Manifestations sociales en Syrie alors que les États-Unis resserrent leur filet autour de l’Iran et de ses alliés

Durant les dix derniers jours, de nombreux articles ont fait état en Syrie de manifestations anti-gouvernementales réclamant un allègement des difficultés économiques et le renversement du régime du président Bachar al-Assad. Les commentateurs établissent des parallèles avec les manifestations ayant éclaté en mars 2011 et qui ont fait penser à une possible chute d’Assad.

On avait qualifié les manifestations de 2011 – dans le sillage de l’invasion de la Libye par l’OTAN pour renverser le régime de Mouammar Kadhafi – de «révolution» syrienne ; le gouvernement Obama s’en était servi comme couverture pour les forces islamistes armées – financées par ses alliés du Golfe et par la Turquie – pour remplacer al-Assad par un régime plus conforme aux diktats de l’impérialisme américain.

Sur cette photo d’archives du 17 mai 2018, le président russe Vladimir Poutine, à droite, écoute le président syrien Bachar Assad lors de leur rencontre dans la station balnéaire russe de Sochi, sur la mer Noire. [AP Photo/Mikhail Klimentyev]

Le 20 août, des manifestations ont éclaté dans la ville de Sweida, dans le sud principalement druze du pays, site de manifestations anti-gouvernementales en 2020 et 2022, après que le gouvernement eut doublé les salaires des fonctionnaires et réduit les subventions sur le carburant, le 15 août, faisant plus que doubler leur coût. La livre syrienne – en chute libre depuis le début, en 2011, de la guerre par procuration menée par Washington pour renverser le gouvernement syrien – a encore chuté de 30 pour cent. Il faut désormais 10.700 lires pour un dollar, contre 50 en 2011. Cela crée une hyperinflation et exacerbe des conditions économiques et sociales déjà terribles qui font que 90 pour cent de la population vivent sous le seuil de pauvreté, dans un contexte de corruption omniprésente de l’élite dirigeante.

Les dirigeants locaux, avec le soutien du clergé druze, ont appelé à une grève générale d’une journée, fermant tous les magasins de la ville. Plus tard dans la semaine, les manifestants ont attaqué les bureaux locaux du parti Baas au pouvoir et dressé des barrages sur la route menant à la capitale Damas. Certains manifestants ont scandé «Dégage Bachar, nous voulons vivre dans la dignité» et «Vive la Syrie, à bas, Bachar al-Assad».

Le média local Sweida 24 a rapporté que les manifestations s’étaient étendues à la ville méridionale de Daraa et à celle de Jableh, près de la ville côtière de Lattaquié. Elles eurent lieu aussi dans d’autres zones tenues par l’opposition dans le nord-ouest, dans une partie de la province d’Alep, limitrophe d’Idlib, et dans la ville de Deir al-Zur le long de l’Euphrate dans l’est. Al-Monitor a rapporté que les bureaux du parti Baath dans d’autres villes de la province de Sweida ont eux aussi été fermés.

Rayan Maarouf, le rédacteur en chef en exil de Sweida 24, a déclaré que si la fin des subventions aux carburants avait déclenché le «soulèvement», les revendications étaient politiques – pour la chute du régime – et non économiques.

Ces informations sont toutefois sommaires. Alors que les médias syriens contrôlés par l’État n’ont pas parlé des manifestations, le secrétaire général du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah, les a reconnues, en les imputant aux États-Unis. Le contenu de certains articles dément certainement des titres comme «Des centaines de milliers de personnes manifestent en Syrie pour renverser le régime d’Assad».

Ces manifestations semblent bénéficier du soutien des États-Unis ; des groupes syriens en exil aux États-Unis les soutiennent et appellent au renversement d’Al-Assad. En Syrie, l’Administration autonome kurde, le mandataire américain qui contrôle le nord-est de la Syrie, et le Conseil national du Kurdistan, soutenu par la Turquie, ont publié des déclarations de soutien, tandis que les manifestants de la province d’Alep et de la province rebelle d’Idlib, où les Druzes sont systématiquement persécutés, s’engagent à s’unir à Sweida et à Daraa.

