Le Japon envoie ses militaires pour évacuer des citoyens du Soudan

Alors que les combats se poursuivent au Soudan entre factions rivales, le Japon a annoncé mardi qu’il avait évacué 45 de ses citoyens du pays, d’autres gouvernements évacuant eux aussi des ressortissants japonais. Tokyo a envoyé trois avions de la Force d’autodéfense aérienne (ASDF) en Afrique pour participer à l’opération.

Le vice-ministre japonais des Affaires étrangères Shunsuke Takei, au centre, rencontre des personnes évacuées du Soudan sur une base à Djibouti, lundi 24 avril 2023. [AP Photo/Ministry of Foreign Affairs of Japan]

Présentée comme une opération de sauvetage, la mission de l’ASDF a fourni à Tokyo le prétexte d’envoyer ses militaires à l’étranger et de remettre en question les contraintes juridiques qui pèsent sur la capacité du Japon à faire la guerre. ASDF est le nom officiel de l’armée de l’air japonaise.

Trois avions de l’ASDF sont arrivés dimanche à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, selon le ministère japonais de la Défense. Il s’agissait d’un avion de transport  C-130, d’un transporteur  C-2 et d’un avion de transport et de ravitaillement  KC-767. Djibouti est la seule base militaire japonaise à l’étranger. Au total, 370  soldats de l’ASDF et de la Force d’autodéfense terrestre (GSDF) ont participé à l’opération.

Selon Tokyo, 63  ressortissants japonais travaillaient au Soudan lorsque le conflit a commencé le 15  avril, et tous ceux qui souhaitaient être évacués l’avaient été. Il s’agissait principalement d’employés de l’ambassade du Japon et de l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), ainsi que de leurs familles. Les personnes évacuées travaillaient à Khartoum,la capitale soudanaise et se sont rendues à Port-Soudan, dans le nord-est du pays, où elles ont été prises en charge par l’armée japonaise.

Les combats entre différentes factions des forces armées soudanaises ont éclaté en grande partie dû aux efforts de pays impérialistes comme les États-Unis et le Japon pour exercer un contrôle sur le Soudan et couper les relations de Khartoum avec la Chine et la Russie. La faction dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, chef militaire et dirigeant de fait du pays, a soutenu la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine. La faction opposée, dirigée par Mohamed Hamdan Dagalo, qui dirige les forces paramilitaires de soutien rapide, a des liens avec Moscou.

Le Soudan est depuis longtemps le théâtre de violences et d’intrigues encouragées avant tout par les États-Unis. On a coupé le Soudan en deux en 2011, créant le nouveau pays de Sud-Soudan, région riche en nombreux gisements de pétrole. C’est l’accès à ces ressources qui motive l’implication de Tokyo dans la région à travers sa base de Djibouti, les déploiements de ses Forces d’autodéfense et d’organisations comme l’Agence japonaise de coopération internationale JICA, qui fournit ostensiblement une aide économique aux pays en voie de développement.

Le 23  avril, le Japan Times a cité ainsi Magdi al-Gizouli, un analyste soudanais de l’Institut de la vallée du Rift: «Tout le monde voulait une partie du Soudan, et le pays n’a pas pu supporter toutes ces ingérences. Il y avait trop d’intérêts divergents et trop de revendications, et le fragile équilibre a implosé, comme vous pouvez le voir aujourd’hui».

Le Japon est fortement tributaire d’autres pays pour satisfaire ses besoins énergétiques, le pétrole représentant environ 40  pour cent de ces besoins. En 2022, le Japon a importé 94,1  pour cent de son pétrole du Moyen-Orient, Tokyo étant à la recherche d’autres sources, comme l’Afrique, pour répondre à la demande, tout en essayant d’être moins cher que ses concurrents dans la région.

Par-dessus tout, le Japon cherche à se remilitariser, ce qui signifie qu'il ne cesse d'éroder l'Article 9 de la Constitution, les prétendues missions de sauvetage fournissant les prétextes pour y parvenir. L'élite dirigeante japonaise espère finalement abolir l'Article 9, connu sous le nom de clause pacifiste, qui interdit explicitement au Japon d'entretenir des forces armées ou de faire la guerre à l'étranger. Tokyo a également annoncé en décembre qu'il doublerait ses dépenses militaires au cours des cinq prochaines années.

Les opérations de Tokyo dans la région visent à promouvoir l’objectif de la remilitarisation. En 2015, le Japon a révisé sa Charte officielle d’aide publique au développement et a créé la Charte de la coopération au développement, dont l’un des objectifs est l’intégration d’organisations telles que la JICA à ses Forces d’autodéfense (SDF). En d’autres termes, la JICA joue un rôle militaire en Afrique, au même titre que les SDF.

Par le passé, le gouvernement japonais a menti sur la situation au Sud-Soudan afin de maintenir les troupes des SDF dans la région. En juillet 2016, des combats ont éclaté dans le pays, menaçant d'entraîner les troupes de la GSDF dans le conflit. Stationnées dans le cadre de la Mission des Nations Unies en République du Sud-Soudan, les troupes japonaises étaient tenues de respecter un cessez-le-feu, condition qui n'a pas été respectée, comme le montrent les journaux de bord des GSDF.

Le gouvernement a dissimulé ces faits non seulement pour maintenir l’armée dans le pays afin de garantir l’accès aux ressources, mais aussi pour tester la législation militaire adoptée en 2015 qui permettait aux SDF de prendre part à des batailles aux côtés de pays alliés, ostensiblement en se portant à leur défense. On peut donc se demander si Tokyo ne cherche pas une fois de plus à placer ses troupes ou des citoyens japonais dans une zone de conflit afin de justifier l’utilisation de la puissance militaire, érodant ainsi davantage les contraintes légales.

Tokyo utilise la soi-disant «aide» non seulement en Afrique mais dans le monde entier, pour poursuivre ses objectifs impérialistes. Le 5  avril, le Japon a annoncé qu’il commencerait à fournir une aide militaire à certains pays dans le cadre de son nouveau programme d’assistance officielle à la sécurité (OSA) qui, selon le site Internet du ministère japonais des Affaires étrangères, servira à «renforcer un ordre international libre et ouvert». Les États-Unis, le Japon et leurs autres alliés utilisent régulièrement cette formule pour accuser Pékin de ne pas se plier à l’«ordre» établi par Washington après la Seconde Guerre mondiale. Les Philippines, la Malaisie et les Fidji seront probablement les premières à bénéficier de ce programme.

Tokyo affirme que l’aide ne servira pas à acheter des armes susceptibles d’être utilisées dans un conflit. Les gouvernements bénéficiaires l’utiliseraient bien plutôt pour renforcer les communications par satellite, les systèmes radio et les radars afin de surveiller les activités chinoises dans la région ; ce qui alignerait davantage ces pays sur les plans de guerre américains visant la Chine dans l’Inde-Pacifique.

Le Japon et les Philippines ont également conclu un accord en février pour permettre aux troupes japonaises de participer à des exercices dans le pays, officiellement pour répondre aux catastrophes naturelles. Les deux pays discutent également d’un accord d’accès militaire réciproque qui faciliterait l’envoi de troupes japonaises aux Philippines, parallèlement à un accord tripartite avec les États-Unis.

En fin de compte, aucune des machinations de Tokyo en Afrique ou dans l’Inde-Pacifique n’est basée sur des préoccupations «humanitaires». Ces efforts visent avant tout à intensifier les propres plans du Japon pour promouvoir la guerre avec la Chine.

(Article paru d’abord en anglais le 27 avril 2023)

Loading