La Banque d’Angleterre relève son taux directeur, plongeant des millions de travailleurs dans la détresse financière

La Banque d’Angleterre (BoE) a relevé son taux d’intérêt directeur de 25 points de base à 5,25 pour cent, la 14e hausse consécutive depuis décembre 2021.

L’annonce de la BoE jeudi, qui aura des conséquences désastreuses pour des millions de travailleurs, est un acte de guerre de classe. Elle porte le taux d’intérêt à son plus haut niveau en 15 ans, et intensifie la politique brutale des principales banques centrales du monde, qui vise la suppression des revendications salariales au cœur d’une vague de grèves aux États-Unis, en Europe et dans le monde depuis 2021-22, en réponse à la plus grande crise du coût de la vie depuis des décennies.

Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, assiste à une conférence de presse pour le rapport sur la politique monétaire d’août 2023, à la Banque d’Angleterre à Londres le jeudi 3 août 2023 [AP Photo/Alastair Grant, Pool]

La Grande-Bretagne a connu 3,7 millions de journées de grève entre juin 2022 et avril 2023, ce qui représente le niveau le plus élevé depuis les années 1980. Au milieu d’une crise historique du régime bourgeois, Rishi Sunak a été installé au poste de premier ministre par le parti conservateur en octobre dernier, après que les marchés financiers sont intervenus pour chasser de son poste la première ministre d’alors, Liz Truss, qui avait remplacé Boris Johnson au poste de premier ministre du Parti conservateur à peine 44 jours plus tôt. Truss fut punie par les marchés pour avoir omis de définir un programme d’austérité suffisamment impitoyable pour payer ses cadeaux fiscaux aux entreprises. Sunak, ancien ministre des Finances britannique, a depuis soutenu des hausses de taux agressives pour intimider toute volonté des travailleurs de faire grève, en utilisant l’arme de la hausse du chômage et des remboursements hypothécaires ainsi que des loyers exorbitants.

Le Comité de politique monétaire (MPC) a voté en faveur d’une augmentation du taux d’intérêt de 0,25 pour cent avec 6 voix contre 3. Deux membres étaient favorables à une augmentation des taux à 5,5 pour cent, tandis qu’un autre était favorable au maintien des taux d’intérêt à 5 pour cent.

Dans le résumé de sa décision, le MPC a indiqué que l’inflation des prix à la consommation sur 12 mois avait chuté entre mai et juin, l’inflation des biens et services de base étant « inférieure aux attentes ». Mais il a constaté que le marché du travail « reste tendu », malgré une augmentation de 4 pour cent du chômage au cours des trois mois avant le mois de mai.

Avant tout, le MPC s’est concentré sur les dangers pour la classe dirigeante de la poursuite des revendications salariales. La croissance annuelle des salaires du secteur privé de 7,7 pour cent au cours des trois mois précédant mai a été « nettement supérieure aux attentes ». Alors que la croissance des revenus devrait tomber à environ 6 pour cent d’ici la fin de l’année, le MPC a averti qu’« il y a une incertitude autour de ces perspectives à court terme ».

Alors que la croissance des salaires du secteur privé était bien inférieure à l’inflation (égale à une réduction de salaire en termes réels) pour le MPC, elle était à un niveau inacceptable, car « des indicateurs clés, notamment la croissance des salaires, suggèrent que certains des risques liés à des pressions inflationnistes plus persistantes pourraient avoir commencé à se cristalliser ». La BoE a assuré aux marchés que « s’il devait y avoir des preuves de pressions plus persistantes, un nouveau resserrement de la politique monétaire serait nécessaire ».

La Banque centrale britannique et le gouvernement Sunak dépendent de la bureaucratie syndicale pour faire respecter la modération salariale et étouffer la colère sociale croissante. Le Congrès des syndicats (TUC) et ses syndicats affiliés ont réprimé une vague de grèves comprenant des millions de travailleurs l’année dernière, isolant, divisant et trahissant les grèves dans les chemins de fer, le métro de Londres, Royal Mail, British Telecoms, les compagnies aériennes et l’action des chauffeurs routiers, les débardeurs, les travailleurs du secteur énergétique et plus d’un million d’employés du Service national de la Santé, en passant par les enseignants des écoles et les universitaires.

