Les quotas de race et de sexe à Hollywood, la politique de l'identité et la grève des scénaristes

Le 2 mai, quelque 11.500  scénaristes de télévision et de cinéma, membres de la Writers Guild of America (WGA), se sont mis en grève pour s’opposer aux efforts déployés par les grands conglomérats qui contrôlent l’industrie pour les réduire essentiellement à des travailleurs «gig» (qui ont des travails temporaires de courte durée).

Chaque section de la classe ouvrière se trouve concernée par l’issue de ce conflit. Les entreprises géantes multimilliardaires (Disney, Amazon, Apple, NBCUniversal, Sony, etc.) sont déterminées à donner les scénaristes en exemple et à réduire leurs conditions de vie dans le cadre de l’offensive générale qui vise à imposer la crise du capitalisme sur le dos de la population active. De plus, ce que les scénaristes créent, ou ne sont pas autorisés à créer, a un impact sur le niveau culturel de larges couches de la population, sur leur capacité à saisir les réalités sociales importantes et à s’orienter. Des séries comme Succession, The Dropout, Dopesick et d’autres contribuent à la prise de conscience populaire et ébranlent les illusions du système existant.

Un peu plus d’une semaine après la grève des scénaristes, le 10 mai, l’ « Académie des arts et sciences du cinéma» (Academy of Motion Picture Arts and Sciences – AMPAS) a organisé une réunion publique virtuelle pour discuter de ses nouvelles «normes d’inclusion» pour la catégorie du meilleur film, qui entreront en vigueur en 2024.

Logo de l'Académie des arts et sciences du cinéma (Academy of Motion Picture Arts and Sciences)

Les « normes d’inclusion » ont été annoncées pour la première fois en septembre 2020. À l’époque, le WSWS avait dénoncé les efforts de l’Académie pour exiger, en fait, que les films «se conforment à des critères raciaux et de genre pour se qualifier pour son prix du meilleur film » comme une « attaque vicieuse contre la liberté artistique et un premier pas dans une voie très sinistre ».

Un fil conducteur relie fermement ces deux événements survenus au début du mois de mai, même s’il n’est pas immédiatement apparent.

Les scénaristes de télévision et de cinéma, comme d’autres catégories de la population autrefois considérées comme appartenant à la classe moyenne, ont déjà été déjà largement prolétarisés. Les studios et les chaînes, dans leur recherche du profit, tentent de créer une réserve de scénaristes désespérés à leur disposition, disponibles en cas de besoin immédiat, pour s’en débarrasser ensuite. Les questions soulevées par leur grève se posent à de larges couches de la population.

La direction de la Writers Guild dépend au Parti démocrate et à l’establishment hollywoodien. Elle est incapable de résister à ces attaques, qui exigent la mobilisation de l’immense pouvoir des centaines de milliers de travailleurs de l’industrie et d’ailleurs. Les scénaristes, les acteurs et les réalisateurs ont besoin de comités de base pour lutter en faveur d’augmentations significatives et d’améliorations des conditions de travail. Les questions politiques et culturelles sont également incontournables. La mainmise de l’oligarchie financière sur la production télévisuelle et cinématographique, vivement illuminée par le conflit en cours ne peut être brisée que par le mouvement de la classe ouvrière pour réorganiser la société selon des lignes socialistes.

L’obsession générale de la race et du genre, qui a contaminé la classe moyenne supérieure aisée, trouve une expression aiguë dans les prétendues normes d’inclusion de l’«Académie des arts et sciences du cinéma» (Academy of Motion Picture Arts and Sciences). La politique identitaire vise sciemment à diviser la classe ouvrière, en opposant les Noirs aux Blancs, les femmes aux hommes, etc., et d’une manière générale à injecter autant de confusion et de poison idéologique que possible dans l’atmosphère. Les nouvelles normes de l’Académie font partie d’une réponse de droite des défenseurs du statu quo au sein du parti démocrate, des syndicats et de la pseudo-gauche. Et cela, pour défendre contre la menace posée par un mouvement de masse de la classe ouvrière.

