Derrière les votes de grève, les syndicats du Front commun préparent une nouvelle trahison

Près de six mois après l'expiration des conventions collectives le 31 mars dernier, les dirigeants du Front commun intersyndical, qui regroupe 420.000 travailleurs du secteur public du Québec, ont demandé à leurs membres de se prononcer sur un mandat de grève.

Ces votes se tiendront dans une situation sociale explosive. D'un côté, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), avec le plein appui du patronat, est déterminé à imposer des concessions massives aux travailleurs du secteur public. De l'autre côté, il existe une forte opposition populaire à l’état lamentable des services publics et les sondages montrent que la population soutient largement cette section clé des travailleurs.

Devant cet immense potentiel pour développer la lutte, les dirigeants du Front commun ont dû reconnaître que leur «stratégie» d’engager un «dialogue social» avec Legault comme «partenaire» a échoué et qu'ils font «face à un mur».

Les chefs des quatre grandes centrales syndicales du Québec (à gauche) en rencontre officielle le 2 mai dernier avec le premier ministre Legault (au centre à droite) et ses conseillers [Photo: Francois Legault/Twitter]

La CAQ est déterminée à intensifier l'assaut contre les services publics et les conditions des travailleurs mené par ses prédécesseurs libéraux et péquistes. Elle exige de nouvelles concessions dans les régimes de pensions et plus de flexibilité, c’est-à-dire une surcharge de travail pour les employés. Elle maintient son offre provocatrice de 9 pour cent d'augmentation salariale sur cinq ans et intensifie la privatisation. Son réel mépris pour les services publics a été souligné par les commentaires du ministre de l'Éducation, le droitiste notoire Bernard Drainville, lorsqu'il a dit, devant le manque de milliers d'enseignants, qu'il faut avoir «un adulte dans la classe» – non pas un enseignant formé.

Si les chefs des trois grandes centrales syndicales (CSN, CSQ et FTQ) ont donné le nom de «front commun» à leur alliance temporaire dans le secteur public (à laquelle s’est jointe l’ATPS), c’est pour se donner l’apparence d’être associés aux luttes militantes du début des années 70 et aux gains obtenus par les travailleurs à cette époque.

Cette tentative frauduleuse et les votes de grève font partie de leurs manœuvres pour éviter une confrontation politique avec le gouvernement tout en gardant le contrôle sur les membres de la base – qui ont montré à maintes reprises qu'ils sont prêts à entrer en lutte et n’hésitent pas à critiquer les chefs syndicaux sur les médias sociaux.

La stratégie des syndicats, incluant ceux qui ne font pas partie du Front commun – la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) – demeure celle qu'ils ont imposée au cours des dernières décennies. Elle consiste à enfermer la lutte dans le cadre étroit de «négociations» à propos d'une convention collective pour laquelle les paramètres financiers sont fixés d'avance par le gouvernement sans jamais être sérieusement remis en question par les syndicats.

C'est en étouffant les luttes des travailleurs que la bureaucratie syndicale pro-capitaliste maintient la relation corporatiste qu’elle a développée au cours des dernières décennies avec le patronat et l’État – la base des salaires à six chiffres et autres privilèges qu’elle reçoit en retour.

En fait, la dernière chose que les chefs syndicaux veulent, c'est d'en arriver à une grève générale illimitée qui aurait le potentiel de devenir le fer-de-lance d'une contre-offensive politique de toute la classe ouvrière contre le programme d'austérité de la classe dirigeante au Québec et dans tout le Canada.

Cela est démontré par les récents commentaires des chefs syndicaux eux-mêmes. Ils ont insisté qu'un mandat de grève générale illimitée, dont ils se réservent le droit de fixer la date de début, sera «précédée de séquences de grève», c’est-à-dire des grèves partielles ou rotatives.

Du point de vue des bureaucrates syndicaux, ces grèves seraient conçues non pas pour mobiliser les travailleurs en tant que force sociale indépendante et rallier l’appui de la population contre le démantèlement des services publics, mais comme un autre «moyen de pression» qui ne ferait pas changer la ligne dure du gouvernement, mais servirait plutôt à démobiliser et à diviser les travailleurs.

