500.000 travailleurs du secteur public québécois votent massivement en faveur d’une grève illimitée à l’échelle de la province

Un demi-million de travailleurs du secteur public québécois ont voté massivement en faveur d’une «grève illimitée» en réponse aux exigences du gouvernement provincial de la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui réclame d’énormes réductions de salaires réels, des coupes dans les pensions et une augmentation de la charge de travail. Dans les prochains jours, des dizaines de milliers d’infirmières québécoises feront de même.

Les votes de grève et la réponse intransigeante du Premier ministre du Québec, François Legault, soulignent que le choc frontal entre un bataillon décisif de la classe ouvrière et le gouvernement de la CAQ approche à grands pas. Son issue aura des conséquences majeures pour les travailleurs, du secteur public comme du secteur privé, au Québec et dans tout le Canada.

Section de la manifestation du 23 septembre de 100.000 travailleurs du secteur public québécois

Mardi, le Front commun – une alliance intersyndicale qui représente 425.000 aides-soignants d’hôpitaux, professionnels de la santé, enseignants des écoles publiques, employés des commissions scolaires et membres du personnel des cégeps – a annoncé que la base avait voté à 95 % en faveur de l’autorisation d’une «grève illimitée».

Lors d’un vote distinct qui s’est terminé à la fin du mois dernier, les 65.000 membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ont également voté à une écrasante majorité en faveur d’un débrayage illimité. La FAE négocie au nom de 65.000 enseignants du primaire et du secondaire, dont une majorité dans les régions de Montréal et de Québec.

Le principal syndicat d’infirmières de la province, la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), a convoqué un référendum en ligne auprès de ses 80.000 membres les 24 et 25 octobre afin d’obtenir l’autorisation de déclencher une grève «illimitée». Selon la FIQ, le référendum sur la grève totale sera «la première fois depuis près d’une génération».

Comme par le passé, la direction de la FIQ divise les infirmières des autres travailleurs du secteur public au motif fallacieux que les infirmières sont un «cas spécial» et cherche à conclure un accord distinct avec un gouvernement québécois de droite déterminé à imposer des réductions des dépenses sociales et des reculs contractuels. Le 11 octobre, dans un aveu implicite de l’échec de cette stratégie, quelque 500 déléguées de la FIQ ont voté à plus de 99 % pour demander à la base un mandat de grève.

Le gouvernement de la CAQ, ouvertement chauvin et favorable aux grandes entreprises, a réagi à l’humeur de plus en plus militante des travailleurs du secteur public en redoublant d’exigences en matière de concessions.

Dans ses premières remarques après que 100.000 membres et sympathisants du Front commun ont manifesté à Montréal le mois dernier, la présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel, a exigé que les syndicats réduisent considérablement leurs demandes aux tables centrales de négociation de la province, les ramenant à «cinq ou six». LeBel a affirmé que le gouvernement ferait de même, dans le but d’accélérer les négociations. En fait, il s’agit d’un stratagème que les gouvernements du Québec ont utilisé à maintes reprises pour mettre de côté les griefs des travailleurs concernant l’impact désastreux que des décennies d’austérité ont eu sur leurs conditions de travail.

Peu après, les représentants de la FIQ ont révélé que s’ils avaient retiré de nombreuses revendications, le gouvernement en avait introduit de nouvelles, notamment l’abolition de la rémunération des heures supplémentaires pour les infirmières travaillant moins de 37,5 heures par semaine. Le gouvernement de la CAQ insiste également sur le fait que pour combler les pénuries de personnel, les autorités sanitaires ont besoin de «flexibilité» pour redéployer les infirmières à volonté d’un établissement à l’autre, sans tenir compte de l’expérience professionnelle et de l’ancienneté. Cela perturbera la vie des travailleurs et mettra les patients en danger.

Legault a réagi à la publication des résultats du vote de grève du Front commun avec arrogance et mensonges. Il a prétendu que le gouvernement offrait aux travailleurs du secteur public une augmentation salariale de 13 pour cent sur cinq ans, alors qu’en réalité il n’offre que 9 pour cent.

Même si Legault ne déformait pas l’offre salariale du gouvernement et que celui-ci proposait une augmentation générale de 13 %, cela équivaudrait à une importante baisse de salaire en termes réels. Entre septembre 2020 et septembre 2023, les prix au Québec ont augmenté de 17,3 %. Même avant la récente spirale des prix, en raison de décennies d’austérité gouvernementale, les salaires des travailleurs du secteur public étaient nettement inférieurs à ceux des travailleurs du secteur privé, à formation et expérience équivalentes.

«On offre 13 % d’augmentation», a déclaré Legault lors d’une conférence de presse mardi. «On pense que c’est raisonnable et que ça respecte la capacité de payer des Québécois».

Avec le soutien inconditionnel des grandes entreprises, Legault, Lebel et le ministre des Finances de la CAQ, Éric Girard, insistent sur le fait que la deuxième province la plus peuplée du Canada n’a pas de «marge de manœuvre» financière et qu’une campagne d’austérité à outrance doit à nouveau être à l’ordre du jour. Et ce, dans un contexte où les systèmes publics de santé et d’éducation ont été ravagés depuis les années 1980 par des coupes successives et ont été encore plus malmenés au cours des trois dernières années et demie par la politique de pandémie de l’élite dirigeante, privilégiant les profits sur la vie. Selon une étude réalisée pour l’Institut national de santé publique du Québec, jusqu’à 10 % des travailleurs de la santé du Québec ont été frappés par la COVID longue. Des milliers d’autres ont été victimes d’épuisement professionnel en raison de conditions de travail pénibles, notamment les heures supplémentaires imposées par décret gouvernemental.

