Lettre ouverte d’un employé de Harvard s’opposant à la persécution des étudiants qui protestent contre l’assaut israélien sur Gaza

La lettre suivante a été envoyée au World Socialist Web Site par un employé de Harvard.

Chers collègues,

La déclaration du Comité de solidarité avec la Palestine [initiales anglaises PSC] des étudiants de Harvard et l’extraordinaire réaction qu’elle a suscitée sont devenus un sujet d’actualité internationale.

La courte déclaration des étudiants activistes, qui tenait légitimement «le régime israélien entièrement responsable de toutes les violences en cours», a été dénoncée par des administrateurs de l’université, des personnalités des médias nationaux et des PDG milliardaires. Elle a été outrageusement assimilée à un soutien au Hamas, au terrorisme et à l’antisémitisme.

La bibliothèque Baker de la Harvard Business School sur le campus de l'université de Harvard à Cambridge, Massachusetts, mardi 7 mars 2017 [AP Photo/Charles Krupa]

Cette situation a créé sur le campus une atmosphère de peur et d’autocensure. Le PSC a dû «reporter une veillée de solidarité reconnaissant toutes les victimes civiles» à la suite de «menaces de mort crédibles», selon une déclaration du PSC au journal étudiant Harvard Crimson.

En raison de ces menaces, seuls les détenteurs d’une carte d’identité de Harvard sont autorisés à se rendre sur le campus à certaines heures, et le Service de police de l’Université de Harvard [initiales anglaises HUPD] a renforcé sa présence sur le campus. Le HUPD aurait conseillé à une jeune étudiante musulmane de rester dans son dortoir plutôt que d’assister à une réunion en personne parce que son foulard pourrait faire d’elle une cible de violence; ses proches prennent des nouvelles pour l’encourager à s’éloigner du [centre historique de l’université] Harvard Yard.

Le groupe d’extrême droite Accuracy in Media (AIM) est rapidement entré en scène. AIM a parcouru Harvard Square avec un camion d’affichage montrant les noms et photos d’étudiants prétendument associés à la déclaration du PSC sous le titre «Harvard’s Leading Antisemites» (Les principaux antisémites de Harvard). Malgré son prétendu attachement à l’exactitude, le camion aurait montré des photos d’étudiants n’étant plus à Harvard, d’étudiants n’étant plus affiliés aux organisations, et d’étudiants juifs, tous amalgamés dans la catégorie antisémites.

L’acharnement contre ces étudiants militants a apporté de l’eau au moulin de groupes d’extrême droite comme l’AIM qui a promu [le présentateur d’extrême-droite de Fox News] Tucker Carlson, et défendu la torture sous le gouvernement Bush. Il convient de noter que ce milieu est rempli de véritables antisémites, que les Israéliens ont manifesté en nombre record contre le coup d’État au ralenti du Premier ministre Benjamin Netanyahou, que des organisations et des militants israéliens et juifs font partie de ceux qui qualifient Israël de régime d’apartheid et s’opposent au massacre de Gaza, et que l’assimilation du peuple juif aux actions de l’État d’Israël constitue un terreau fertile pour l’antisémitisme.

Il est clair à ce stade que des dirigeants d’affaires et d’autres éléments droitiers ont décidé de faire un exemple des étudiants activistes de Harvard. En début de semaine, le World Socialist Web Site a rapporté ce qui suit:

Mardi, le gestionnaire milliardaire de fonds spéculatifs et donateur de longue date du Parti démocrate Bill Ackman, fondateur et PDG de Pershing Square Capital Management, a demandé à Harvard de publier les noms des étudiants qui sont membres des organisations ayant signé la déclaration commune du PSC. Ackman a écrit de manière menaçante: «Un certain nombre de PDG m’ont demandé si Harvard pouvait publier une liste des membres de chacune des organisations de Harvard qui ont publié la lettre attribuant à Israël l’entière responsabilité des actes odieux du Hamas, afin de garantir qu’aucun d’entre nous n’embauche par inadvertance l’un de leurs membres. Si, en fait, leurs membres soutiennent la lettre qu’ils ont publiée, les noms des signataires devraient être rendus publics afin que leur point de vue soit connu de tous».

