Les États d’Afrique de l’Ouest réitèrent leur menace d’action militaire contre le Niger mais se heurtent à des divisions

Les dirigeants de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) se sont réunis jeudi et vendredi à Accra, la capitale ghanéenne pour discuter de leur réponse au coup d’État du Niger. L’organisation insiste pour que les nouveaux chefs militaires du Niger, dirigés par Abdourahamane Tchiani, rétablissent le président Mohamed Bazoum actuellement retenu en otage. Elle a menacé de recourir à l’action militaire comme dernier ressort.

Après une série d’ultimatums abandonnés, de réunions ajournées et de divisions ouvertes entre États membres, le commissaire de la CÉDÉAO chargé des affaires politiques, de la paix et de la stabilité, Abdel-Fatau Musah, voulait adopter une position plus ferme. Il a déclaré aux dirigeants réunis jeudi: «Si tout le reste échoue, les vaillantes forces de l’Afrique de l’Ouest sont prêtes à répondre à l’appel du devoir».

Mohamed Bazoum, président du Niger depuis 2021 jusqu’au coup d’État de 2023 [Photo by Benhamayemohamed - Own work / CC BY-SA 4.0]

Citant les précédentes interventions de la CÉDÉAO en Gambie et au Libéria, Musah a averti: «Dans le pire des cas, nous irons au Niger avec nos propres contingents, équipements et ressources pour garantir le rétablissement de l’ordre constitutionnel».

Dans une allusion voilée aux États-Unis, à la France et à d’autres puissances impérialistes, il a ajouté: «Si d'autres partenaires démocratiques veulent nous soutenir, ils sont les bienvenus».

Il a affirmé que tous les membres du bloc, à l’exception de Cap-Vert et des pays sous régime militaire comme la Guinée, le Mali et le Burkina Faso, avaient accepté de fournir des troupes. Le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, s’est engagé publiquement à fournir 1.100 soldats. La Sierra Leone, le Sénégal et le Bénin ont également fait part de leur soutien.

Des obstacles importants s’opposent toutefois à une intervention militaire. La Guinée, le Mali et le Burkina Faso ont non seulement refusé de fournir des troupes à la CÉDÉAO, mais se sont également engagés à soutenir militairement le Niger en cas de conflit. Les gouvernements du Liberia et de la Gambie se sont abstenus jusqu’à présent de soutenir une intervention.

Bien qu’ils ne s’alignent pas sur le Niger, de nombreux pays de l’Union africaine s’opposent à une action militaire. Lors d’une réunion apparemment «difficile» dans le cadre du Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, lundi dernier dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba, des pays ont rejeté la proposition d’intervention de la CEDEAO. Plusieurs pays d’Afrique du Nord et d’Afrique australe étaient «farouchement contre», selon un diplomate s’adressant aux médias français.

Des divisions internes affectent également les membres de la CÉDÉAO. Le sénat nigérian a refusé d’approuver l’action militaire du pays le plus puissant de l’Union, préconisant une solution diplomatique.

Au parlement ghanéen, des personnalités de l’opposition ont demandé au président Nana Akufo-Addo d’interrompre les préparatifs d’une intervention. Samuel Okudzeto Ablakwa, membre de la Commission des affaires étrangères, a déclaré à la BBC que le président n’avait « pas de mandat du peuple ghanéen à cet égard… Nous sommes fermement convaincus que le recours à une intervention militaire n’est pas la meilleure solution».

En direct de la réunion de la CÉDÉAO pour France 24, Justice Baidoo a déclaré vendredi qu’il était «très difficile d’obtenir des informations d’un grand nombre de fonctionnaires de la CÉDÉAO qui sont ici. D’un côté, ils disent qu’ils sont tout à fait convaincus que cette action va avoir lieu. D’autre part, ils sont incapables de dire quand et comment cela va se produire».

Les putschistes nigériens se sont sentis renforcés. Ils ont annoncé leur intention de juger Bazoum pour haute trahison. À partir de samedi, les civils âgés de plus de 18 ans ont été encouragés à s’inscrire à une organisation de volontaires pour la défense du Niger, pour aider à lutter contre une invasion.

Les divisions sur une intervention militaire de la CÉDÉAO reflètent les vives inquiétudes des gouvernements africains qui craignent que ses conséquences ne déstabilisent leur régime. Le Niger occupe une position centrale dans un Sahel en proie depuis plus d’une décennie à des conflits avec des groupes armés non étatiques.

Ayant leurs racines dans la pauvreté de la région, le manque d’emplois pour une population qui grandit vite, la concurrence pour les réserves d’eau et les pâturages, ces groupes ont été renforcés par l’afflux de mandataires islamistes de l’OTAN actifs dans la guerre menée contre la Libye en 2011. Plus de 6.000 civils ont été tués par ces forces au Sahel occidental en 2021, et 9.000 en 2022. Plus de deux millions de gens sont déplacés dans leurs pays dû aux violences de la dernière décennie, et près d’un demi-million sont réfugiés dans les pays voisins.

