Les États-Unis et l’Iran parviennent à un accord sur fond de pression, de tensions et de menaces croissantes

Les États-Unis ont convenu un accord informel et limité avec l’Iran sur le programme nucléaire de ce dernier dans une tentative de contrecarrer les relations croissantes entre Téhéran et Moscou alors que Washington se prépare à intensifier la guerre en Ukraine contre la Russie.

Après plus d’un an de pourparlers indirects, le régime nationaliste clérical bourgeois iranien a apparemment accepté de ne pas traiter l’uranium au-delà du niveau de 60 pour cent, de libérer plusieurs binationaux irano-américains emprisonnés, d’arrêter les attaques de ses alliés régionaux contre les forces américaines et de ne pas transférer de missiles balistiques à la Russie.

En échange, les États-Unis ont accepté de ne pas durcir les sanctions, saisir de pétroliers ou d’avancer des résolutions punitives contre l’Iran aux Nations Unies ou à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ils ont également accepté le dégel de certains avoirs iraniens dans des pays tiers pour des activités ne pouvant être sanctionnées, notamment les importations de nourriture et de médicaments.

Les détails sont flous, l’administration Biden refusant de commenter ou de confirmer les arrangements qui ne constituent pas un accord écrit formel. En partie au moins, c’est pour éviter de déclencher la loi américaine sur l’examen de l’accord nucléaire iranien de 2015 qui exige que tout accord nucléaire conclu avec Téhéran soit approuvé par le Congrès, qui est ouvertement hostile à un tel accord. Le Parti républicain a fustigé la nouvelle et son ancien vice-président Mike Pence, candidat à l’investiture présidentielle républicaine, a qualifié l’accord du « plus gros paiement de rançon de l’histoire américaine aux mollahs de Téhéran ».

La semaine dernière, l’Iran a transféré quatre Américains d’origine iranienne emprisonnés à la prison d’Evin à Téhéran en résidence surveillée, dont Siamak Namazi, Emad Sharghi et Morad Tahbaz, emprisonnés pour espionnage, et deux autres Américains anonymes, l’un scientifique et l’autre homme d’affaires, dont l’un avait déjà été assigné à résidence. Ils seront autorisés à retourner aux États-Unis une fois que 6 milliards de dollars des revenus pétroliers gelés de l’Iran en Corée du Sud et 4 milliards de dollars en Irak auront été transférés via la banque centrale du Qatar à l’Iran. L’argent fournira une bouée de sauvetage cruciale pour le régime du président Ebrahim Raisi qui est aux prises avec un déficit budgétaire de 10 milliards de dollars, bien qu’il ne puisse être dépensé que pour la nourriture et les médicaments. Selon l’agence de presse d’État iranienne, IRNA, les États-Unis libéreront alors cinq Iraniens détenus dans des prisons américaines.

Un article du Wall Street Journal la semaine dernière a déclaré que Téhéran avait décidé de réduire la quantité d’uranium enrichi qu’il possède et de diluer une partie de l’uranium déjà enrichi à 60 pour cent – bien plus que ce qui a été convenu dans le cadre de l’accord nucléaire de 2015 que l’administration Trump abandonna unilatéralement en 2018 – tout en ralentissant le processus d’enrichissement. Cela peut indiquer que Téhéran est prêt à conclure un accord plus large avec Washington et les puissances européennes.

Le ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, s’exprimant lors d’une conférence de presse télévisée, a déclaré que Téhéran était déterminé à résoudre son différend nucléaire avec les puissances mondiales par la diplomatie, déclarant : « Nous avons toujours voulu un retour de tous les intéressés au plein respect de l’accord nucléaire de 2015. »

Ces développements surviennent après que les États-Unis ont intensifié la pression sur l’Iran, alors même que les alliés de Washington dans le Golfe ont normalisé leurs relations avec Téhéran. L’Arabie saoudite a rouvert son ambassade à Téhéran tandis qu’Amir-Abdollahian s’est entretenu avec son homologue à Riyad.

Le mois dernier, la marine américaine a déclaré qu’elle était intervenue pour empêcher l’Iran de saisir deux pétroliers marchands dans le golfe d’Oman, tandis que le Pentagone avait envoyé des avions de combat F-35 et F-16 supplémentaires et deux navires de guerre dans la région à la suite de ce qu’il prétendait être la saisie et le harcèlement par l’Iran de navires marchands. Il serait aussi question pour le Pentagone de placer des marines américains à bord des pétroliers marchands pour dissuader les efforts iraniens de saisir des navires dans le détroit d’Ormuz, par lequel passent 20 pour cent de toutes les expéditions de pétrole.

Sur cette photo publiée par l’US Navy, deux avions de chasse F-35A Lightning II de l’US Air Force volent aux côtés du navire d’assaut amphibie USS Bataan et du destroyer lance-missiles USS Thomas Hudner dans le golfe d’Oman, jeudi 17 août 2023. Le Bataan a transité par le détroit d’Ormuz, l’embouchure étroite du golfe Persique, ces derniers jours sur fond des tensions avec l’Iran, le 20 août 2023. [AP Photo/U.S. Navy via AP]

L’administration Biden, utilisant la menace de sanctions américaines, a contraint le Pakistan à suspendre son projet de gazoduc en Iran. C’est un coup dur pour l’Iran et le Pakistan, qui sont en proie à des pénuries d’électricité persistantes qui entraînent des coupures de courant de 18 heures dans les zones rurales et des délestages de 6 à 10 heures dans les villes.

