Le syndicat ordonne le retour au travail des fonctionnaires canadiens en grève après avoir conclu un accord de capitulation

L’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) a brusquement mis fin à une semaine et demie de grève de près de 100.000 travailleurs du secteur public fédéral, après avoir conclu des ententes de capitulation avec le gouvernement libéral du Canada.

Tôt lundi matin, l’AFPC a annoncé qu’elle avait conclu des accords de principe pour ses quatre unités de négociation représentant les travailleurs du soutien administratif, des services d’entretien et des services d’urgence employés par Service Canada et plusieurs autres ministères fédéraux. Dans la foulée, le syndicat a ordonné aux grévistes de lever immédiatement les piquets de grève et de se présenter au travail à compter de 9h.

Des dizaines de milliers d’autres fonctionnaires employés par l’Agence du revenu du Canada, qui ont débrayé le 19 avril aux côtés des travailleurs de la section «centrale» des fonctionnaires fédéraux, sont toujours en grève. Mais le syndicat et le gouvernement ont lancé un blitz de négociation plus tard lundi. Il est clair que les bureaucrates de l’AFPC et le gouvernement libéral de Trudeau souhaitent étouffer le mouvement de grève des fonctionnaires fédéraux, de peur qu’il ne rejoigne les centaines de milliers d’autres travailleurs à travers le Canada qui cherchent à obtenir des augmentations salariales supérieures à l’inflation.

Manifestation de fonctionnaires fédéraux en grève à Ottawa. À droite de la photo, le président de l’AFPC, Chris Aylward. [Photo: Twitter/Facebook]

Ce qui a été révélé au sujet des accords de principe confirme la mise en garde formulée par le World Socialist Web Site au cours des derniers jours. Le syndicat abandonne les revendications des travailleurs et accepte des contrats qui, s’ils sont ratifiés, imposeront d’importantes baisses salariales en termes réels, tout en prétendant avoir conclu des accords parallèles sur les questions du télétravail et de la sécurité de l’emploi laissant les travailleurs soumis à la tyrannie totale du «droit de gestion» de leurs patrons.

Cette capitulation s’inscrit dans le cadre de la collaboration politique étroite présente entre les principaux bureaucrates syndicaux du Canada, le gouvernement libéral et le Nouveau Parti démocratique (NPD) qui défend les intérêts des grandes entreprises.

Le communiqué de presse de l’AFPC annonçant la fin de la grève fait état d’«augmentations» salariales de 12 % sur quatre ans. En outre, les fonctionnaires recevront cette année un paiement forfaitaire unique de 2500 $, ce qui, selon le syndicat, équivaut à 3,7 % d’un salaire moyen. L’entente proposée correspond donc essentiellement aux 9 % sur trois ans demandés par le gouvernement, à la seule différence que l’AFPC a accepté une année supplémentaire pour le contrat et donc une interdiction prolongée des grèves. Même si l’on accepte les chiffres manipulés du syndicat, à savoir une augmentation salariale composée de 12,6 % sur quatre ans, on est loin de la revendication du syndicat, exprimée il y a moins de deux semaines, d’une augmentation de 13,5 % sur trois ans – sans parler des véritables besoins des travailleurs alors que l’inflation a officiellement dépassé 8 % l’an dernier et qu’elle continue d’augmenter à un rythme de 5 %.

Même le communiqué de presse officiel du syndicat ne peut se résoudre qu’à décrire l’augmentation salariale proposée, y compris le paiement forfaitaire unique, que comme un moyen de «combler l’écart» par rapport à l’inflation.

Les fonctionnaires ont réagi avec colère sur les médias sociaux à la misérable reculade de l’AFPC. «Est-ce qu’on lit le même accord de principe? demande un travailleur outré. Nous subissons une baisse de salaire sur quatre ans au lieu de trois et il n’y a aucun changement concernant le RTO (retour au bureau/télétravail). C’est décourageant».

«Une grande victoire avec 12 % sur 4 ans?, écrit un autre. Ça reste toujours 3% par année, ce qu’ils ont déclaré auparavant comme étant leur dernière offre! En quoi est-ce une grande victoire? On sait compter!»

«C’est une grande victoire pour le SCT (Secrétariat du Conseil du Trésor), déclare un troisième. C’est une perte énorme pour les membres de l’AFPC. Je suis très déçu.»

Le sabotage de la grève par l’AFPC découle du rôle majeur qu’elle joue dans l’alliance des syndicats et du Nouveau Parti démocratique soutenant le gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau dans la poursuite du programme de guerre de classe de l’élite capitaliste à l’étranger et d’austérité à l’intérieur du pays. Cette alliance sert de mécanisme clé pour la répression des luttes de la classe ouvrière, alors que les libéraux canalisent des dizaines de milliards de dollars vers les dépenses militaires et poursuivent leur réduction des dépenses publiques après avoir renfloué les banques et les grandes entreprises à hauteur de 650 milliards de dollars pendant la pandémie. L’alliance Libéraux-syndicats-NPD s’est consolidée en mars 2022, lorsque, à la demande des syndicats, le chef du NPD, Jagmeet Singh, a conclu un «Accord de confiance et d’approvisionnement» visant à garantir une majorité parlementaire à Trudeau jusqu’en juin 2025. Singh avait alors insisté sur le fait que cet accord était nécessaire pour garantir la «stabilité politique», c’est-à-dire la «stabilité» nécessaire pour intensifier l’assaut contre la classe ouvrière.

