Canada: Les services de renseignement forcent les universités à abandonner leurs recherches faites avec des universitaires chinois

Depuis les quatre derniers mois, l’establishment politique et les médias canadiens sont accaparés par une campagne anti-Chine agressive, centrée sur des allégations obscures et non fondées des agences de renseignement selon lesquelles Pékin aurait fait de l’ingérence dans les élections fédérales de 2021 et 2019 au Canada.

En plus de présenter la Chine comme une puissance néfaste et hostile, cette campagne a servi à déstabiliser le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau afin de le pousser encore plus à droite. Le gouvernement a adopté une «stratégie indo-pacifique» anti-Chine, élaborée en étroite consultation avec la Maison-Blanche, et déploie régulièrement des navires de guerre de la Marine royale canadienne aux côtés de navires américains dans des missions provocatrices de «liberté de navigation» en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan. Pourtant, la classe dirigeante lui reproche de ne pas être suffisamment agressif à l’égard de Pékin.

Sur cette photo fournie par la marine américaine, l’USS Chung-Hoon observe un navire de la marine chinoise effectuer ce qu’il appelle une manœuvre chinoise «dangereuse» dans le détroit de Taïwan, le samedi 3 juin 2023. L’incident s’est produit alors qu’un contre-torpilleur américain et la frégate canadienne NCSM Montréal effectuaient un transit dit de «liberté de navigation» dans le détroit entre Taïwan et la Chine continentale. [AP Photo/Mass Communication Specialist 1st Class Andre T. Richard/U.S. Navy via AP]

Cette campagne réactionnaire et belliciste infecte tous les domaines de la vie publique. Cela inclut les universités.

Ces derniers mois, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le gouvernement ont intensifié leurs efforts pour contraindre les universités du pays à cesser leur coopération scientifique avec les universitaires chinois.

Le 3 mai, l’Université de Waterloo (Ontario) a annoncé qu’elle fermait son «Joint Innovation Lab», fondé en 2018 grâce à un don de 6,5 millions de dollars de l’entreprise chinoise de télécommunications Huawei. Le laboratoire avait travaillé sur 26 projets de recherche scientifique, avec 128 étudiants diplômés et chercheurs postdoctoraux.

Le lendemain, les universités de Toronto, Calgary et Saskatchewan, ainsi que les universités McGill et Carleton ont déclaré qu’elles cessaient elles aussi toute coopération avec Huawei dans le domaine de la recherche, invoquant des préoccupations en matière de «sécurité nationale» du fait que la recherche «canadienne» «pourrait» se retrouver entre les mains de l’armée chinoise. Aucune preuve n’a jamais été apportée à ces affirmations nationalistes hystériques.

Le projet «Novel Smartphone Application for Eye Disease Diagnosis and Therapy for Young Children» a été considéré par le SCRS comme présentant un «risque de sécurité». Le directeur du Joint Innovation Lab, l’informaticien Tamer Oszu, a déclaré au Waterloo Record: «Il est difficile de comprendre quel risque pour la sécurité nationale peut représenter un sujet qui étudie l’assistance informatique dans le diagnostic des maladies oculaires chez les enfants.»

La campagne de presse hystérique contre la Chine dépeint exactement le contraire. Comme dans le cas des allégations non prouvées sur l’ingérence chinoise dans les élections, de vagues allégations du SCRS – qui a menti à plusieurs reprises aux tribunaux sur ses activités – sont présentées comme incontestables et démontrant une menace actuelle et grandissante. Le Toronto Star a annoncé la rupture de la relation entre Waterloo et Huawei, citant uniquement la crainte de «liens potentiels avec les armées ou les appareils de sécurité de puissances étrangères».

Margaret McCuaig-Johnston, ancienne présidente du Natural Science and Engineering Research Council, qui gère plus d’un milliard de dollars par an en subventions de recherche, n’a guère pu faire mieux, se contentant de dire que «ces risques» – agrandis par une imagination morbide à laquelle on laisse libre cours – «sont particulièrement liés aux relations très étroites de Huawei avec l’armée chinoise, par le biais de ses nombreux employés qui font partie du personnel militaire, ainsi que par des collaborations avec des scientifiques et des ingénieurs militaires».

