Les syndicats canadiens exhortent le gouvernement Trudeau pro-guerre à exiger un «cessez-le-feu» à Gaza

Les manifestations contre l’attaque génocidaire d’Israël sur les Palestiniens de Gaza – et la complicité des puissances impérialistes – se sont multipliées à travers le Canada, comme à travers le monde, au cours des deux dernières semaines. Le week-end dernier, les manifestations les plus importantes ont eu lieu, avec plus de 4000 personnes, principalement des jeunes, qui ont manifesté à Toronto samedi, et une mobilisation de même ampleur à Montréal le lendemain.

Les manifestations ont été marquées par la condamnation de l’administration Biden et du gouvernement libéral dirigé par Justin Trudeau. Washington a débloqué des milliards de dollars d’aide militaire pour Israël, déployé deux porte-avions de plus dans la région et menacé à plusieurs reprises l’Iran et son allié libanais, le Hezbollah, de «conséquences dévastatrices» s’ils tentaient d’empêcher la destruction de la bande de Gaza. Ottawa, pour sa part, appuie sans réserve les crimes de guerre israéliens. Ceux-ci consistent notamment à priver les 2,3 millions de citoyens de Gaza de toute nourriture, eau et énergie, à ordonner des évacuations massives de civils et à prendre pour cible des hôpitaux et d’autres infrastructures publiques.

Une partie de la manifestation organisée le 21 octobre à Toronto pour dénoncer l’assaut israélien soutenu par le Canada et les États-Unis contre les Palestiniens de Gaza.

Dans ces conditions, une coalition de syndicats, de groupes de «justice sociale» et d’organisations religieuses a lancé un appel au cessez-le-feu. Appuyée par une dizaine de grands syndicats – dont Unifor, le Syndicat canadien de la fonction publique, l’Alliance de la fonction publique du Canada et les conseils du travail de Montréal de la Fédération des travailleurs du Québec et de la Confédération des syndicats nationaux – la déclaration du 21 octobre vise à limiter l’opposition à l’assaut contre le peuple palestinien à de vains appels au gouvernement libéral pour qu’il exige un «cessez-le-feu».

La déclaration commence par déplorer, sur un ton détaché et prétendument neutre, «la violence entre Israël et la Palestine» et son escalade vers «une guerre totale», suggérant ainsi que le Hamas et l’État israélien sont également responsables de la violence génocidaire dont sont actuellement victimes les Palestiniens de Gaza. Dans cette veine, les syndicats déclarent: «Depuis le 7 octobre, des milliers de personnes ont été tuées au cours de l’attaque du Hamas et de la riposte du gouvernement israélien».

La déclaration parvient à mentionner le bombardement de l’hôpital Al-Ahli à Gaza, au cours duquel des centaines de personnes ont péri, sans désigner Israël comme l’auteur du crime:une concession évidente à l’ignoble propagande de guerre diffusée par le régime de Netanyahou et ses alliés occidentaux, qui attribue ce crime de guerre à une supposée roquette égarée du Jihad islamique.

Cette déclaration ne laisse pas deviner qu’Israël impose un blocus à Gaza depuis 17 ans, l’ayant transformée en «prison à ciel ouvert», et qu’il opprime systématiquement les Palestiniens depuis trois quarts de siècle, depuis que plus d’un million d’entre eux ont été victimes d’un nettoyage ethnique pour faire place à l’établissement de l’État israélien. Condamner la «violence» de part et d’autre dans ces conditions revient à défendre l’oppresseur et à se ranger à ses côtés. L’attaque du Hamas du 7 octobre était un soulèvement de masse d’un peuple opprimé, un soulèvement auquel le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou a répondu – au mépris total du droit international – par des actes de sauvagerie et de punition collective semblables à ceux perpétrés par le régime nazi.

La représentation déformée du conflit par les syndicats est indissociable de leur alliance politique étroite avec le gouvernement libéral de Trudeau, qu’ils ont contribué à faire élire en 2015. L’alliance gouvernementale entre les néo-démocrates (NPD) parrainés par le Congrès du travail du Canada et les libéraux minoritaires, formée pour renforcer le gouvernement alors que le Canada se joignait à la guerre menée par les États-Unis contre la Russie, a lié encore plus étroitement les syndicats au gouvernement Trudeau pro-guerre.

