleure façon de créer une atmosphère de lutte sur le lieu de travail est de se joindre aux médecins internes sur leurs piquets de grève. La meilleure façon de se battre est de s’unir. » Leur article en gros titre déclare: « Les travailleurs de la santé du NHS doivent continuer à se battre pour obtenir mieux malgré toutes les attaques des conservateurs et des médias ».

Une telle rhétorique véhémente et creuse sert à détourner les travailleurs de la nécessaire lutte politique à laquelle ils sont confrontés, contre la collusion des syndicats avec le gouvernement. Les médecins internes sont confrontés aux mêmes problèmes que les soignants, le syndicat British Medical Association (BMA) signalant déjà sa volonté de négocier sur la base d'un recul par rapport à la revendication initiale d’augmentation salariale. La politique de baisse des salaires des conservateurs dépend du rôle joué par les syndicats de la santé pour diviser et réprimer toute action unifiée des centaines de milliers de soignants, de médecins et de personnels du NHS.

La réponse en sourdine du SWP à la pétition de censure est d'autant plus frappante que l'un de ses principaux membres, Karen Reissmann, est membre de l’exécutif national d'Unison, le plus grand syndicat britannique de la santé. Reissmann est récemment devenue une figure publique après avoir été condamnée à une amende de 10 000 livres par la police du Grand Manchester pour avoir organisé une manifestation à distanciation sociale pendant le COVID contre les bas salaires des soignants. Une campagne pour sa défense remporta un énorme soutien du public et la police fut forcée de retirer l'amende. Elle serait dans une position idéale pour promouvoir la pétition sur le RCN et plaider pour une action similaire au syndicat Unison, y compris pour une assemblée générale extraordinaire de mobilisation des membres contre la trahison du syndicat et pour un vote de défiance envers les membres de l'exécutif qui ont approuvé l'offre du gouvernement conservateur.

À l'instar de la direction du RCN, l'exécutif national d'Unison recommande l’acceptation d’une baisse du salaire réel, basée sur un paiement forfaitaire unique de 8,2 pour cent pour les moins bien payés et d'environ 6 pour cent pour les soignants, les sages-femmes et les autres collègues pour 2022-2023, et une hausse consolidée de 5 pour cent l'an prochain (moins de la moitié du taux d'inflation). Cela marquerait 13 ans de hausses de salaire inférieures à l'inflation pour le personnel du NHS.

La direction d'Unison intimide elle aussi les travailleurs pour qu'ils acceptent l'accord. Sara Gorton, responsable de la santé d'Unison, avertit ainsi les membres dans une déclaration du 27 mars: «Un vote de rejet ferait probablement disparaître le paiement unique et laisserait le personnel du NHS attendre le résultat incertain de l'organisme de révision des salaires. Le gouvernement a dit à l'organisme de révision qu'il ne pouvait se permettre que 3,5 %, c'est donc un risque. »

Reissmann n'est pas le seul membre du SWP au comité exécutif d'Unison. Il y a aussi Liz Wheatley, Helen Davies, Julia Mwaluke, Caroline Johnson et Sandy Nicoll. Aucune n'a l'intention de monter une campagne pour écarter la direction de droite et mettre la base aux commandes. Cela signifierait mobiliser les travailleurs de la santé sur une plate-forme socialiste anti-austérité, y compris une lutte pour une hausse de salaire anti-inflation en opposition directe à la bureaucratie syndicale. Les efforts des membres du SWP dans Unison se concentrent au contraire fermement sur les élections à l'exécutif national du syndicat qui commencent lundi.

Le SWP fait semblant de soutenir l'action « de la base », mais ses efforts sont dirigés en pratique vers la bureaucratie syndicale ou les supposés « groupements de gauche » en son sein. Un article du 16 mars dans le Socialist Worker intitulé « Pourquoi les travailleurs de la santé devraient rejeter le nouvel accord salarial du NHS », déclare : « Un groupement de gauche au sein de la direction de la santé du syndicat Unison exhorte les travailleurs à rejeter un accord inadéquat ».

Article de Socialist Worker « Pourquoi les travailleurs de la santé devraient rejeter le nouvel accord salarial du NHS », 16 mars 2023 [Photo: screenshot:: Socialist Worker]

Que prône ce « groupement de gauche », dont fait partie le SWP ?

Le SWP promeut une déclaration du 17 mars de Time For Real Change (Temps pour un vrai changement – TFRC), qui est la faction dominante de l'exécutif national d'Unison, comme offrant une voie pour vaincre l'accord salarial au rabais d'Unison. Le TFRC a remporté la majorité des postes aux élections à l'exécutif national en 2021, avec une liste soutenue par le SWP qui comprenait Reissmann, Wheatley, Davies, Mwaluke, Johnson et Nicoll, et des membres du Parti travailliste, du Parti socialiste et d'autres groupements de la pseudo-gauche. Il a remporté 40 des 68 sièges à l'exécutif national.