Le pseudo-de gauche Socialist Workers Party britannique a cédé les pages de sa presse à ses co-penseurs de la «Gauche révolutionnaire» en Syrie. Le groupe fait l’éloge des manifestations et soutient le Mouvement du 10 août et le Mouvement d’action civile, récemment créés, «qui ont appelé à des grèves et à d’autres formes de désobéissance civile». Il participe à un comité de coordination qu’il reconnaît être «composé de plusieurs mouvements actifs, dont notre parti. Nous menons donc un double combat, contre le régime et contre les courants conservateurs et contre-révolutionnaires».

En prenant part à une telle organisation, le rôle de Gauche révolutionnaire/SWP est de fournir une couverture politique aux efforts visant à manipuler et subordonner les travailleurs syriens aux chefs religieux, aux opposants islamistes pro-turcs et aux «mouvements démocratiques» soutenus par l’impérialisme américain, et à d’autres fractions de la bourgeoisie syrienne, et de les appuyer. Cela sert à empêcher les travailleurs de mener une lutte indépendante contre leur propre classe dirigeante et contre l’impérialisme.

La théorie de la révolution permanente de Trotsky affirme que le peuple syrien ne peut satisfaire aucun de ses besoins les plus fondamentaux – la libération face aux guerres impérialistes et l’oppression, les droits démocratiques, l’emploi et un niveau de vie décent – en s’alignant sur une quelconque section de la bourgeoisie nationale. À l’époque impérialiste, la réalisation des tâches démocratiques et nationales fondamentales dans les nations opprimées – tâches associées aux XVIIe et XVIIIe siècles à la montée de la bourgeoisie – impose la nécessité de la prise de pouvoir par la classe ouvrière. Cela ne peut se faire qu’en unifiant les luttes de la classe ouvrière syrienne avec celles de la classe ouvrière internationale dans le cadre de la lutte pour la révolution socialiste mondiale.

Les dernières manifestations ont coïncidé avec une visite éphémère de trois législateurs républicains du Congrès américain – la première en dix ans – via la Turquie, dans une zone tenue par les rebelles au nord-ouest d’Alep, qui a été le théâtre de frappes sporadiques des forces russes et syriennes contre les milices islamistes soutenues par la Turquie. Leur objectif était de mettre en lumière la situation «tragique» en Syrie, bien que leur compassion ne concernât que les régions tenues par les rebelles, et d’appeler la «communauté internationale à intervenir» contre le régime d’Al-Assad.

Des personnes font la queue pour obtenir de l’essence dans la province d’Idlib, en Syrie, le 15 décembre 2022 [AP Photo/Ghaith Alsayed, File]

Il est indéniable que les conditions de vie en Syrie sont désastreuses, mais l’impérialisme américain et ses homologues européens en sont les premiers responsables. Les salaires sont inférieurs à 20 dollars par mois, ce qui rend impossible de se nourrir. La plupart des familles dépendent d’envois de fonds de leurs proches à l’étranger. Sur les 22 millions d’habitants que comptait la Syrie avant la guerre, près de huit millions ont fui le pays, et l’on estime que 3,5 millions vivent en Turquie. Les envois de fonds, estimés à environ 400 millions de dollars par mois, dépassent de loin la valeur des salaires et des traitements versés dans ce pays frappé par la pauvreté.

La guerre, dont quatre années d’intenses bombardements aériens américains, a tué un demi-million de personnes et en a blessé bien plus encore. Elle a ruiné l’économie syrienne, ravagé ses villes et infrastructures, son système agricole et ses réseaux d'irrigation, et lui a légué un héritage mortel d’obus non explosés, de mines, de bombes à fragmentation et d'autres munitions sur les terres agricoles, le long des routes et dans les bâtiments.

Washington et ses alliés régionaux, les États du Golfe, la Turquie et Israël, ont financé et/ou soutenu des centaines de milices pour combattre le régime syrien, mais aussi pour se battre entre eux. Les forces américaines et leurs mandataires, dont l’administration autonome dirigée par les Kurdes, contrôlent désormais près d’un tiers du territoire syrien – mais pas les principaux centres de population – notamment la région pétrolière de Deir al-Zur et le grenier à blé traditionnel de Hassakeh, tous deux situés dans l’est du pays, où les conflits se poursuivent. Plusieurs affrontements ont eu lieu cette semaine entre combattants kurdes soutenus par les États-Unis et combattants arabes soutenus par la Turquie, dans la province de Deir al-Zur, faisant au moins 34 morts et de nombreux blessés.

