La semaine dernière, la junte militaire du Burkina Faso a déclaré avoir déjoué une tentative de coup d’État. «Les services de renseignement et de sécurité du pays ont déjoué la tentative de coup d’État contre la junte au pouvoir au Burkina Faso par des officiers militaires et d’autres personnes qui complotaient pour prendre le pouvoir et plonger le pays dans le chaos», a déclaré l’armée dans un communiqué mercredi 27 septembre.
Cette tentative de coup d’État s’est produite un an après l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré dans un coup d’État militaire, en septembre 2022. «Je rassure sur ma détermination à conduire la Transition en toute sécurité malgré l’adversité et les différentes manœuvres qui visent à stopper notre marche inexorable vers la souveraineté assumée. MERCI à tous les Burkinabè qui assurent en permanence la vieille citoyenne», a déclaré Traoré après l’annonce par la junte de l’échec de la tentative de coup d’État.
Le parquet militaire burkinabè a indiqué qu’il avait ouvert «une enquête approfondie sur la base d’informations crédibles faisant état d’un complot contre la sûreté de l’État». En conséquence, quatre officiers ont été arrêtés et deux autres sont recherchés dans le cadre du coup d’État manqué.
«Sur la base d’une dénonciation crédible faisant état d’un complot en cours contre la sûreté de l’État, impliquant des officiers, dont deux en fuite et quatre arrêtés (…) nous avons immédiatement ouvert une enquête approfondie pour élucider les faits dénoncés», a déclaré jeudi à la presse le procureur du parquet militaire Ahmed Ferdinand Sountoura. En décembre 2022, le parquet avait déjà condamné une tentative de déstabiliser le régime et annoncé l’arrestation de militaires.
Parmi les officiers cités par la junte comme ayant prétendument dirigé la tentative de coup d'État on trouve :
*Le lieutenant-colonel Cheick Hamza Ouattara, qui dirige la Légion spéciale de la gendarmerie nationale;
*Le capitaine Christophe Maïga, commandant en second de l’unité spéciale d’intervention de cette même gendarmerie;
*Abdoul Aziz Aouoba, commandant des forces spéciales burkinabè ;
*Boubacar Keita, directeur général de l’Institut supérieur d’études de la protection civile.
Les deux autres officiers en fuite sont d’anciens membres du Service national de renseignement. L’un d’eux est le commandant Sekou Ouedraogo, ancien directeur général adjoint de ce service. Ouedraogo a été relevé de ses fonctions le 13 septembre par Traoré, le chef de la junte.
Celle-ci a également annoncé la suspension de «tous les modes de diffusion», presse écrite et Internet compris, du périodique français Jeune Afrique. Depuis 2022, la junte a déjà suspendu temporairement ou pour une durée indéterminée plusieurs chaînes de télévision ou de radio françaises, les accusant d’œuvrer à fomenter le chaos dans le pays. La junte militaire a déjà ciblé plus particulièrement les chaînes LCI et France 24, les quotidiens Libération et Le Monde, et plus généralement elle a expulsé les correspondants étrangers des médias français.
La nouvelle de la tentative de coup d’État s’est répandue sur les médias pro-gouvernementaux et les réseaux sociaux dans tout le Burkina Faso. Des milliers de manifestants pro-militaires sont descendus dans les rues de Ouagadougou et d’autres villes du pays mardi pour montrer leur soutien à la junte après que le capitaine Traoré eut lancé des appels publics à ses partisans pour qu’ils le «protègent».
Si la nature de cette menace de coup d’État et les activités des officiers désignés comme ses chefs par la junte au pouvoir restent floues, les questions politiques essentielles à l’origine des conflits au sein de l’establishment militaire burkinabè deviennent de plus en plus claires.
La junte militaire au Burkina Faso, comme au Mali et au Niger, est arrivée au pouvoir dans un contexte de profonde opposition populaire à la guerre 2013-2022 menée par l’impérialisme français au Mali et dans tout le Sahel. Les grèves et les manifestations de masse des travailleurs et des jeunes contre la présence des troupes françaises et de l’OTAN ont conduit les militaires à évincer des présidents pro-français discrédités. Les juntes militaires au pouvoir dans ces trois pays ont alors demandé à la France, ancienne puissance coloniale, de retirer ses troupes de leurs territoires.
