Canada: Une grève paralyse le transport sur la Voie maritime du Saint-Laurent

Quelque 360 ingénieurs, opérateurs, ouvriers d’entretien, superviseurs et membres du personnel administratif ont débrayé tôt dimanche matin, interrompant le trafic maritime dans la Voie maritime du Saint-Laurent.

Organisés en cinq sections syndicales distinctes, les travailleurs hautement qualifiés, membres d’Unifor, réclament une augmentation de salaire significative afin de se protéger contre l’érosion passée et actuelle des salaires due à l’inflation. Quelques heures à peine après le lancement de la grève, les organisations professionnelles ont réclamé une législation brise-grève au gouvernement libéral de Trudeau, qui a criminalisé la grève de 7200 dockers de la Colombie-Britannique cet été.

Des grévistes de la Voie maritime du Saint-Laurent font du piquetage aux écluses de Saint-Lambert à Montréal, lundi 23 octobre. [Photo: Unifor/Twitter (X)]

Pour la direction de la Voie maritime, la protection des salaires contre l’inflation n’était tout simplement pas envisageable. Il y avait, se sont-ils plaints avec arrogance, «1000 milles nautiques» entre leurs propositions et les revendications des travailleurs.

Les travailleurs supervisent l’exploitation d’un vaste système de canaux, d’écluses et de ponts entre Montréal et Niagara, qui permet le transit des cargos en eau profonde sur la voie navigable des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, depuis l’extrémité ouest du lac Supérieur jusqu’aux ports du Québec, puis au-delà. L’année dernière, près de 17 milliards de dollars de denrées alimentaires, de minéraux et de matériaux – dont près de la moitié de céréales et de minerai de fer – ont transité par le système de la voie maritime.

Sans contrat depuis le mois de mars, les travailleurs ont rejeté un accord de principe qui leur avait été présenté par Unifor à la fin du mois de juillet. Reflétant le fossé grandissant entre les travailleurs de la base et la bureaucratie d’Unifor, l’accord était l’un des trois contrats rejetés par les membres d’Unifor dans tous les secteurs en l’espace de seulement deux semaines au milieu de l’été. Dans la région du Grand Toronto, 3700 travailleurs de l’épicerie se sont mis en grève après avoir rejeté catégoriquement une offre misérable qui avait été présentée par le syndicat comme le «meilleur accord depuis des décennies». À Windsor, en Ontario, 250 mineurs de sel en grève depuis février ont tenu bon et rejeté une offre de contrat au rabais, également recommandée par le syndicat.

La révolte des travailleurs de la voie maritime fait suite à une lutte acharnée menée par plus de 7200 dockers dans les ports de la Colombie-Britannique tout au long du mois de juillet. Les travailleurs, membres de l’International Longshore Warehouse Union (ILWU), ont mené une grève courageuse de 13 jours face aux menaces du gouvernement de la criminaliser. Après que le ministre du Travail, Seamus O’Regan, a tenté de dicter les termes d’un accord, l’opposition des travailleurs de la base a été si forte que les délégués de l’ILWU ont été contraints de le rejeter. Les dirigeants de l’ILWU ont finalement réussi à faire passer un contrat de capitulation en collusion avec le gouvernement libéral et les patrons des ports, tout en menaçant de légiférer pour interdire les grèves à l’avenir. À la suite de la ratification du contrat, le gouvernement Trudeau a ouvert une enquête sur le conflit en vertu du Code canadien du travail, O’Regan déclarant que son objectif était de créer des «relations de travail harmonieuses» afin d’éviter toute perturbation des opérations des ports de la côte ouest lors de futurs conflits contractuels.

Lorsque les négociations avec les travailleurs de la Voie maritime se sont trouvées dans l’impasse en septembre, les travailleurs ont accru leur pression sur Unifor pour qu’il se dirige vers une grève totale. La semaine dernière, ils ont voté à 99 % en faveur de la grève. Dans un communiqué publié le week-end dernier, Unifor a dû admettre que l’autorisation à contrecœur du préavis de grève de 72 heures, jeudi, était une «décision draconienne» prise en raison de «l’ampleur du mécontentement [des membres] et de l’impératif d’une résolution rapide des différends en cours».

Ce conflit s’annonce déjà comme une bataille majeure dans la lutte menée depuis des générations par la classe ouvrière pour défendre son droit de grève démocratique.

Dans les heures qui ont suivi le début de la grève, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, apparemment «sans but lucratif», a demandé au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) d’appliquer les dispositions du Code canadien du travail, hostile aux travailleurs, qui exigent que les expéditions de céréales se poursuivent pendant une grève. Le CCRI a joué un rôle central dans l’imposition du contrat imposé par le gouvernement aux travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique l’été dernier.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et la Chambre de commerce du Canada ont également réagi rapidement en demandant au gouvernement fédéral de veiller à ce que la Voie maritime reste pleinement opérationnelle. Toutes deux ont été à l’avant-garde des appels en faveur d’une loi spéciale de retour au travail chaque fois que des travailleurs en position de force sur le plan économique déclenchent une grève.