Les nouvelles politiques d’« inclusion» sont le résultat de plusieurs années de pressions intenses exercées par des militants de la politique identitaire, des personnalités du Parti démocrate à Hollywood et des médias tels que le New York Times. La controverse #OscarsSoWhite, qui a éclaté en 2016 lorsque pour la deuxième année consécutive les 20 artistes nommés dans les catégories des acteurs principaux et des seconds rôles étaient blancs, a servi de prétexte au lancement de l’opération.

En juin 2020, les responsables de l’AMPAS ont annoncé qu’un groupe de travail s’occupait de la prochaine phase de son « initiative d’équité et d’inclusion », connue sous le nom de « Academy Aperture 2025». Un communiqué de presse du 8 septembre 2020 a annoncé les nouvelles « normes de représentation et d’inclusion » pour le prix du meilleur film. C’était proposé par le groupe de travail, présidé par les gouverneurs de l’Académie : DeVon Franklin (conférencier motivateur, prédicateur et producteur de chefs-oeuvre telles que « Des miracles venus du ciel» et «Le paradis est bien réel» (Miracles from Heaven and Heaven Is for Real) et Jim Gianopulos (multimillionnaire et président-directeur général de Paramount Pictures à l’époque).

Afin d’être éligible pour le prix du meilleur film lors de la cérémonie des Oscars 2024, un film devra répondre à deux des quatre critères [allant de A à D]. Ces critères sont à la fois immondes et absurdes.

Pour satisfaire à la « norme A», par exemple, un film doit répondre à l'un des critères suivants:

***BEGIN BULLET-POINT LIST***

  • Au moins un des acteurs principaux ou des acteurs secondaires importants est asiatique, hispanique/latin, noir/africain, indigène/américain/natif de l’Alaska, moyen-oriental/africain du Nord, hawaïen natif ou autre insulaire du Pacifique ou d’une autre « race ou ethnie sous-représentée ».
  • Au moins 30 pour cent de tous les acteurs dans les rôles secondaires et plus mineurs appartiennent à au moins deux des groupes sous-représentés suivants : « Femmes, groupes raciaux ou ethniques, LGBTQ+ ou personnes qui souffrent d’un handicap cognitif ou physique, ou qui sont sourds ou malentendants».
  • « L'intrigue principale, le thème ou le récit du film est centré sur un ou plusieurs groupes sous-représentés ».

La «norme B» exige qu’un certain nombre de «postes de direction créative et de chefs de département» soient issus des «groupes sous-représentés» susmentionnés. Elle exige qu’au moins 30 pour cent de l’équipe du film soit issue de ces mêmes groupes. La « norme C » concerne « l’accès à l’industrie et les opportunités », y compris l’offre d’apprentissages ou de stages rémunérés pour les femmes et les membres de groupes raciaux ou ethniques, et la « norme D » exige qu’un studio et/ou un groupe cinématographique donné ait « plusieurs cadres supérieurs internes » issus des divers « groupes sous-représentés… dans leurs équipes de marketing, de publicité et/ou de distribution ».

Siège de l'AMPAS [Photo by Ucla90024/CC BY 3.0] [Photo by Ucla90024 / CC BY 3.0]

Selon Deadline (Hollywood), lors de la réunion publique du 10 mai, le PDG de l’Académie, Bill Kramer, a insisté sur le fait que les normes ne seraient pas restrictives pour les cinéastes. Kramer et ses associés ont également noté « que tous les films nominés pour le prix du meilleur film l’année dernière se seraient qualifiés, mais ils n’ont pas précisé sous laquelle des quatre normes les différents films remplissaient leurs conditions ».

En outre, Deadline a rapporté que bien que « les nouvelles normes aient intimidé certains, l’Académie a assuré aux membres qu’elles n’étaient pas destinées à perturber le processus créatif, étant donné la variété des façons dont un film peut encore être éligible pour la récompense suprême le soir des Oscars ».