Une situation politiquement explosive est apparue dans toute l’Afrique de l’Ouest. L’impérialisme français fait pression sur la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour qu’elle prépare une invasion du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Au début du mois, les trois pays ont conclu un accord de défense mutuelle, l’Alliance des États du Sahel (AES). Cet accord précise qu’ils répondront à toute tentative d’invasion contre l’un des États de l’AES comme une attaque contre tous trois.
Ce conflit est aussi à présent fortement lié à la guerre entre l’OTAN et la Russie en Ukraine, car la junte burkinabè dirigée par Traoré développe des liens militaires avec le Kremlin. La guerre en Ukraine menace donc de s’étendre à de grandes parties de l’Afrique.
Cette situation internationale explosive crée des divisions insolubles au sein des élites dirigeantes capitalistes des pays de l’AES, qui manœuvrent entre le sentiment anti-impérialiste des travailleurs et de la jeunesse d’une part, et leurs relations avec les pays impérialistes de l’OTAN, de l’autre. Cela exclut l’instauration d’un régime démocratique bourgeois stable qui mettrait fin à la domination impérialiste de la région et expulserait les puissances impérialistes d’Afrique. Au contraire, à chaque crise politique majeure et à chaque recrudescence de la lutte des classes, des factions militaires rivales se disputent le pouvoir.
L’impérialisme français en particulier a une longue expérience pour ce qui est de manipuler à son avantage ces rivalités entre diverses factions des classes capitalistes africaines.
Paris a soutenu d’innombrables coups d’État militaires dans son ancien empire colonial africain depuis les indépendances nominales de 1960. Elle a utilisé à maintes reprises ses rapports étendus avec les corps d’officiers des pays africains pour évincer les régimes critiquant la politique néocoloniale de Paris. Au Burkina Faso même, en 1987, le gouvernement français a soutenu le renversement et l’assassinat par Blaise Compaoré du président pro-soviétique Thomas Sankara.
Ces rivalités entre factions au sein de la bourgeoisie locale reflètent également la crise sociale et économique insoluble à laquelle sont confrontés les travailleurs et les masses rurales opprimées de la région.
Plus de deux millions de personnes ont été déplacées et des dizaines de milliers poussées au bord de la famine par les combats au Burkina Faso, l’une des pires crises de réfugiés en Afrique. La semaine dernière, les autorités ont déclaré que quelque 192.000 personnes déplacées à l’intérieur du pays étaient rentrées chez elles après que les forces gouvernementales eurent repris plusieurs zones. Dix-sept soldats et 36 volontaires civils ont été tués dans la province de Yatenga lors d’affrontements début septembre avec des insurgés djihadistes. Depuis 2015, plus de 17.000 personnes sont mortes dans ces violences rien qu’au Burkina Faso.
Le Burkina Faso, qui compte environ 23 millions d’habitants, a connu deux coups d’État militaires l’année dernière. Le nombre de personnes tuées par les rebelles depuis que le capitaine Traoré a pris le pouvoir lors d’un second coup d’État fin septembre 2022 a presque triplé par rapport aux 18 mois précédents, selon un rapport du Centre d’études stratégiques pour l’Afrique.
«Cette violence, associée à l’extension géographique des activités extrémistes autour de Ouagadougou, place plus que jamais le Burkina Faso au bord de l’effondrement», indique le rapport.
Cette situation explosive ne peut être changée sans l’intervention indépendante de la classe ouvrière en Afrique. Toute l’histoire des anciens pays coloniaux montre qu’on ne peut mener la lutte contre les provocations impérialistes sans mobiliser les travailleurs et la jeunesse contre la bourgeoisie et ses liens profonds avec l’impérialisme. La question essentielle est de construire un mouvement socialiste, anti-guerre et anti-impérialiste de masse parmi les travailleurs et les jeunes dans toute l’Afrique, en Europe et à l’international.
(Article paru d’abord en anglais le 30 septembre 2023)