Vendredi, CNN a rapporté qu’Idan Ofer — qui, avec une valeur nette d’environ 20 milliards de dollars selon Bloomberg, est la personne la plus riche d’Israël et la 80e personne la plus riche de la planète — et son épouse Batia ont quitté le conseil exécutif du doyen de la Harvard Kennedy School. Le site web de l’école décrit ce conseil comme «un petit groupe de leaders des Affaires et philanthropiques qui servent de conseillers de confiance au doyen et comptent parmi les soutiens financiers les plus engagés de l’école». Ce conseil n’est qu’un des nombreux mécanismes par lesquels les riches donateurs influencent l’administration de l’université et, en fin de compte, la trajectoire de la vie universitaire à Harvard et dans d’autres universités.

L’administration a clairement subi une pression énorme cette dernière semaine. La présidente de Harvard, Claudine Gay, a publié maintes déclarations dénonçant le Hamas et le terrorisme (et dénonçant implicitement le PSC), tout en notant que la liberté universitaire et la liberté d’expression existent toujours, pour l’instant. Dans une vidéo, Gay a déclaré jeudi soir: «Cet engagement [en faveur de la liberté d’expression] s’étend même aux points de vue que beaucoup d’entre nous jugent contestables, voire scandaleux. Nous ne punissons ni ne sanctionnons ceux qui expriment de telles opinions».

Pour être honnête, le fait que la présidente de ce qui est sans doute l’université la plus en vue de la planète ait dû dire que, non, l’université n’expulse pas les étudiants pour des opinions «répréhensibles» — comme l’a demandé, entre autres, un professeur de Harvard — est dégradant. Mes collègues sont manifestement en train d’expliquer, lors de conversations avec des donateurs et d’anciens étudiants en colère, l’ABC de la liberté universitaire. On aurait pu penser que des diplômés de Harvard seraient plus avisés!

Le PSC, en osant faire remarquer que la dépossession des Palestiniens lors de la fondation d’Israël et la répression continue par le gouvernement israélien à Gaza avaient créé le contexte de cette dernière violence, a coupé court au récit unilatéral promu par les médias et les gouvernements depuis Tel-Aviv jusqu’à Washington.

Harvard est une institution internationale. Ses étudiants, son corps enseignant et son personnel viennent d’horizons divers et du monde entier, y compris d’Israël et de Palestine. En effet, l’échange d’idées et de perspectives que cela permet a toujours été considéré comme un aspect essentiel, voire un devoir, de l’enseignement supérieur.

Je sais que nombre de mes collègues — et les étudiants que nous servons, directement ou indirectement — sont ébranlés par les événements de la semaine dernière. Beaucoup d’entre nous ont des liens personnels, nationaux ou religieux avec des personnes innocentes prises dans le conflit. Je sais que cela s’accompagne d’émotions intenses et compréhensibles. J’espère qu’avec tout ce qui se passe, nous pourrons également essayer de comprendre les origines et l’importance du conflit, reconnaître que la critique du gouvernement israélien est légitime et nous opposer à cette campagne dégoûtante et maccarthyste contre les étudiants exprimant leurs opinions.

Enfin, je m’adresse aux étudiants, au personnel et aux professeurs de Harvard et d’ailleurs: j’ai trouvé que les articles et les déclarations publiés sur le WSWS étaient inégalés en termes d’analyse politique et de clarté. Je vous invite à considérer la perspective socialiste du WSWS qui consiste à unir les travailleurs juifs et arabes, et les travailleurs du monde entier, contre le système capitaliste de l’État-nation qui est à l’origine de ce conflit. Les points suivants constitueraient un excellent point de départ:

Opposez-vous à l’interdiction des manifestations de solidarité avec Gaza!

Qui est responsable de la violence en Israël et à Gaza ?

A bas le gouvernement de Netanyahou! Arrêtez l’assaut sioniste soutenu par l’impérialisme contre Gaza!

(Article paru d’abord en anglais le 14 octobre 2023)

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