Nous ne sommes aucunement rassurés. Comme le WSWS l’a commenté en 2016, le principe sous-jacent de ce type d’effort est que « les œuvres d’art devraient être catégorisées et vraisemblablement appréciées selon qu’elles représentent une perspective masculine ou féminine, noire ou blanche». Qu’elles le veuillent ou non, nous avons averti que de telles forces étaient en train d’établir cette norme de base : les femmes profitent davantage de l’art produit par les femmes, les Juifs des œuvres créées par les Juifs, les Afro-Américains de l’«art afro-américain», etc.

Partant du principe que la perspective artistique se trouve entièrement encadrée par la race ou le sexe, les bureaucrates de l’AMPAS et leurs conseillers élèvent ces questions au niveau d’une vision du monde. En termes idéologiques, dans leur obsession de la race en particulier, on a identifié de tels points de vue historiquement avec l’extrême droite.

Une telle approche, en fait, constitue la mort de l’art, qui exige que l’artiste ignore les contraintes extérieures de toutes sortes et qu’il soit fidèle à lui-même. Les propositions de l’AMPAS sont une forme de censure petite bourgeoise et identitaire, une nouvelle version du tristement célèbre Code de production cinématographique (le Code Hays), qui a tyrannisé le cinéma pendant plus de trois décennies.

En s’opposant à cet effort pernicieux, les artistes du cinéma pourraient s’inspirer de la réplique du jeune Karl Marx en 1842 aux instructions du censeur prussien. Ce dernier insistait également sur le fait que «la censure ne doit pas empêcher une recherche sérieuse et modeste de la vérité ». Marx demandait rhétoriquement : « Le premier devoir du chercheur de vérité n’est-il pas de viser directement la vérité, sans regarder à droite ou à gauche ? N’oublierai-je pas l’essentiel, si je dois ne pas oublier de l’énoncer dans la forme prescrite »?

Il poursuivit : « La loi me permet d'écrire, sauf que je dois le faire dans un style qui n'est pas le mien ! Je peux montrer mon visage spirituel, mais je dois d'abord le placer dans les plis prescrits ! Quel homme d'honneur ne rougira pas de cette présomption»?

En effet, quel homme ou quelle femme d'honneur ne rougirait pas d'une telle présomption...?

L’affirmation selon laquelle l’initiative de l’Académie implique l’«inclusion» et la «diversité» dans un sens significatif est frauduleuse. Au contraire, l’attirer d’une partie des Afro-Américains et des femmes déjà aisés ne modifiera en rien le caractère social du cinéma et de la télévision américains.

En effet, l’un des objectifs des nouvelles normes est de fixer l’attention des scénaristes, réalisateurs, producteurs et acteurs sur l’identité personnelle en tant que question et de détourner l’attention des problèmes brûlants de la guerre, de la pauvreté, de la pandémie et de la menace de la dictature.

L’indifférence et l’hostilité de la caste des riches qui dirige l’industrie du divertissement à l’égard des conditions et des intérêts de la population active ne peuvent être contrées que par un vaste mouvement dirigé contre le système de profit. Le progrès de l’art télévisuel et cinématographique, la représentation fidèle et complexe de la vie, qui ne se fait sentir que de temps en temps actuellement, est lié au développement de la lutte des classes.

Qu'est-ce que l'Academy of Motion Picture Arts and Sciences? Quels intérêts sociaux représente-t-elle ?

Louis B. Mayer en 1953

Les observateurs avertis s’accordent pour dire que les origines de l’«Académie» sont inversement proportionnelles à son nom pompeux et prétentieux. Elle est née d’un effort sordide et sournois à la fin des années 1920, mené par Louis B. Mayer, directeur de la Metro-Goldwyn-Mayer et le plus puissant dirigeant d’Hollywood, pour subvertir la syndicalisation des travailleurs du cinéma. La création d’une entité corporatiste, avec différentes branches, devait ― espéraient Mayer et les autres ― inciter les scénaristes et autres à se sentir partie prenante de l’industrie et à ne pas formuler de demandes déraisonnables.