McCuaig-Johnston n’a pas pu citer un seul cas concret de soi-disant «recherche canadienne» tombée entre les mains malveillantes de l’armée chinoise, car il n’existe pas de tels cas documentés. La campagne de l’État contre la recherche scientifique internationale est donc en même temps non scientifique dans ses méthodes. Plutôt que de fermer la porte à la «Chine», elle stoppe les projets lancés par des étudiants diplômés et des professeurs canadiens.

«Il s’agissait de projets de recherche que les membres de la faculté souhaitaient réaliser et le financement du laboratoire commun a facilité la recherche. Il n’y a pas un seul projet pour lequel Huawei est venu nous voir pour nous dire: “Nous voulons que vous trouviez quelqu’un pour faire ce travail pour nous”», a déclaré Oszu au Record.

De vagues «préoccupations» ont été exprimées et des avertissements ont été formulés par le SCRS au sujet des technologies dites «à double usage», notamment l’informatique quantique, la photonique, l’aéronautique et la recherche sur l’intelligence artificielle. Cependant, aucune allégation spécifique de vol de droits d’auteur ou de «transfert de technologie» à l’armée chinoise n’a été documentée.

Ces mesures draconiennes mettront un terme à la recherche collaborative entre les scientifiques chinois et canadiens dans de nombreux domaines de l’ingénierie, notamment la photonique, la robotique, l’intelligence artificielle, les technologies de communication et l’aérospatiale, pour ne citer que ceux-là. Elles constituent une attaque belliqueuse contre l’indépendance des universités face à la censure de l’État et contre la science elle-même.

L’idée même qu’il existe une «science canadienne» est franchement absurde. La recherche scientifique est par nature le résultat des efforts cumulés de millions de scientifiques du monde entier, passés et présents. Mais cette nature fondamentalement sociale de la science, et donc son caractère nécessairement international, étant donné la mondialisation des moyens de production, entre en conflit direct avec la campagne de l’impérialisme visant à rediviser le monde.

Outre les calomnies et les campagnes de peur, la campagne du SCRS se caractérise par un double langage tout à fait orwellien, dans lequel les déclarations officielles signifient exactement le contraire. Manal Bahubeshi, vice-présidente de la recherche et des partenariats au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), a pu déclarer sans honte au Globe and Mail: «Notre intérêt est vraiment de soutenir un environnement de recherche ouvert et collaboratif et de soutenir les partenariats nationaux et internationaux», alors qu’elle s’efforce en fait de mettre fin à ces partenariats.

Tout en répandant des rumeurs alarmistes sur la possibilité pour l’armée chinoise de bénéficier de recherches menées conjointement, ni le SCRS ni ses laquais tels que McCuaig-Johnston n’ont rien à dire sur les opérations d’espionnage canadiennes dirigées contre la Chine ou contre la classe ouvrière canadienne. De même, ils ne disent rien sur la mesure dans laquelle les universités canadiennes sont intégrées dans la recherche militaire.

Le gouvernement Trudeau a interdit le déploiement des composants Huawei et ZTE dans les réseaux de téléphonie cellulaire 5G du Canada en 2022, sous prétexte que «Pékin pourrait utiliser les produits de l’entreprise à des fins d’espionnage». Pourtant, l’État canadien se réserve le droit d’écouter les appels téléphoniques et les courriels privés, et de contrôler les publications sur les médias sociaux du monde entier. Il est membre du réseau d’espionnage «Five Eyes», comprenant les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui, comme l’a démontré Edward Snowden, espionne essentiellement l’ensemble de la population de la planète: des opposants de gauche à l’impérialisme jusqu’à Pékin et aux chefs de gouvernements supposément alliés comme l’Allemagne.

Tous les appels bidon et cyniques à la «sécurité nationale» dissimulent les intérêts réels, économiques et lucratifs du capitalisme et de l’impérialisme canadiens dans le développement de nouvelles technologies en période de crise capitaliste et de guerre.