Comme l’ont montré les grèves acharnées des travailleurs portuaires à Montréal et, plus tôt cette année, en Colombie-Britannique, ainsi que celles des cheminots de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, la FCEI et la Chambre de commerce agissent comme les leaders de toute une série d’intérêts commerciaux. La FCEI fait maintenant campagne pour restreindre davantage le pouvoir de négociation des travailleurs sous réglementation fédérale du secteur de la chaîne d’approvisionnement en demandant au gouvernement de les désigner comme des travailleurs «essentiels» et de les priver ainsi définitivement du droit de grève.

Le droit de grève fait l’objet d’attaques systématiques au Canada depuis des décennies. À des dizaines d’occasions, les gouvernements fédéraux et provinciaux de toutes tendances politiques, y compris le Nouveau Parti démocratique, ont imposé une législation de retour au travail et criminalisé la grève des travailleurs.

Le Parti libéral pro-patronal préfère conserver son vernis démocratique, tout en poursuivant son programme réactionnaire de guerre de classe d’aventures militaires à l’étranger et d’austérité à au pays, en utilisant ses partenaires juniors dans les syndicats corporatistes pour réprimer l’opposition de plus en plus explosive des travailleurs à la pire crise du coût de la vie que l’on ait connue depuis des décennies.

La classe dirigeante est parfaitement consciente de la crise économique naissante, de l’agitation de la classe ouvrière mondiale et de l’importance des efforts militaires impérialistes pour préserver ses profits. « Les enjeux sont de taille [...] En cette période de crise économique et géopolitique, il est important que la Voie maritime demeure une voie de transport fiable pour l’acheminement efficace des cargaisons essentielles», a déclaré le président et chef de la direction de la Voie maritime, Terrence Bowles.

Les mécanismes de relations industrielles préférés du gouvernement sont le simulacre de «processus de négociation collective» supervisé par une bureaucratie syndicale docile et tout un réseau de mécanismes servant à étouffer la lutte, allant de la conciliation supervisée par le gouvernement et de l’arbitrage obligatoire aux périodes de «réflexion» et aux désignations de «travailleurs essentiels». Dans le cas du lock-out des dockers du port de Québec, qui dure depuis 13 mois, le gouvernement a donné son accord pour que les compagnies maritimes fassent appel à des briseurs de grève.

Lorsque tout le reste aura échoué, les libéraux, comme les conservateurs et les néo-démocrates, imposeront impitoyablement les diktats des entreprises canadiennes en criminalisant les mouvements de grève. En 2018, le gouvernement Trudeau a promulgué le projet de loi réactionnaire C-89 pour interdire la grève de 50.000 travailleurs des postes fédéraux. En 2021, les libéraux ont fait adopter par le Parlement une loi draconienne criminalisant une grève de quatre jours menée par 1150 dockers de Montréal.

Ces mesures anti-grèves s’inscrivent dans le cadre d’un virage plus large vers des formes autoritaires de gouvernement de la part de l’élite dirigeante, qui cherche à écraser l’opposition des travailleurs à ses politiques d’austérité et de guerre. En novembre dernier, le gouvernement conservateur de droite dure de Doug Ford en Ontario a fait adopter à la hâte le projet de loi 28 par le parlement provincial afin d’interdire préventivement à 55.000 travailleurs de soutien à l’éducation de faire grève et de leur imposer une réduction massive de leur salaire réel par décret gouvernemental. Ce faisant, Ford a invoqué la «clause de dérogation» antidémocratique qui permet au gouvernement de passer outre les droits garantis par la Constitution.

Pour gagner leur grève et repousser toute tentative du gouvernement d’imposer une législation antigrève, les travailleurs de la Voie maritime doivent faire appel aux travailleurs de tout le Canada – qui, qu’ils soient du secteur public ou privé, ont eux-mêmes invariablement connu des décennies de réductions de salaires, d’avantages sociaux et d’emplois – pour s’unir dans une contre-offensive de la classe ouvrière contre l’austérité et la guerre.

Les travailleurs du secteur public, les dockers, les cheminots, les travailleurs de la santé, les travailleurs de la construction, les travailleurs de l’industrie manufacturière, les postiers et autres sont des alliés naturels des grévistes de la Voie maritime, car ils ont tous été la cible de la répression impitoyable des droits des travailleurs par les gouvernements à tous les niveaux, y compris des dizaines de lois anti-grèves au cours des dernières décennies.

(Article paru en anglais le 24 octobre 2023)

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