En réalité, il y a suffisamment de ressources pour financer des services publics de qualité pour tous et pour offrir des salaires et des conditions de travail décents aux travailleurs qui les administrent. Mais ces ressources sont dilapidées pour accroître la fortune de l’élite financière, fournir des subventions massives aux grandes entreprises et financer la guerre de l’impérialisme canadien contre la Russie et les préparatifs de guerre contre la Chine.

La population éprouve une énorme sympathie pour les travailleurs du secteur public. Dans des conditions où Legault et la classe dirigeante cherchent à exploiter la colère et la frustration causées par l’effondrement des services publics pour pousser à la privatisation, les travailleurs et de larges sections de la classe moyenne reconnaissent le lien organique entre l’amélioration des conditions de travail des travailleurs du secteur public et la défense des soins de santé et de l’éducation publics.

Cependant, les syndicats pro-capitalistes s’opposent catégoriquement à la mobilisation de ce soutien et refusent de faire de la lutte des travailleurs du secteur public québécois le fer de lance d’une lutte politique de la classe ouvrière contre l’austérité et la guerre.

Au contraire, ils font tout pour isoler et écraser la lutte des travailleurs du secteur public québécois. C’est aussi vrai pour les organisations syndicales qui composent le Front commun – la FTQ, la CSN, la CSQ et l’APTS – que pour la FIQ et la FAE.

Comme ils l’ont fait lors des négociations précédentes, y compris celles de 2015 et 2020, les syndicats cherchent à piéger les travailleurs dans un processus de négociation prolongé et une campagne de «tactiques de pression» en plusieurs étapes dans le but de dissiper la colère des travailleurs et de faire dérailler leur lutte.

Ainsi, même si les dirigeants du Front commun ont salué le vote de grève de 95 % comme étant «historique», ils ont réitéré qu’ils considéraient le mandat de grève «illimitée» à l’échelle de la province comme un dernier recours, un mandat qu’ils ne déploieraient, le cas échéant, qu’après des semaines de débrayages régionaux à plus petite échelle, limités au plus à 24 ou 48 heures et, au début, probablement à beaucoup moins.

«Un mandat de grève, c’est un moyen de pression en soi», a déclaré François Énault, vice-président de la CSN. «Et, à 95 %, j'espère que le gouvernement va prendre en considération la hauteur du mandat obtenu de la part des syndiqués.»

Afin de démobiliser et démoraliser les travailleurs, les syndicats proposent toutes sortes de protestations bidon. Par exemple, le syndicat de Champlain dit à ses 10.000 enseignants et travailleurs de soutien de s’habiller «en mou» les vendredis de novembre et décembre «afin de démontrer la lourdeur de la tâche et notre découragement face au peu de reconnaissance du gouvernement».

La réalité est que les bureaucrates syndicaux – qui ont maintes fois préservé, pour reprendre leurs termes, la «paix sociale» en étouffant la lutte des classes – s’efforcent par tous les moyens d’empêcher une grève du secteur public à l’échelle de la province, de peur qu’elle n’échappe à leur contrôle politique et ne menace la position «concurrentielle» du Québec et du capital canadien.

Il est significatif qu’ils restent totalement silencieux ou minimisent la menace que le gouvernement de la CAQ criminalise une grève du secteur public avec une loi spéciale de retour au travail. Pourtant, Legault a brandi à plusieurs reprises la menace d’une loi anti-grève pour menacer les travailleurs de la construction et d’autres secteurs, et il a soutenu le gouvernement Trudeau qui a interdit une grève des débardeurs du port de Montréal en 2021.

Pendant ce temps, les syndicats du reste du pays s’efforcent de maintenir leurs membres dans l’ignorance de la confrontation de classe qui se développe au Québec, car ils ne sont pas moins effrayés par ses implications ou déterminés à isoler et à réprimer la lutte des travailleurs du secteur public québécois.

Dans une déclaration distribuée par centaines lors de la manifestation du Front commun à Montréal le mois dernier, le Parti de l’égalité socialiste a proposé une stratégie aux travailleurs du secteur public pour faire échec à l’assaut de guerre de classe du gouvernement. Il a expliqué la nécessité pour les travailleurs de répudier la stratégie futile de la bureaucratie syndicale consistant à implorer le gouvernement d’«entendre raison» et son programme nationaliste-corporatiste de «dialogue social», et de prendre la lutte en main et d’en faire le fer de lance d’une offensive industrielle et politique de la classe ouvrière contre l’austérité et la guerre. Cela nécessite la mise en place de comités de base, indépendants des appareils syndicaux et en opposition à ceux-ci.

«Ces comités», explique la déclaration, «pourront mobiliser les 600.000 travailleurs du secteur public et le soutien actif de tous les travailleurs, à l’échelle provinciale, nationale et nord-américaine... Ils élaboreront les revendications des travailleurs, en fonction de leurs besoins réels et non de ce que le gouvernement prétend pouvoir se permettre. Des revendications qui ne seront pas obtenues par des “négociations” futiles, basées sur l’acceptation du cadre fiscal réactionnaire du gouvernement, mais par la lutte des classes, y compris la préparation d’une grève générale.»

«Cela requiert une vaste campagne politique dans la population pour expliquer que la cause des travailleurs du secteur public est celle de tous les travailleurs: le rejet de l’austérité capitaliste; l’abolition des lois anti-grève; la défense des services publics et des conditions de travail de ceux et celles qui les fournissent.»

«Une telle campagne mettra les travailleurs du secteur public dans une solide position pour défier toute loi spéciale et mobiliser toute la classe ouvrière à leur défense.»

(Article paru en anglais le 19 octobre 2023)

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