La campagne de l’État visant à bloquer la collaboration avec les universités chinoises s’est développée au cours des cinq dernières années, suivant de près la mise en œuvre de mesures similaires aux États-Unis. Le Globe and Mail a été l’un des premiers à soutenir cette campagne. Le 26 mai 2018, un article intitulé «How Canadian money and research are helping China become a global superpower» («Comment l’argent et la recherche canadiens aident la Chine à devenir une superpuissance mondiale») soulignait la manière dont l’État canadien intervient pour tenter d’exclure les acteurs chinois des secteurs économiques de haute technologie en pleine croissance et renforcer ainsi les mains de leurs concurrents nord-américains. Jim Hinton, avocat spécialisé dans les brevets à Waterloo, a déclaré que le Canada «... passe à côté de la partie intermédiaire: la commercialisation de l’innovation. C’est là que se trouve l’argent. Nous devons conserver au moins une partie de la propriété de ce que nous subventionnons afin de pouvoir développer des entreprises technologiques qui détiennent la propriété intellectuelle derrière la technologie...»

En 2021, le gouvernement fédéral a introduit l’obligation pour les universitaires de se soumettre à des examens de sécurité nationale s’ils recevaient un financement du Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie. En février 2023, le gouvernement a étendu cette mesure à tous les organismes fédéraux de financement de la recherche et s’est engagé à cesser tout financement de projets impliquant des universitaires ayant des liens avec des institutions militaires ou de sécurité de l’État chinois, ce qui, selon la définition d’Ottawa, inclut de nombreuses universités de recherche chinoises, si ce n’est la plupart d’entre elles.

En janvier 2023, le Globe a publié deux articles détaillant les résultats de «recherches fournies au Globe and Mail par la société américaine de renseignement stratégique Strider Technologies» sur des projets de recherche scientifique conjoints sino-canadiens qui, selon eux, pourraient profiter à l’armée chinoise. L’article demandait effectivement l’arrêt de ces recherches, citant à nouveau McCuaig-Johnston, qui déclarait: «L’Armée populaire de libération n’est pas notre amie et nous ne devrions pas nous associer avec elle.»

L’article ne mentionne pas le fait que l’interdiction d’une telle collaboration avec la Chine rapporterait de gros bénéfices aux bailleurs de fonds de Strider Technologies, qui a fourni la «recherche» pour l’«article», lequel n’a pas été publié en tant que publicité payée, alors qu’il aurait dû l’être. Strider Technologies est soutenu financièrement par Koch Industries, par l’intermédiaire de son véhicule d’investissement «Disruptive Technologies». Parmi les autres bailleurs de fonds, on peut citer Valor Equity Partners, dirigé par un ancien directeur de Tesla; et «One 9 dot ca», une société d’investissement en capital-risque dirigée par Glenn Cowan, ancien tireur d’élite de la FOI2 des Forces armées canadiennes, qui déclare, de manière dégoûtante, qu’elle «finance et développe des entreprises en utilisant des tactiques militaires de précision». Microsoft est également un bailleur de fonds. Koch Industries a investi plus de 500 millions de dollars dans Mavenir, qui tente de concurrencer Huawei dans le développement de plateformes de télécommunications 5G.

Mais la diabolisation des scientifiques et des investisseurs chinois n’est pas seulement une question de considérations commerciales immédiates. La campagne anti-Chine est un élément central des préparatifs de l’impérialisme canadien, aux côtés de son allié américain, pour préparer et mener la guerre contre Pékin. Ses objectifs sont d’attiser un climat hystérique au sein de la classe moyenne afin de créer une base sociale pour la guerre et de légitimer de vastes augmentations de dépenses pour l’armée et les services de renseignement. Ces augmentations budgétaires comprennent une modernisation complète du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), un réseau bilatéral de «défense» continentale américano-canadien visant à créer les bases permettant aux deux puissances impérialistes d’Amérique du Nord de mener une guerre nucléaire «gagnable» contre la Chine.

La campagne absurde et mensongère de l’impérialisme canadien contre ses concurrents géopolitiques et économiques révèle au grand jour la nature totalement réactionnaire des relations sociales capitalistes et les entraves que la propriété privée et le système de l’État-nation font peser sur tout développement humain futur. Une révolution socialiste mondiale – des travailleurs nord-américains comme des travailleurs chinois – est nécessaire pour remettre la recherche scientifique et la civilisation humaine sur la voie du développement progressiste ouverte par le siècle des Lumières et la révolution industrielle.

(Article paru en anglais le 16 juin 2023)

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