Le soulèvement palestinien révèle la complicité de l’establishment politique turc avec Israël

Le soulèvement populaire de Gaza contre la brutale occupation israélienne a rapidement mis en lumière l’hypocrisie du gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdoğan et des partis d’opposition bourgeois, qui sont tous complices de l’oppression du peuple palestinien.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à Sarajevo, en Bosnie, le 6 septembre 2022. [AP Photo/Armin Durgut]

Après le soulèvement, le gouvernement du Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou a déclaré la guerre au peuple palestinien, tuant des centaines de personnes et déployant 100.000 soldats à la frontière de Gaza, afin de préparer une invasion terrestre majeure.

L’élite dirigeante turque a réagi à cette déclaration de guerre et aux attaques aveugles de l’État israélien contre des civils en appelant à la «retenue» et au respect du droit international. Cette attitude est diamétralement opposée à celle des larges masses en Turquie, qui sympathisent avec les Palestiniens.

Dans sa première déclaration, samedi, Erdoğan a dit: «À la lumière des événements survenus en Israël ce matin, la Turquie appelle toutes les parties à faire preuve de retenue et à s’abstenir de mesures impulsives susceptibles d’aggraver les tensions».

Dans des remarques faites dimanche, Erdoğan a affirmé que «la région atteindra la tranquillité, la paix durable et la stabilité» sur la base des résolutions de l’ONU et du droit international. Mais Israël n’a jamais respecté ces lois et les puissances impérialistes qui le soutiennent l’ignorent régulièrement. Erdogan a néanmoins appelé à une «solution à deux États».

Loin de condamner Israël, Erdoğan a clairement indiqué que son gouvernement était perturbé par le soulèvement et y était hostile. «Bien que nous ayons toujours été solidaires de nos frères et sœurs palestiniens, nous avons également souligné qu’il fallait éviter toute mesure susceptible de faire monter la tension, de provoquer de nouvelles effusions de sang et d’aggraver les problèmes dans la région,» a-t-il déclaré.

Erdoğan a réitéré cette position lundi soir sur X/Twitter, arguant un peu plus crûment que les Palestiniens devaient simplement s’adapter pacifiquement à la persécution et au vol de leurs terres par le régime israélien.

«Nous appelons le gouvernement israélien à cesser de bombarder les territoires palestiniens, en particulier Gaza, et les Palestiniens à cesser de harceler les colonies civiles israéliennes. Cette mesure de modération ouvrira également la porte à la paix,» écrit-il. Par le passé, Erdoğan et son gouvernement ont condamné ouvertement les attaques israéliennes et exprimé leur soutien aux Palestiniens. Mais aujourd’hui, hormis les appels d’Erdoğan à la retenue et à des pourparlers supervisés par le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan, le silence est total de la part du gouvernement.

«Quand il s’agit de tuer, vous savez très bien le faire», avait-il crié au président israélien de l’époque, Shimon Peres, lors d’une table ronde du Forum économique mondial de Davos, en 2009, déclarant qu’Israël persécutait la Palestine. Après cela, il y eut une crise dans les relations diplomatiques avec Israël, et Erdoğan s’est posé pendant un temps en «défenseur des Palestiniens».

Il y a tout juste deux ans, en 2021, Erdoğan est allé jusqu’à qualifier Israël d’«État terroriste», exhortant le «monde entier, en particulier les pays islamiques» à prendre des mesures «efficaces» contre les attaques israéliennes.

Malgré toutes ces tensions, la Turquie — premier pays du monde musulman à avoir reconnu Israël en 1949 — a toujours maintenu des liens commerciaux et militaires avec Tel-Aviv dans le cadre de son alliance militaire et stratégique étendue avec l’impérialisme américain. Plus récemment, la bourgeoisie turque a normalisé à nouveau ses relations avec le gouvernement Netanyahou, conformément à ses intérêts dans l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz en Méditerranée orientale.