Magali Picard, cheffe de la FTQ, a dit espérer en arriver à une entente avec le gouvernement avant Noël si celui-ci présente des «offres respectables avec au moins un rattrapage salarial». Autrement dit, les bureaucrates syndicaux veulent continuer de négocier à huis clos avec le gouvernement tout en se réservant le droit d'annuler toute grève limitée, sous prétexte d’avoir obtenu une autre «entente historique» avec le gouvernement – une entente qui serait en fait remplie de concessions. Les chefs syndicaux ont aussi fait savoir que toute la législation anti-ouvrière sur les services essentiels, qui brime le droit élémentaire de grève, sera observée à la lettre.

Si jamais les chefs syndicaux se trouvaient forcés, sous la pression de la base, de déclencher une grève partielle, ils utiliseraient aussitôt la menace d'une loi spéciale de retour au travail pour dire qu'on «ne peut rien faire» et qu'il faut se plier aux diktats anti-ouvriers du gouvernement. C’est exactement ce qu’ils ont fait en 2015 devant l’opposition montante des membres de la base contre leur acceptation de baisses salariales et leur inaction face aux coupures massives du gouvernement libéral de Philippe Couillard.

Les travailleurs du secteur public doivent reconnaître qu'ils font face à une lutte politique. Ce n'est pas seulement parce que leur employeur est le gouvernement, mais parce que leurs revendications pour des services publics de qualité, de meilleurs salaires et des conditions de travail décentes entrent en conflit avec les intérêts vitaux de la classe capitaliste dirigeante, non seulement au Québec, mais partout au Canada. Et ce, peu importe l’étiquette politique des partis au pouvoir – que ce soient la CAQ, les indépendantistes du Parti québécois ou les fédéralistes du parti libéral du Québec sur la scène provinciale; ou le NPD social-démocrate, les conservateurs ou les libéraux de Justin Trudeau sur la scène fédérale.

L’intransigeance de la CAQ et de Legault, lui-même un ex-PDG multimillionnaire, exprime les demandes des banques et des grandes entreprises, qui voient les services publics, les salaires et les retraites comme des ponctions inadmissibles sur leurs profits gigantesques. Adeptes de la privatisation et d’une plus grande «flexibilité», elles mènent également une guerre de classe contre les travailleurs du secteur privé et manufacturier, dont Legault a qualifié les salaires de «trop élevés». 

C'est la même attitude anti-ouvrière qu’a adoptée l’élite dirigeante devant la pandémie de COVID-19. Voulant à tout prix que les profits continuent de couler à flots, la CAQ a exigé le retour à l'école et le retour au travail en pleines vagues successives mortelles du coronavirus, qui continue d’ailleurs à se propager. Cette politique meurtrière, qui a accéléré la détérioration des services publics, a été pleinement appuyée par les syndicats.

Les lois chauvines que la CAQ a placées au centre de ses mandats, comme les lois 9, 21 et 96, visent toutes à diviser les travailleurs sur des lignes ethnolinguistiques et à attiser le nationalisme québécois. Ce dernier, défendu bec et ongle tant par la classe dirigeante que par les syndicats, est le ciment idéologique réactionnaire de la bourgeoisie québécoise. Au cœur du nationalisme québécois se trouve l'idée fausse que travailleurs francophones auraient plus en commun avec les capitalistes francophones qu'avec leurs frères et sœurs de classes anglophones et allophones en Amérique du Nord.

La tâche des travailleurs n'est pas d'exiger le «respect» de la CAQ, mais de se tourner vers leurs alliés naturels: la classe ouvrière dans tout le Québec, le reste du Canada et internationalement. Les travailleurs du secteur public doivent se voir comme un contingent important de la classe ouvrière internationale, qui est en train de reprendre le chemin des luttes de masse. La majorité des travailleurs au Québec parlent une langue différente de leurs confrères d’Amérique du Nord, mais ils font tous face aux mêmes syndicats traîtres et à la même classe capitaliste déterminée à les faire payer pour la profonde crise de son système.

Aucune lutte ne pourra aller de l'avant sans remettre en question la subordination de la société à une poignée d'ultra-riches. Pour gagner leurs justes revendications, les travailleurs du secteur public doivent s'organiser indépendamment de la bureaucratie syndicale en formant des comités de base qui prendront comme point de départ les besoins des travailleurs et non ce que la classe dirigeante dit pouvoir «se permettre».

Ces comités permettront aux travailleurs d'entrer en communication, d'échanger de l'information et de coordonner leurs luttes avec leurs puissants alliés qui se trouvent dans l'ensemble de la classe ouvrière, au Québec et au-delà.

Cela doit être associé à une lutte politique pour briser le monopole des riches sur la vie sociale et réorganiser les ressources de la société de façon rationnelle et démocratique, sur la base des besoins humains.

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