Les combats au Soudan provoquent un exode massif

Le Soudan a connu dix jours de combats acharnés après que des mois de tensions croissantes entre les factions rivales des forces armées ont dégénéré en une bataille sans merci pour le contrôle du pays. Un autre cessez-le-feu, une trêve de trois jours pour la fête musulmane de l’Aïd al-Fitr convenue vendredi, s’est effondré le lendemain.

Le général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée soudanaise, dirigeant du Conseil souverain et dirigeant de fait du pays, et son adjoint et opposant Mohamed Hamdan Dagalo, qui dirige les forces paramilitaires de soutien rapide (RSF), ont tous deux promis de se battre jusqu’au bout.

De la fumée est visible à Khartoum, Soudan, samedi 22 avril 2023. Les combats dans la capitale entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide ont repris après l’échec d’un cessez-le-feu conclu sous l’égide de la communauté internationale. [AP Photo/Marwan Ali]

Les chiffres des Nations unies indiquent que plus de 420 personnes ont été tuées, dont au moins 256 civils, et plus de 3.500 blessées depuis que les combats ont éclaté le 15 avril. Le syndicat des médecins soudanais a déclaré que les bombardements dans la capitale Khartoum, sa ville jumelle d’Omdurman et les États voisins ont détruit ou endommagé des hôpitaux, tandis que d’autres ont été saccagés, rendant plus des deux tiers des installations médicales «hors service».

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Croissant-Rouge soudanais ont déclaré qu’ils «suivaient de près la situation humanitaire à Khartoum et dans d’autres parties du pays».

«Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que les combats touchent des zones densément peuplées. Les gens cherchent à se réfugier dans leurs maisons», a déclaré Alfonso Verdu Perez, chef de la délégation du CICR au Soudan.

Certaines parties de Khartoum et d’Omdurman sont toujours privées d’eau et d’électricité et les habitants se réfugient à l’intérieur pour éviter les bombardements et les frappes aériennes incessants. Tout est fermé, y compris l’aéroport de Khartoum qui a été gravement endommagé par les tirs d’artillerie. La population n’a plus accès à la nourriture. Des cadavres nauséabonds gisent dans les rues sans être ramassés. Stefano Rebora, patron d’une ONG italienne, a déclaré à la BBC: «C’est aussi une destruction totale. Tout est dévasté».

Le service de contrôle NetBlocks a déclaré que le Soudan a connu une «panne quasi totale» des services Internet et téléphonique, dimanche.

La porte-parole du CICR, Alyona Synenko, a déclaré à la BBC que la situation était désormais «intenable» pour les civils privés de nourriture et d’eau et que certains hôpitaux étaient hors service. Les gens font des «tentatives désespérées» pour fuir.

Environ 10.000 Soudanais ont fui le pays pour le Sud-Soudan au cours du week-end, tandis qu’au moins 20.000 personnes seraient passées de la région occidentale du Darfour, où les combats ont repris, au Tchad voisin, qui accueille déjà 400.000 réfugiés soudanais. Nombreux sont ceux qui ont fui la capitale, où vivent 10 millions de personnes, pour se rendre dans d’autres régions du pays où ils ont des attaches familiales, laissant certaines parties du centre-ville complètement désertes. D’autres ont rejoint l’Égypte en bus ou se sont dirigés vers le sud.

Ce vaste mouvement de population menace de submerger les sept voisins du Soudan, eux-mêmes en proie à la pauvreté et à l’instabilité et qui accueillent déjà des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays.

Le Soudan lui-même accueille environ 1,1 million de réfugiés et de demandeurs d’asile, pour la plupart originaires du Sud-Soudan qui a fait sécession du Soudan en 2011 et qui est ravagé par la guerre civile depuis lors. D’autres ont fui les conflits et les régimes autocratiques de l’Érythrée, de l’Éthiopie et de la Syrie. D’autres encore sont des migrants qui travaillent au Soudan pour subvenir aux besoins de leur famille restée au pays. Les combats vont perturber les envois de fonds et limiter les échanges transfrontaliers.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a prévenu que le Soudan était «au bord du gouffre», car les combats brutaux entre forces rivales ne montrent aucun signe d’apaisement. La violence au Soudan, l’un des pays les plus pauvres du monde, avec un passé de coups d’État militaires «pourrait embraser toute la région et au-delà».

Ces derniers jours, les Nations unies, les États-Unis et de nombreux pays d’Europe, du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie ont lancé des opérations d’urgence pour évacuer leur personnel diplomatique et, dans certains cas, leurs ressortissants du pays par la route, l’air et la mer. La plupart ont envoyé des hélicoptères militaires à Khartoum depuis l’État de Djibouti, sur la mer Rouge, pour évacuer les personnes au cours d’un bref cessez-le-feu, tandis que d’autres les ont transportées dans des convois sur une distance de 500 milles jusqu’à Port-Soudan, sur la mer Rouge.