Alors qu’Al-Assad, aidé par l’Iran, la Russie et ses alliés régionaux, a repris le contrôle d’une grande partie du pays, les conditions économiques et sociales ne se sont pas améliorées, car les États-Unis ont cherché à mettre la Syrie en faillite, en imposant des sanctions ciblant son secteur bancaire et en étranglant ses industries et entreprises d’exportation. Les États-Unis, qui contrôlent les institutions financières multilatérales, ont également organisé l’effondrement en 2019 de l’économie libanaise, avec laquelle la Syrie est inextricablement liée, afin de resserrer l’étau autour de Damas.

Les tremblements de terre dévastateurs qui ont frappé la Turquie et la Syrie en février ont intensifié la crise socio-économique syrienne. Ils ont fait plus de 6.000 morts et détruit quelque 10.000 bâtiments, laissant environ 265.000 personnes sans abri. Ils ont causé plus de 5 milliards de dollars de dommages physiques directs en Syrie et une contraction de 5,5 pour cent d’un PIB qui était déjà passé, selon la Banque mondiale, de 67 milliards de dollars en 2011 à 12 milliards de dollars en 2022.

La guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine a également limité le soutien financier de Moscou à Damas, tout en provoquant une flambée des prix du blé. Bien que la Ligue arabe ait réadmis Al-Assad après l’avoir suspendu au début de la guerre et que les États du Golfe aient rétabli leurs relations avec Damas, cela n’a pas encore permis d’obtenir des investissements ou une aide significative.

Washington, soucieux de briser des liens croissants entre ses alliés du Golfe, l’Iran, la Russie et la Chine, accroît la pression sur l’Iran et ses alliés en Syrie, au Liban et en Irak. Les États-Unis doivent organiser d’importants exercices militaires avec Israël, dont l’un simulerait une attaque contre les installations nucléaires iraniennes. Ceux-ci font suite à une grande manœuvre conjointe impliquant le commandement central américain et les forces de défense israéliennes en janvier, qui comprenait des exercices de l’armée de l’air et de défense antimissile.

Le général Mark Milley, le chef d’état-major interarmées américain, a rencontré le ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef d’état-major des Forces de Défense d’Israël (FDI) Herzi Halevi lors d’une visite imprévue en Israël. Lors de sa précédente visite, en mars, il avait discuté des questions de sécurité régionale et de la «coordination pour se défendre contre les menaces posées par l’Iran». Israël a mené des frappes aériennes quasi hebdomadaires contre la Syrie, dont la plus récente a touché les aéroports de Damas et d’Alep, causant d’importants dégâts. Cela s’ajoute aux centaines de frappes aériennes menées depuis 2011 contre les troupes syriennes, les combattants soutenus par l’Iran et le Hezbollah.

L’envoyé américain pour l’Energie Amos Hochstein est en visite au Liban pour réduire la dépendance du pays à l’égard de l’Iran, et fait miroiter la possibilité d’un soutien aux ressources énergétiques offshore du pays. Selon la chaîne libanaise al-Mayadeen, les États-Unis ont envoyé des renforts militaires dans leurs bases près de Deir al-Zur en Syrie et ont déployé des avions de chasse. Ils ont également envoyé des forces supplémentaires le long de la frontière entre l’Irak et la Syrie, près d’Al Bukamal, peut-être en préparation d’opérations contre les milices pro-iraniennes dans l’est de la Syrie.

L’ex-premier ministre irakien Nouri Al-Maliki a déclaré que le récent déploiement des forces américaines dans la province d’Anbar, dans l’ouest de l’Irak, indiquait que leur objectif était de fermer la frontière avec la Syrie et de se préparer à renverser le régime syrien. Il a ajouté qu’il avait refusé la demande de Washington de fermer la frontière irakienne avec la Syrie en 2011, car cela aurait équivalu au siège d’un autre pays.

Le mois dernier, le Pentagone a envoyé des avions de combat F-35 et F-16 supplémentaires ainsi que deux navires de guerre dans la région suite à ce qu’il a qualifié de saisie et harcèlement de navires commerciaux par l’Iran. Washington envisagerait d’embarquer des marines américains sur des pétroliers commerciaux afin de dissuader l’Iran de s’emparer de navires dans le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 20 pour cent de toutes les cargaisons de pétrole.

(Article paru d’abord en anglais le 2 septembre 2023)

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