En conférence de presse lundi après-midi, la présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, s’est réjouie que le gouvernement ait obtenu, comme il l’avait initialement souhaité, une entente pour une durée de quatre ans. La prolongation de la convention jusqu’en 2024 apportera «une année supplémentaire de stabilité et de certitude», s’est-elle réjouie. Fortier s’est également vantée du fait que le règlement proposé, qui coûtera au Conseil du Trésor seulement 1,3 milliard de dollars par année, représente «moins de la moitié du coût des demandes initiales de l’AFPC».

Bien que les dirigeants syndicaux l’aient dissimulé afin de renforcer l’alliance gouvernementale NPD-Libérale contre les travailleurs, les commentaires de Fortier indiquent clairement que le gouvernement a signalé aux dirigeants de l’AFPC que s’ils ne mettaient pas rapidement fin à la lutte des fonctionnaires fédéraux, il utiliserait une loi de retour au travail pour criminaliser la grève. Fortier a fait remarquer que le dépôt de «l’offre finale» du gouvernement, vendredi, a été le moment où «les choses ont commencé à bouger» dans les pourparlers.

Le fait que l’AFPC ait mis fin à la grève de la section «centrale» des fonctionnaires fédéraux de façon antidémocratique – en pleine nuit et sans aucun vote de la base – laisse les travailleurs de l’Agence du revenu du Canada se battre seuls.

Un examen attentif du communiqué de presse du syndicat met à mal la vantardise creuse du président de l’AFPC, Chris Aylward, selon laquelle le syndicat a gagné du terrain sur toutes les questions importantes. Outre la capitulation sur les salaires, aucune garantie du droit au télétravail, le cas échéant, n’a été obtenue. Tout ce que le gouvernement a concédé, c’est que les directeurs de département examineront dorénavant les demandes de télétravail au cas par cas, au lieu de les rejeter en masse, et qu’il y aura des comités patronaux-syndicaux au niveau des ministères pour discuter des décisions de la direction en matière de télétravail. En conférence de presse lundi, Fortier a précisé qu’il s’agissait d’un accord parallèle entre le syndicat et le gouvernement, en dehors de la convention, et que les travailleurs n’auront pas le droit de contester les décisions prises par la direction en matière de télétravail.

Les garanties de protection d’emploi que le syndicat prétend avoir obtenues pour les travailleurs ayant plus d’ancienneté sont tout aussi minces, voire inexistantes. Tout ce que les parties ont décidé, c’est de soumettre une proposition commune à la Commission de la fonction publique pour «inclure le droit d’ancienneté dans le processus d’ajustement des effectifs». Autrement dit, quand bien même la commission non élue acceptait une telle proposition, le droit d’ancienneté ne sera qu’un facteur parmi d’autres pour décider des licenciements et n’aura donc pratiquement aucun impact.

En ce qui concerne la privatisation et la sous-traitance, l’AFPC affirme qu’elle a obtenu une protection solide contre l’expansion du recours aux entrepreneurs privés par le gouvernement fédéral. Il a été décidé qu’en cas de licenciements, les membres de l’AFPC ne perdront pas leur emploi s’ils peuvent accomplir les tâches d’un entrepreneur travaillant déjà avec le gouvernement fédéral. Or, cette disposition n’empêcherait pas l’embauche de nouveaux sous-traitants et ne protégerait guère les emplois des fonctionnaires, puisque l’employeur n’a qu’à faire valoir que les employés actuels ne sont pas en mesure d’accomplir les tâches requises.

L’imposition de réductions des salaires réels à un groupe de travailleurs qui, récemment, a été porté aux nues comme des «héros» pour avoir assuré le fonctionnement des services gouvernementaux pendant la pandémie, souligne le caractère impitoyable avec lequel l’ensemble de l’élite dirigeante est déterminée à imposer le fardeau de la crise capitaliste sur le dos des travailleurs. Tout au long de la grève, des médias comme le Globe and Mail, porte-parole de Bay Street, et le National Post, un journal de droite, n’ont fait que déverser une pluie d’insultes sur les travailleurs en les méprisant, exhortant le gouvernement à «tenir bon». Le gouvernement Trudeau, qui a envoyé plus de 8 milliards de dollars en aide militaire et autre au gouvernement ukrainien d’extrême droite depuis le déclenchement de la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en février 2022, s’est comporté de manière provocatrice tout au long des deux années de négociation et a une fois de plus clairement indiqué que si ses «partenaires» syndicaux ne parvenaient pas à mettre fin à la grève selon ses conditions, il déploierait l’appareil répressif de l’État contre les travailleurs, en commençant par l’imposition d’une loi antigrève.

La trahison de la grève par l’AFPC démontre la justesse de l’insistance du WSWS sur le fait que les fonctionnaires fédéraux ne peuvent gagner qu’en prenant eux-mêmes la direction de leur lutte en établissant des comités de base, indépendants de la bureaucratie syndicale, sur chaque lieu de travail. Ces comités devront aussitôt lancer une campagne pour rejeter tout accord de principe pourri et s’allier les autres sections des travailleurs pour mener une contre-offensive unifiée de la classe ouvrière contre la guerre et l’austérité. Pour cela, la classe ouvrière doit avant tout établir son indépendance politique par rapport à l’alliance Libéraux-syndicats-NPD qui constitue le principal obstacle à l’émergence d’un mouvement de masse des travailleurs qui pourra lutter pour le pouvoir et la redistribution des ressources de la société afin de répondre aux besoins sociaux plutôt que de produire des profits pour une infime minorité.

(Article paru en anglais le 2 mai 2023)

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