Certains convois ont été attaqués, dont un transportant du personnel de l’ambassade du Qatar et un autre des citoyens français, et la situation est trop dangereuse pour permettre l’évacuation de plus de quelques ressortissants étrangers.

Les deux chefs des deux fractions rivales qui se disputent actuellement le contrôle du pays se sont fait connaître pendant la guerre du Darfour, dans l’ouest du Soudan, où 300.000 personnes ont été tuées et 2,5 millions ont été déplacés lors des combats qui se sont déroulés entre 2003 et 2008. Al-Burhan était chef de l’armée, tandis que Dagalo (largement connu sous le nom de Hemedti), dirigeait les célèbres milices Janjaweed responsables de certaines des pires atrocités du conflit, les deux hommes étant impliqués dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Ces personnages corrompus sont engagés dans un conflit qui a des impulsions, des origines et des implications mondiales, l’impérialisme américain y jouant le rôle central.

Al-Burhan a le soutien du brutal dictateur égyptien, Abdel Fattah al-Sisi, et des couches proches des militaires qui contrôlent depuis longtemps le complexe militaro-industriel tentaculaire du Soudan. Il soutient les États-Unis et les puissances européennes dans la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine.

Dagalo s’est énormément enrichi grâce à l’or du Darfour. Il a le soutien des Émirats arabes unis (EAU) et de l’Arabie saoudite. Il contrôle les exportations d’or, dont une grande partie est destinée à la Russie via les Émirats arabes unis. Il entretient des relations étroites avec Moscou, dont les mercenaires Wagner opèrent au Soudan et dans la République centrafricaine voisine, et qui tente d’établir une base à Port-Soudan.

Le gouvernement américain de Biden a été exaspéré par l’abstention du Soudan sur la résolution de l’ONU qui condamnait l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Maintenant Biden est déterminée à rompre les relations du Soudan avec l’Iran, la Russie et la Chine. Il veut fermer Port-Soudan à la marine russe et veut renforcer son alliance régionale anti-iranienne, à laquelle le Soudan a adhéré au début de l’année. Pour ce faire, il a dû limiter l’influence de l’armée et ses relations avec la Russie et encourager le gouvernement civil de transition du Soudan, dirigé par Abdalla Hamdok, à sévir contre les exportations d’or de l’armée vers la Russie, ce qui permet à Moscou d’échapper aux sanctions. C’est l’un des facteurs qui ont conduit au coup d’État militaire contre le gouvernement de Hamdok en octobre 2021, que des sources officielles américaines et d’anciennes sources officielles accusent la Russie d’avoir soutenu. Ensuite, on a immédiatement démantelé le comité anticorruption qui dirigeait la répression.

Les violences qui ont éclaté le 15 avril sont survenues après des semaines de tensions croissantes, le déploiement accru de l’armée et de mesures de sécurité. Des efforts étaient déployés par les fractions rivales pour obtenir le soutien de l’opinion publique et de la communauté internationale sur la question de l’intégration prévue de la RSF et d’autres anciennes milices rebelles impliquées dans des insurrections dans diverses régions du pays au sein de l’armée soudanaise. Cela était une exigence clé de la faction d’al-Burhan dans les négociations visant à former un gouvernement dirigé par des civils, qui laisserait contrôle économique à l’armée et aux entreprises qu’elle contrôle. Cela aurait permis de mettre fin aux protestations et aux troubles sociaux qui ont englouti le pays depuis décembre 2018 et ont conduit au coup d’État préventif de l’armée contre le dictateur de longue date d’Omar al-Bashir, en avril 2019.

Depuis lors, Burhan et Hemedti ont des relations de plus en plus conflictuelles, dans un contexte de répression des manifestations sociales en cours qui ont entraîné la mort de plus de 120 civils. Quelque 15 millions des 46 millions d’habitants du Soudan sont déjà confrontés à une insécurité alimentaire aiguë en raison de l’escalade des prix des denrées alimentaires et des carburants. Cela résulte de la crise économique précipitée par la sécession du Sud-Soudan, riche en pétrole, en 2011. Cette sécession a engendré de l’instabilité politique, des conflits et le déplacement de quelque 3 millions de personnes. S’y sont ajouté de mauvaises récoltes et des inondations.

Dagalo a refusé d’intégrer ses forces de sécurité dans l’armée soudanaise tant que celle-ci ne se trouvait pas placée sous contrôle civil. Il exigeait que les islamistes — ces derniers avaient tiré les ficelles sous le régime d’Al-Bachir — soient éliminés en tant que force politique. Cela lui a permis de gagner le soutien de certains groupes de professionnels et de civils de la classe moyenne qui participent aux négociations. En décembre, il a signé un nouvel accord-cadre avec l’armée pour un retour à un régime civil.

(Article paru d’abord en anglais le 25 avril 2023)

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