Le 12 octobre 2023 restera dans l'histoire comme le jour où tous les partis représentés au Bundestag (le parlement fédéral), du Parti de gauche au parti d’extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), ont serré les rangs et déclaré à l'unanimité leur soutien à une politique de militarisme effréné et de répression politique.
Le Bundestag a donné carte blanche au gouvernement israélien pour se venger cruellement de la population palestinienne suite au soulèvement de Gaza et a promis de le soutenir par tous les moyens disponibles. Il a menacé de représailles militaires toutes les organisations et puissances régionales qui oseraient aider les Palestiniens et s'est engagé à poursuivre, punir et réprimer en Allemagne toute expression de sympathie envers les Palestiniens.
Au moment où le Bundestag s’est réuni jeudi, le gouvernement israélien avait depuis longtemps dit clairement qu’il préparait des crimes de guerre à grande échelle. Il avait déjà commencé à transformer la bande de Gaza, où plus de deux millions de personnes vivent entassées dans un espace extrêmement réduit sans aucun moyen de s’échapper, en un enfer.
Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, avait annoncé: « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est bouclé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou s'est engagé à tuer tous les membres du Hamas, qui gouverne Gaza. «Nous allons les écraser et les détruire comme le monde a détruit «l’État islamique», a-t-il menacé. Chaque membre du Hamas était «un homme mort». Comme le Hamas est profondément ancré à Gaza, cela signifie tuer des centaines de milliers de personnes.
Depuis des jours, la bande de Gaza est bombardée sans arrêt par l'armée israélienne, des zones d’habitation entières sont déjà en ruines et la population est privée d'électricité, d'eau et de nourriture. Plus de 1 400 personnes, dont beaucoup d’enfants et de femmes, étaient mortes selon un décompte officiel publié jeudi à midi. Des milliers d’autres sont blessés et les hôpitaux ne sont plus en mesure de prodiguer les soins nécessaires.
L’armée israélienne regroupe plus de 300 000 soldats à la frontière de Gaza, soit près de deux fois l’effectif total de l’armée allemande actuelle, et se prépare à une invasion terrestre dont on attend qu’elle sera longue et sanglante. «L’ampleur de cette intervention sera encore plus importante que celles du passé et plus sévère. Ça ne sera pas beau à voir», a déclaré le magazine britannique Economist citant le porte-parole de l'armée israélienne, Richard Hecht. Et l’envoyé israélien à l’ONU, Gilad Erdan, d’ajouter: «L’ère du raisonnement avec ces sauvages est révolue. Il est désormais temps d’anéantir l’infrastructure terroriste du Hamas, de l’éradiquer entièrement.»
Mais il n’y eut pas un mot de critique des actions israéliennes tout au long du débat au Bundestag et encore moins une syllabe d’empathie à l’égard des Palestiniens. Les parlementaires de tous les partis se sont surpassés pour assurer le gouvernement israélien de leur soutien. L'ambassadeur israélien Ron Prosor, assis dans la tribune, a reçu une ovation debout.
Le procès-verbal de la séance mentionne des dizaines de fois: «Applaudissements dans toute la Chambre» et «Applaudissements du SPD, de la CDU/CSU, des VERTS et du FDP, ainsi que des membres de l'AfD et du PARTI DE GAUCHE». Pour finir, le Bundestag a adopté une résolution présentée conjointement par les trois partis gouvernementaux et la CDU/CSU. Elle a été adoptée sans aucune voix dissidente ni abstention. Les membres de l'AfD et du Parti de gauche ont également voté à l'unanimité en sa faveur.
Le chancelier Olaf Scholz (SPD) a ouvert le débat par une déclaration du gouvernement. Il a qualifié les rebelles palestiniens de «terroristes» et a donné un chèque en blanc à l’armée israélienne. «Israël a le droit, en vertu du droit international, de se défendre et de défendre ses citoyens contre cette attaque barbare», a-t-il déclaré. « En ce moment, il n'y a qu'une seule place pour l'Allemagne: aux côtés d'Israël. »
Scholz a nié tout lien avec l'oppression des Palestiniens durant des décennies par un régime israélien qui a organisé maintes fois des massacres, annexé de grandes parties de la Cisjordanie avec le soutien de colons fascistes et transformé Gaza en prison à ciel ouvert qu'il bombarde à intervalles réguliers. «Rien, mais rien, ne justifie la terreur du Hamas!» a-t-il affirmé.
Pour Scholz, la force brutale n’est autorisée que si elle vient des oppresseurs et pas si elle vient des opprimés. Les nazis avaient autrefois utilisé des arguments similaires pour dénoncer le «terrorisme» et écraser brutalement toute résistance émanant des partisans, des juifs ou d’autres victimes de leur politique meurtrière. Tous les autres intervenants du débat suivirent sans réserve Scholz et se livrèrent à une véritable furie guerrière.