Les bureaucrates syndicaux ont brandi la menace de pertes d’emplois et de ruine financière pour imposer des accords salariaux au rabais, appliquant la politique de taux agressive de la Banque d’Angleterre contre la classe ouvrière. Frances O’Grady, présidente du TUC de 2013 à 22, a siégé au conseil d’administration de la Banque depuis 2019, symbolisant le partenariat entre la bureaucratie syndicale et l’oligarchie financière.

Organiser une récession

Avant l’annonce de la BoE, l’indice boursier FTSE 100 blue chips (des valeurs sûres) a chuté de 1,4 pour cent jeudi matin, tandis que la livre a atteint son plus bas niveau depuis juin.

Les détracteurs de nouvelles hausses de taux sont nerveux face aux signes croissants de récession. Wilko, l’une des plus grandes chaînes de détaillants britanniques, a annoncé qu’elle allait se déclarer en faillite avec 12 000 emplois menacés, la dernière d’une série de faillites de grandes entreprises. Dans le secteur de la fabrication, les baisses de la production manufacturière, des nouvelles commandes et de l’emploi se sont toutes accélérées en juillet.

Raj Badiani, directeur économique en Europe pour S&P Global, a critiqué l’annonce de la BoE, qualifiant sa politique monétaire de « trop restrictive » et prédisant que l’économie britannique « devrait encore s’effondrer, avec une légère récession prévue vers le début de l’année prochaine ».

Julian Jessop, du groupe de réflexion sur le marché libre de l’Institute of Economic Affairs, a déclaré : « L’économie britannique est comme une grenouille lentement cuite par des taux d’intérêt toujours plus élevés. En faisant encore monter la température maintenant, la Banque risque d’en faire trop et, encore une fois, de se rattraper quand il sera trop tard. »

Le Telegraph proconservateur, qui s’est également opposé à de nouvelles hausses de taux, a averti que la Grande-Bretagne est confrontée à un moment Vil Coyote, « où le personnage de dessin animé continue de courir longtemps après avoir quitté le bord de la falaise avant de se rendre compte qu’il n’y a pas de sol sous ses pieds et plonger dans l’abîme ».

Mais la Banque est déterminée à tenir le coup. En Grande-Bretagne, l’inflation est toujours de 7,9 pour cent, bien supérieure à la moyenne de la zone euro de 5,5 pour cent, et supérieure à des économies comparables telles l’Allemande (6,8 %), l’Italienne (6,7 %), la Française (5,3 %) et celle des États-Unis (1,4 %).

Après la hausse du taux d’intérêt à 5 pour cent par la BoE en juin, Andrew Bailey a nié que la Banque « essayait de précipiter une récession », tout en déclarant que les hausses de salaire « ne peuvent pas continuer ».

Mais le bureau du chancelier Jeremy Hunt a confirmé cette semaine que le gouvernement est prêt à accepter une récession prolongée pour ramener l’inflation à 2 pour cent : « Nous soutenons toute action que la Banque juge nécessaire pour contrôler l’inflation », a-t-il dit.

En juin, Karen Ward de JP Morgan, membre du conseil consultatif économique de Hunt, a accusé la BoE d’être « trop hésitante » et a appelé à de nouvelles hausses soutenues pour « créer une récession ».

Elle avait déclaré à la BBC : « Ils doivent créer de l’incertitude et de la fragilité, puisque c’est uniquement quand les entreprises se sentent nerveuses face à l’avenir qu’elles penseront “Eh bien, peut-être que je ne ferai pas augmenter ce prix”, ou les travailleurs, lorsqu’ils sont moins rassurés quant à leur travail, pensent “Oh, je ne mettrai pas la pression sur mon patron pour ce salaire plus élevé” ».

Entre septembre 2022 et mars 2023, la Grande-Bretagne a connu sept mois d’inflation à deux chiffres, culminant à 11,1 pour cent en octobre dernier.