Toute guerre aggraverait considérablement la situation, faisant davantage de réfugiés et créant les conditions nécessaires à la propagation des milices dans la région.

Niger [Photo by Peter Fitzgerald / CC BY-SA 4.0]

Les perturbations économiques aggraveraient également les crises sociales qui sévissent dans de nombreux États d’Afrique de l’Ouest. Au Ghana, l’inflation dépasse les 40 pour cent, tandis que les paiements d’intérêts sur la dette publique absorbaient jusqu’à peu plus de 70 pour cent des recettes. Cela a contraint le pays à un défaut de paiement et à un programme de sauvetage et de restructuration du FMI à hauteur de 3 milliards de dollars. Ce programme comporte des hausses d’impôts surtout régressives, une hausse du prix de l’eau, de l’électricité et du carburant, ainsi qu’une réduction des dépenses publiques.

L’inflation au Nigeria est à son plus haut niveau depuis 18 ans, 24 pour cent, suite aux réformes économiques exigées par les investisseurs internationaux. L’agence centrale des statistiques du pays note «une hausse du prix de l’huile et des matières grasses, du pain et des céréales, du poisson, des pommes de terre, de l’igname et d’autres tubercules, des fruits, de la viande, des légumes, du lait, du fromage et des œufs». Sa population partage des liens culturels et économiques étroits avec le Niger et est largement opposée à tout conflit.

Vu que violence persistante et détresse économique sont les principales sources du mécontentement populaire, que les chefs militaires ont exploité pour agir contre leurs gouvernements ces dernières années, toute intervention pourrait avoir l’effet inverse de l’objectif déclaré de dissuader les coups d’État dans la région, les dirigeants de la CÉDÉAO étant dans la ligne de mire.

Les gouvernements ouest-africains comme leurs chefs militaires craignent un véritable soulèvement populaire où le sentiment anti-impérialiste de masse et le mécontentement social se retourneraient contre l'ensemble de la classe dirigeante, complice de l'exploitation de la population par les puissances étrangères.

Pour les mêmes raisons, les pays impérialistes, à l’exception de la France, se sont montrés circonspects dans leur soutien à une intervention militaire au Niger. Les États-Unis et les puissances européennes ont exprimé à plusieurs reprises leur inquiétude face à l’influence croissante de la Chine et de la Russie dans une région riche en ressources et stratégiquement située. Mais la CÉDÉAO étant divisée, ils s’inquiètent de sa capacité à promouvoir leurs intérêts dans une région où les troubles politiques ont permis au groupe mercenaire russe Wagner de s’implanter.

Les puissances occidentales préféreraient sans aucun doute voir Bazoum revenir en selle, après avoir investi des milliards de dollars dans la formation militaire et diverses formes d’«aide» au Niger durant la dernière décennie. Elles ont donc suspendu les programmes d’aide et approuvé le blocus et les sanctions de la CÉDÉAO, qui ont eu un effet dévastateur sur ce qui est déjà l’un des pays les plus pauvres du monde.

Les États-Unis ont soutenu la menace de la CÉDÉAO de prendre des mesures pouvant aller jusqu’à l’action militaire, mais l’idée d’une action militaire est toujours assortie de réserves concernant la recherche préalable d’une solution diplomatique. On a envoyé à Niamey, la capitale nigérienne, Kathleen FitzGibbon en tant que premier ambassadeur américain actif dans le pays depuis deux ans, après une visite préalable infructueuse de la vice-secrétaire d’État Victoria Nuland.

Cette situation pourrait changer rapidement si Washington est convaincu qu’une intervention militaire peut réussir. À ce jour, le département d’État américain s’est abstenu de qualifier officiellement de coup d’État la prise de pouvoir par l’armée au Niger, tout en examinant l’avenir de sa présence militaire dans le pays. La secrétaire de presse du Pentagone, Sabrina Singh, a déclaré sans détour mardi: «Nous avons des actifs et des intérêts dans la région. Notre principale priorité est de protéger ces intérêts et ceux de nos alliés… une désignation [comme coup d’État]… change certainement ce que nous pourrions faire dans la région, et comment nous pourrions travailler en partenariat avec l’armée nigérienne».

Ces actifs comprennent 1.100 soldats et une base aérienne de 100 millions de dollars dans le nord du pays, utilisée comme base d’opérations pour les vols de drones américains en Afrique de l’Ouest. Des sources ont déclaré à la chaîne CNN: «Si on décide de parler de coup d’État, les responsables du gouvernement ont également étudié la possibilité d’une dérogation pour permettre à certaines activités militaires américaines de continuer».

(Article paru d’abord en anglais le 19 août 2023)

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