En ce qui concerne la cérémonie des Oscars elle-même, Mayer commentera plus tard avec cynisme : « J’ai découvert que la meilleure façon de traiter [les cinéastes] était de leur accrocher des médailles… Si je leur offrais des coupes et des récompenses, ils se tueraient à la tâche pour produire ce que je voulais. C’est pourquoi l’Academy Award a été créé».

Larry Ceplair et Steven Englund, dans leur précieux ouvrage : «L’Inquisition à Hollywood: La politique dans la communauté cinématographique, 1930-60». (The Inquisition in Hollywood : Politics in the Film Community 1930-60), expliquent que les propriétaires des studios, en 1927, «pressentant une nouvelle ère de militantisme ouvrier, ils ont joué l’un des atouts les mieux gardés de la direction ― un syndicat créé par la société et appelé “Académie des arts et sciences du cinéma” (Academy of Motion Picture Arts and Sciences). Ce syndicat, écrivent-ils, “a réussi à empêcher toute organisation syndicale sérieuse parmi les artistes d’Hollywood pendant plus de cinq ans”. Une fois que les changements provoqués par la révolution du son et les premières années de la dépression, les pires, ont cessé de déloger et d’effrayer les artistes du cinéma, le rôle de l’Académie en tant qu’agence de la direction du studio est devenu évident pour tout le monde. Son consentement à une série de réductions de salaires et de licenciements à la fin des années 20 et au début des années 30 a laissé le personnel talentueux impuissant face aux économies des producteurs».

«Dans la guerre des scénaristes d’Hollywood» (In The Hollywood Writers’ Wars), Nancy Lynn Schwartz a corroboré ce récit. Elle évoque le dîner exclusif au cours duquel Mayer de la MGM (dans les années 1930, la personne la mieux payée des États-Unis) « harangua ses invités, les convainquant qu’une organisation telle que l’Académie serait de loin préférable à toute organisation artisanale antagoniste des producteurs. C’est ainsi que l’Académie est née…»

Schwartz ajoute que pendant plusieurs années, tout « semblait sûr et sécurisé dans le petit royaume », jusqu’à ce que les studios imposent des réductions de salaire massives pendant la dépression. Lorsque les scénaristes ont commencé à s’organiser sérieusement, « l’Académie, bien sûr, ne pouvait pas comprendre pourquoi les scénaristes voulaient s’organiser alors qu’ils étaient représentés à l’Académie ». Mais comme le dit si précisément une déclaration attribuée par certains à [l’écrivain] Dorothy Parker : « Se tourner vers l’Académie pour se faire représenter, c’est comme essayer de s’envoyer en l’air dans la maison de sa mère. Il y avait toujours quelqu’un dans le salon qui surveillait ».

À la fin des années 1940 et au début des années 1950, lors des purges du Parti communiste et d’autres acteurs, écrivains et réalisateurs de gauche, l’Académie a joué un rôle pourri et lâche. En 1957, à la veille de l’effondrement de la liste noire, l’AMPAS a adopté un règlement qui décrétait qu’aucune personne ayant invoqué son droit au cinquième amendement (contre l’auto-incrimination) devant le Comité des activités anti-américaines de la Chambre des sorcières (HUAC) ne pouvait recevoir d’Oscar. Elle avait également retiré le droit de recevoir un prix à toute personne ayant été membre du parti communiste. En 1999, l’Académie s’est évertuée à décerner un prix honorifique à l’archi-informateur, le réalisateur Elia Kazan.

Si ce « syndicat formé par l’entreprise », ce véhicule peu recommandable et miteux des studios, poursuit avec énergie et insistance une politique raciale et de genre, il a d’excellentes raisons de le faire. Face à des développements aussi menaçants que la grève des scénaristes, qui n’est qu’un coup d’envoi, les pouvoirs en place à Hollywood et à Wall Street transforment les campagnes pour « l’inclusion» et la «diversité» pour en faire l’une de leurs lignes de défense. Les scénaristes et les autres doivent en prendre note.

(Article paru d’abord en anglais le 19 mai 2023)

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