La persistance d’une inflation relativement élevée est un symptôme de l’extrême faiblesse économique de la Grande-Bretagne. Le Royaume-Uni est un importateur net de produits alimentaires et de boissons (le troisième au monde) et dépend du gaz importé pour répondre à ses besoins en électricité et en chauffage. Il était donc particulièrement vulnérable à la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre par procuration de l’OTAN. Le Brexit a laissé la Grande-Bretagne doublement exposée aux pénuries de main-d’œuvre et à la crise mondiale de la chaîne d’approvisionnement résultant de l’incapacité des gouvernements capitalistes à se préparer à gérer la pandémie.

La richesse des ménages chute

Une étude publiée le mois dernier par le groupe de réflexion de la Resolution Foundation intitulée « Au sommet de l’intérêt ? Ce que signifient des taux d’intérêt plus élevés pour la taille et la répartition de la richesse des ménages britanniques », révèle la baisse vertigineuse de la richesse des ménages depuis le début de la pandémie, la plus forte baisse jamais enregistrée.

Alors que la pandémie a initialement vu une forte augmentation de l’épargne des ménages, accompagnée d’importants remboursements de dettes — augmentant de 247 milliards de livres sterling entre février 2020 et mai 2021 — l’inflation puis la hausse des taux d’intérêt ont fait chuter la richesse des ménages.

Du début 2021 au début 2023, la baisse de la valeur des actifs (principalement les pensions de retraite et l’immobilier) a réduit la richesse des ménages de 840 pour cent du PIB au début de 2021 à environ 650 pour cent. Le rapport note : « Il s’agit de loin de la plus forte baisse jamais enregistrée en proportion du PIB, effaçant 2 100 milliards de livres sterling de la valeur nette des ménages en termes de liquidités ».

Les auteurs ont conclu que « l’ampleur de la chute de la richesse depuis 2021 a été historiquement sans précédent », représentant « la plus forte baisse de la richesse des ménages en proportion du PIB de l’après-guerre ».

S’appuyant sur les projections de la BoE, le rapport a averti que la richesse des ménages continuerait de baisser. D’ici la fin de 2026, par exemple, « presque tous les ménages britanniques ayant un prêt hypothécaire seront passés à un taux plus élevé et vont se retrouver avec des échéances hypothécaires annuelles de 2 000 £ plus élevées, en moyenne, qu’en décembre 2021 ».

Les ménages puisent déjà dans leurs économies pour couvrir les frais de nourriture, d’énergie et de logement. En mai 2023 (les données les plus récentes disponibles) « les ménages britanniques ont prélevé 4,6 milliards de livres sterling sur leur épargne, le montant le plus élevé depuis le début des relevés mensuels en 1997 ».

Les taux d’intérêt hypothécaires ont déjà plus que doublé au cours de la dernière année, l’Institut national de recherche économique et social avertissant le gouvernement que des millions de ménages ayant des hypothèques sont confrontés à « l’insolvabilité ».

Réagissant à la hausse des taux de la Banque d’Angleterre, la chancelière fantôme du Labour, Rachel Reeves, a déclaré : « Cela sera incroyablement inquiétant pour les ménages dans tout le pays. La responsabilité de cette crise incombe aux conservateurs. Ils ont détruit notre économie, aggravant la situation des gens. » Elle a affirmé que « les plans du Labour stimuleront la croissance et réduiront les factures ».

Mais Reeves et le leader travailliste Sir Keir Starmer préparent le gouvernement le plus à droite de l’histoire. Starmer a déclaré lors d’une conférence en mai que les travaillistes iraient « plus loin encore que lors de la réécriture de la clause IV par le New Labour » [article dans la constitution du Labour promettant des nationalisations de certaines industries, mais abandonné par l’ancien premier ministre Tony Blair] et décrivant ses propres plans comme une attaque « en règle, dépassant celle qui a visé la clause IV ». Il a déclaré : « Si vous pensez que notre travail en 1997 était de reconstruire un domaine public en ruine, qu’en 1964, il s’agissait de moderniser une économie trop dépendante de la bonne volonté du prochain, en 1945 de construire une nouvelle Grande-Bretagne, dans un monde instable, issue du traumatisme du sacrifice collectif — en 2024, il faudra que ce soit les trois. »

(Article paru en anglais le 3 août 2023)

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