Le leader de la CDU, Friedrich Merz, a justifié à l’avance chaque crime de guerre commis par le gouvernement israélien: «Mais une chose est déjà claire: il ne doit y avoir aucune fissure dans notre solidarité, même si Israël fait le nécessaire pour rétablir sa sécurité.»
Omid Nouripour (Verts) a déclaré: «Il ne s’agit pas là de deux parties en conflit. Il s’agit d’un État démocratique qui se défend contre la terreur à l’état pur. C’est pourquoi il n’y a pas d’équidistance vis-à-vis de personne. Nous sommes uniquement aux côtés d’Israël.»
Dietmar Bartsch (Parti de gauche) a évoqué «une nouvelle dimension de la terreur» qui « veut simplement massacrer les Juifs» et a réaffirmé «notre solidarité avec Israël».
Le dirigeant du SPD, Lars Klingbeil, a déclaré que les actes terroristes du Hamas avaient fait «d’une paix durable une perspective lointaine». Maintenant il était nécessaire de «combattre la terreur systématiquement».
Le premier à prendre la parole au nom de l’AfD fut Alexander Gauland, qui avait qualifié l’Holocauste de simple «crotte de mouche» dans mille ans de glorieuse histoire allemande. «Cette attaque barbare, qui fait presque exclusivement des victimes civiles, doit recevoir une réponse radicale», a-t-il déclaré, appelant à une campagne contre l’Islam: « Lorsque nous sommes aux côtés d’Israël, nous défendons également notre façon de vivre et de penser contre un Islam politisé.»
Son collègue député Jürgen Braun a accusé les «vieux partis» d’avoir «permis précisément à des gens comme les assassins de Gaza d’entrer dans notre pays sans être dérangés pendant des années ». Seule l’AfD s’était «clairement opposée à l’immigration de ceux qui haïssaient les Juifs et sont des meurtriers de masse».
Le secrétaire général de la CDU, Carsten Linnemann, a très clairement résumé l'enthousiasme des parlementaires pour la guerre lorsqu'il a parlé à la chaîne ZDF de la visite de l'ambassadeur israélien Prosor au groupe parlementaire chrétien-démocrate: «C’était historique pour moi, je n’oublierai jamais cette rencontre». L'ambassadeur avait dit: «Bien sûr, nous essayons de ne pas frapper des innocents, mais bien sûr, cela arrivera. Et nous devons riposter si fort que personne ne songe à attaquer de nouveau Israël. Et ce sera brutal». Le groupe parlementaire avait applaudi, «nous avons rendu hommage et j'ai vraiment eu la chair de poule».
La chair de poule devant une attaque «brutale» qui frappe de nombreux innocents – de tels sentiments étaient jusqu’ici l’apanage de néo-nazis radicaux!
Dans sa déclaration gouvernementale, Scholz ne s'est pas contenté d'attaquer les Palestiniens. Il a également accusé l’Iran de complicité, sans aucune preuve, et a ouvertement menacé Téhéran d’une guerre.
« Il est vrai que nous n'avons pas encore de preuve tangible que l'Iran ait apporté un soutien concret et opérationnel à cette lâche attaque du Hamas », a déclaré le chancelier. «Mais c’est clair pour nous tous: sans le soutien iranien au cours des dernières années, le Hamas n’aurait pas été capable de mener ces attaques sans précédent sur le territoire israélien. »
S’adressant à Téhéran et au Hezbollah libanais, il a lancé, menaçant: «Notre message est clair: ce serait une erreur impardonnable d’attaquer Israël. »
Sur cette question encore, tous les autres intervenants furent d’accord. Le leader de la CDU Merz surtout a clairement indiqué qu'une action militaire au Moyen-Orient était déjà discutée dans les milieux dirigeants. « Depuis samedi dernier, nous savons qu'outre la guerre en Ukraine, la liberté et la paix doivent être défendues dans notre voisinage élargi », a-t-il déclaré.
Tous les partis ont également convenu de réprimer tout signe de solidarité avec les Palestiniens en Allemagne. Dans sa déclaration, Scholz a annoncé l'interdiction de Samidoun, un réseau de défense des prisonniers palestiniens, ainsi que l'interdiction des activités du Hamas, déjà classé comme organisation terroriste par l'UE.
Le resserrement des rangs de tous les partis du Bundestag, leur enthousiasme pour la guerre et leurs efforts pour réprimer toute opinion dissidente ne sont pas seulement une réaction au soulèvement palestinien de Gaza. Ils réagissent à l’opposition croissante à un système social qui n’a rien à offrir sauf l’exploitation, les inégalités sociales et la guerre. Ils sont dos au mur et réagissent comme il y a 90 ans, par la dictature et la guerre.
(Article paru en anglais le 13 octobre 2023)