Téhéran a annoncé qu’il disposait de la technologie pour construire un missile de croisière supersonique, déclarant : « Le missile de croisière supersonique ouvrira un nouveau chapitre dans le programme de défense de l’Iran, car il est extrêmement difficile d’intercepter un missile de croisière volant à des vitesses supersoniques. »

Les objectifs de Washington en relançant les pourparlers interrompus puis abandonnés il y a un an et en cherchant une sorte d’arrangement avec l’Iran visent à perturber les liens croissants avec la Russie qui posent obstacles aux intérêts géostratégiques américains et à apaiser les tensions grandissantes au Moyen-Orient. La guerre aérienne et maritime secrète entre les États-Unis et leur chien d’attaque en Israël, qui frappent chaque semaine les alliés syriens et libanais de Téhéran, et l’Iran, risque d’évoluer en conflit militaire ouvert.

Sous le président Ebrahim Raisi, dont la faction conservatrice s’est opposée à l’accord de 2015, Téhéran avait cherché à profiter de la guerre russo-ukrainienne et des sanctions occidentales contre la Russie pour souligner l’importance de l’Iran pour la Russie et la Chine, tout en gardant ouverte l’option d’un accord avec les États-Unis. Son gouvernement, terriblement désireux de se débarrasser des sanctions de plus en plus strictes qui ont détruit l’économie, causé une inflation galopante et une pauvreté généralisée et a provoqué une opposition massive des travailleurs et des jeunes, avait largement retiré ses conditions préalables à un accord, notamment que les États-Unis retirent leur désignation du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) comme organisation terroriste.

L’année dernière, les États-Unis ont renoncé à l’accord lorsqu’il a été révélé que la Russie utilisait des drones fournis par l’Iran dans la guerre provoquée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine.

Des semaines plus tard, des manifestations de masse ont éclaté à propos de la mort de Mahsa Amini, 22 ans, après sa détention par la police de la moralité du régime clérical corrompu. Elles ont été nourries par la colère populaire face aux conditions sociales et économiques désespérées, et se sont transformées en manifestations de masse durant des mois et ont été réprimées par des arrestations, la force meurtrière et l’exécution d’au moins sept manifestants. De nombreux manifestants, y compris des mineurs, restent en prison sans procès, malgré une amnistie largement médiatisée.

Les puissances impérialistes n’ont pas été en mesure d’utiliser les manifestations pour organiser un changement de régime en Iran, mais le gouvernement Raisi a fait l’objet de protestations sans relâche des retraités iraniens dont les pensions ne valent plus rien et des grèves sporadiques des enseignants et des travailleurs du pétrole et d’autres industries qui subissent de plein fouet les sanctions économiques imposées par les États-Unis, aggravées par la gestion par la kleptocratie de la pandémie et de la crise climatique. Elle a répondu par l’intimidation et la répression, exécutant quelque 278 personnes jusqu’à présent cette année.

À l’approche de la date anniversaire du meurtre de Mahsa Amini, le mois prochain, les autorités ont intensifié l’application du code vestimentaire du régime pour les femmes, redéployant les patrouilles de la police islamique du hijab dans les rues, fermant plusieurs entreprises et startups bien connues dont les employées ne portaient pas le hijab et arrêtant au moins 12 militantes. Les célébrités féminines qui ont contesté la loi sur le hijab ont été condamnées à des peines pouvant aller jusqu’à deux ans, l’actrice Azadeh Samadi ayant été condamnée à suivre un traitement psychologique pour « trouble de la personnalité antisociale ». Le Guardian britannique a rapporté que certaines femmes s’étaient vu refuser la possibilité de passer des examens universitaires et qu’un tribunal religieux avait ordonné à une femme de laver les cadavres pour les enterrer en guise de punition pour le non-port du foulard.

Le pouvoir judiciaire prend des mesures de plus en plus sévères contre les journalistes, les militants et les réalisateurs, prononçant de nouvelles peines et la nouvelle arrestation de ceux récemment libérés de détention pour intimider politiquement les détracteurs du régime. Maysam Dahbanzadeh, un militant politique libéré de la prison d’Evin en mai, a été condamné à une nouvelle peine de six ans de prison pour « avoir orchestré des rassemblements destinés à commettre des crimes contre la sécurité nationale » et « formé un groupe pour troubler la sécurité de la nation ». Ali Asghar Hassanirad, ancien prisonnier politique, est détenu sans explication.

Le syndicat des journalistes basé à Téhéran a rapporté que la justice avait condamné deux journalistes, Saeedeh Shafiei et Nasim Soltanbeigi, à respectivement trois ans et sept mois de prison. Selon la Fédération internationale des journalistes, 13 journalistes sont actuellement en prison.

L’éminent réalisateur Saeed Roustayi, dont le film de 2019 La loi de Téhéran (aussi connu sous le titre Just 6.5) a révélé l’horrible problème de la drogue en Iran et la réponse brutale de la police, a été condamné à six mois de prison pour avoir diffusé son film Leila et ses frères au Festival de Cannes l’année dernière. Le film, qui a remporté le prix de la Fédération internationale des critiques de cinéma, raconte l’histoire d’une famille aux prises avec des difficultés économiques à Téhéran. Il avait été interdit en Iran après avoir « enfreint les règles en étant inscrit dans des festivals internationaux de cinéma sans autorisation », et le réalisateur a refusé de le « corriger » comme l’avait demandé le ministère de la Culture. Roustayi et le producteur du film Javad Noruzbegi ont été reconnus coupables de « contribuer à la propagande de l’opposition contre le système islamique ».

L’année dernière, l’Iran a ordonné au cinéaste de renommée internationale Jafar Panahi, 62 ans, de purger une peine de six ans de prison pour avoir voulu se renseigner sur ses collègues réalisateurs Mohammad Rasoulof et Mostafa Aleahmad qui avaient été arrêtés par la police.

(Article paru en anglais le 20 août 2023)

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