Quelques candidats de la liste Time For Real Change pour les élections au Conseil exécutif national d'Unison, dont les membres du SWP Helen Davies, Liz Wheatley et Julia Mwaluke [Photo: Time For Real Change election address]

Pourtant, l’aboutissement de cette victoire « de gauche » et de l'engagement du TFRC « pour un syndicat des adhérents » a été un débâcle pour les intérêts de ses membres. Un vote en faveur de la recommandation de l'offre salariale inférieure à l'inflation du gouvernement a été pris par le Health Service Group Executive (SGE) d'Unison le 16 mars, où les partisans de la secrétaire générale Christina McAnea , alignés sur le leader travailliste Sir Keir Starmer, ont conservé la majorité. Pourtant, les membres du TFRC ont simplement appelé à voter « non » pour lutter en faveur de « quelque chose de mieux ». Ce que cela devait comprendre reste non précisé, car le TFRC refuse d'avancer toute proposition concrète d'augmentation de salaire ou d'autres revendications pour faire face à la crise à laquelle est confronté le personnel du NHS.

Le « groupement de gauche » salué par le SWP n'a aucune véritable indépendance ou stratégie pour s'opposer à la direction de McAnea. En effet, sa déclaration du 17 mars va jusqu'à qualifier le premier élément de l'accord salarial des conservateurs avec les syndicats de la santé de « grande amélioration » par rapport à son offre initiale, avant de faire remarquer : « nous aurions pu faire tellement mieux ».

Mariés à la bureaucratie

Le SWP affirme: « Les dirigeants syndicaux ont hésité à utiliser leur tactique la plus puissante [c'est-à-dire rejeter l'accord et poursuivre la grève], craignant que cela ne fasse fuir le soutien du public. » Au contraire, ils craignaient qu'un affrontement direct avec le gouvernement conservateur ne déclenche une avalanche de soutien des médecins, des soignants et d'autres personnels de santé qu'ils seraient incapables de contenir.

Leurs opposants « de gauche » au sein du TFRC craignent tout autant qu’une contestation ouverte de l'emprise de la bureaucratie n'encourage une rébellion de la base. Si le SWP et ses membres minimisent la pétition de censure du RCN, ce n'est pas là un oubli accidentel. Il s'oppose instinctivement à toute initiative menaçant l'emprise de la bureaucratie dont ils font partie.

En réponse à l'éruption de l'opposition de la base au sein du RCN, le Socialist Equality Party et le NHS FightBack (Riposte du NHS) ont salué la pétition de censure lancée par les membres du RCN et cherché à la promouvoir chez les travailleurs de la santé, tout en soulignant les tâches politiques fondamentales qu’elle pose à la classe ouvrière. Dans sa déclaration du 17 mars, « Les travailleurs du National Health Service du Royaume-Uni doivent s'organiser pour rejeter l'accord au rabais conservateur-syndicat! », NHS FightBack écrit: « La bureaucratie syndicale a des décennies d'expérience quant à faire passer en force des accords au rabais par l'intimidation et les mensonges. Les personnels de la santé doivent s'organiser pour riposter avec leur propre plan d'action ».

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Et ajoute: «Il n'est pas nécessaire d'attendre le résultat du scrutin sur ce qui est un accord illégitime que les syndicats n'avaient pas mandat d'accepter. Des réunions d’unions locales d'urgence devraient être convoquées pour convenir d'un nouveau programme de grèves, en s'adressant aux travailleurs de la santé d'autres syndicats pour organiser l'action commune qui aurait dû être menée depuis le début. »

NHS FightBack exhorte : «Les dirigeants syndicaux, leurs exécutifs nationaux et leurs comités de négociation se livrent à un sabotage. Ils doivent être démis de leurs fonctions immédiatement. Des réunions d'urgence des membres devraient voter la censure à l’égard de ces traîtres et de leur accord au rabais ».

« Cela doit être le début et non la fin d'une lutte pour transférer le pouvoir des mains de la bureaucratie syndicale à la base. Ce ne sera pas facile: après que les membres ont écarté la direction d’alors du RCN en septembre 2018 suite au dernier accord au rabais majeur du NHS, la moitié a été réinstallée trois mois plus tard, produisant la direction responsable de la trahison de jeudi. Ce qu'il faut, c'est une insurrection contre un appareil syndical voué à la répression de ses membres. »

La déclaration appelait à la formation de comités de la base dans tous les hôpitaux et lieux de travail, expliquant: « Il ne suffit pas que les anciens dirigeants soient expulsés. Quelque chose de nouveau doit être construit. La victoire dépend de la formation d'organisations représentatives des travailleurs, des comités de la base, indépendants des structures du syndicat et libres de la pression de ses fonctionnaires. Ceux-ci seraient dirigés par les travailleurs les plus dignes de confiance, élus par la base et acquis à la lutte contre les trahisons et pour les intérêts fondamentaux des travailleurs. »

Les réponses diamétralement opposées du SWP et du SEP et du NHS FightBack témoignent du gouffre infranchissable qui sépare l'internationalisme socialiste de la politique nationaliste de la pseudo-gauche. Liée à l'appareil syndical et à l'État-nation capitaliste par d'innombrables liens, la pseudo-gauche est hostile à toute action indépendante de la classe ouvrière qui défie l'emprise de la bureaucratie.

La formation de comités de la base permettrait aux travailleurs de la santé de surmonter les divisions érigées par les syndicats de la santé entre soignants, médecins et personnel auxiliaire. Elle permettrait aux travailleurs du NHS de tendre la main aux travailleurs en lutte au Royaume-Uni et en Europe, y compris en France où grèves et manifestations secouent le gouvernement Macron, et de coordonner la grève avec eux, ouvrant la possibilité d'une contre-offensive européenne et mondiale de la classe ouvrière contre l'austérité, la guerre et le pillage sans fin par l'oligarchie capitaliste.

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(Article paru en anglais le 13 avril 2023)

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