Kemal Kılıçdaroğlu, le chef du Parti républicain du peuple (CHP) — parti bourgeois turc d’opposition — a également refusé de condamner Israël. Kılıçdaroğlu, qui a fait campagne sur une position plus pro-OTAN qu’Erdoğan à l’élection présidentielle de mai dernier, a été contraint de faire cette déclaration samedi lorsque des journalistes l’ont interrogé sur la question: «La Palestine est un pays qui cherche à obtenir ses droits depuis longtemps. Nous sommes toujours aux côtés du peuple palestinien. Nous ne voulons jamais la guerre. Dans le cadre de mesures démocratiques, la société internationale doit intervenir et assurer la paix et les droits de la Palestine».

Il existe une autre raison, plus importante encore, pour laquelle le gouvernement Erdoğan et les autres partis bourgeois ont été incapables d’apporter un soutien même symbolique au soulèvement populaire palestinien. Comme l’explique la déclaration du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), «à un moment où l’agitation sociale et les grèves se multiplient dans le monde entier, la classe dirigeante est partout terrifiée par l’exemple que donnerait toute manifestation d’opposition populaire».

La colère des travailleurs turcs, qui ont subi une baisse massive de leur niveau de vie dans un contexte d’augmentation du coût de la vie, a atteint le point d’ébullition. Ces derniers mois, l’opposition de différentes couches de la classe ouvrière à ces conditions s’est manifestée par une nouvelle vague de grèves sauvages, et un mouvement de grève international en pleine expansion.

Les années précédentes, après les massacres israéliens, le gouvernement turc déclarait un deuil national pour les Palestiniens et encourageait les manifestations de masse anti-israéliennes. Cela, dans le but de manipuler et d’exploiter les sentiments de l’écrasante majorité de la population turque à l’encontre du régime sioniste et de l’impérialisme.

Dans les circonstances explosives actuelles, les élites dirigeantes turques sont conscientes des dangers des déclarations de soutien aux masses opprimées, même si elles ne sont que symboliques. Les manifestations de soutien aux Palestiniens dans les principales villes de Turquie après le récent soulèvement ont été principalement menées à l’appel d’organisations proches du parti islamiste Felicity, qui faisait partie de l’alliance bourgeoise dirigée par la CHP contre Erdoğan aux dernières élections.

Les événements ont démasqué l’attitude hypocrite du gouvernement Erdoğan sur la Palestine, qui repose sur les liens étroits de la classe dirigeante turque avec Israël et les puissances impérialistes. La ligne officielle d’Ankara ne se distingue plus en rien de celle des régimes arabes réactionnaires du Moyen-Orient qui travaillent depuis des décennies à améliorer leurs relations avec Israël au détriment des vies et des droits des Palestiniens.

Téhéran, qui est lui-même ciblé par Israël et par l’impérialisme américain, ne s’est toutefois pas joint à ce chœur et a fait une déclaration de soutien au soulèvement. Cela a conduit le régime israélien et les puissances impérialistes à menacer ouvertement l’Iran.

Le Wall Street Journal, qui a appelé le gouvernement Biden à soutenir pleinement l’invasion terrestre prévue par Israël à Gaza, a affirmé dans un article que le Hamas avait coordonné son offensive militaire avec le Corps des gardiens de la révolution islamique en Iran. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le porte-parole de l’armée israélienne, le général de brigade Danny Hagari, ont tous deux déclaré qu’il n’existait aucune preuve permettant d’étayer cette affirmation.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a démenti cette allégation et a lancé cet avertissement: «La poursuite des attaques du régime israélien contre Gaza dans les circonstances actuelles compliquera la situation et augmentera le risque de propagation de la guerre».

Alors que les puissances de l’OTAN dirigées par les États-Unis intensifient la guerre contre la Russie en Ukraine et soutiennent pleinement Israël, le risque est extrême qu’une guerre n’embrase l’ensemble du Moyen-Orient.

Le Sosyalist Eşitlik Grubu (Groupe pour l’égalité socialiste) en Turquie, en accord politique avec le CIQI, s’oppose fermement à la déclaration de guerre lancée par l’État israélien contre la Palestine suivant le soulèvement populaire. Nous appelons les travailleurs de Turquie, du Moyen Orient et du reste du monde à prendre la défense des Palestiniens.

(Article paru d’abord en anglais le 10 octobre 2023)

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