Cela devient encore plus clair lorsqu’on examine les demandes timides formulées dans la déclaration. Il est révélateur que plusieurs de ces demandes soient formulées comme des approbations de ce que le gouvernement Trudeau fait déjà.

Les signataires de la déclaration «incitent le gouvernement du Canada à prendre les mesures suivantes»:
«Appeler à la cessation immédiate de toutes les hostilités entre Israël et la Palestine»

«Appeler à la levée du blocus de la bande de Gaza et rétablir l’aide humanitaire afin que la population puisse remplir ses besoins essentiels»

«Nous appuyons l’appel du gouvernement canadien à l’apport d’aide humanitaire à la bande de Gaza et à un retour des otages israéliens sains et saufs.»

Il est frappant de constater que la déclaration approuvée par le syndicat ne contient pas la moindre critique à l’égard du gouvernement Trudeau ou de l’impérialisme canadien.

Aucune mention n’est faite du fait que Trudeau et la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly ont à plusieurs reprises justifié les actions criminelles de l’État israélien, y compris le siège de Gaza, en affirmant qu’Israël a le «droit» et le «devoir» de «se défendre».

Il n’y a pas non plus de référence aux efforts d’Ottawa, qui n’ont été dépassés ces dernières années que par ceux des États-Unis, pour protéger Israël de toute critique aux Nations unies pour son oppression systématique des Palestiniens, ni aux liens naissants entre les forces armées canadiennes et les forces de défense israéliennes.

Le soutien indéfectible du Canada à Israël est cimenté par son partenariat militaro-stratégique avec les États-Unis, vieux de plus de trois quarts de siècle et en constante expansion. Pour Ottawa, comme pour Washington, Israël sert d’État garnison au Moyen-Orient pour promouvoir les intérêts de l’impérialisme américain et canadien.

De manière plus générale, le gouvernement Trudeau, avec le soutien total de ses alliés syndicaux et néo-démocrates, a considérablement augmenté les dépenses militaires et positionné le Canada comme un acteur majeur dans la guerre menée par les États-Unis contre la Russie en Ukraine et dans son offensive militaro-stratégique contre la Chine.

Au cours du week-end, alors que les manifestants sont descendus dans les rues des villes canadiennes pour s’opposer à l’attaque d’Israël contre Gaza, le gouvernement Trudeau a pris de nouvelles mesures pour démontrer son soutien total. Samedi, le ministre de la Défense, Bill Blair, a annoncé qu’une «enquête indépendante» menée par l’armée canadienne avait déterminé «avec un degré élevé de certitude» qu’Israël n’était pas responsable du bombardement de l’hôpital Al-Ahli à Gaza. Le lendemain, Trudeau a publié une déclaration commune avec les États-Unis, qui arment Israël jusqu’aux dents depuis des décennies, et les puissances impérialistes européennes, dans laquelle ils «réitèrent leur soutien à Israël et à son droit de se défendre contre le terrorisme».

Il faut être un ignare politique ou chercher délibérément à tromper pour croire que les demandes d’une solution «pacifique» au conflit peuvent être adressées à un tel gouvernement. Dans le cas des directions syndicales, qui ont des décennies d’expérience dans la répression de l’opposition de la classe ouvrière aux politiques d’austérité et de guerre de l’élite dirigeante, c’est la seconde hypothèse qui est vraie. Elles sont déterminées à canaliser l’opposition montante des travailleurs et des jeunes à la guerre de l’État sioniste contre Gaza derrière des appels pathétiques au gouvernement libéral «progressiste», afin de les empêcher de se tourner vers un programme socialiste pour surmonter les divisions nationales, religieuses et ethniques intentionnellement attisées par l’impérialisme au Moyen-Orient.

La publication de la déclaration syndicale appelant à un «cessez-le-feu» est intervenue le lendemain du jour où 33 députés, dont 23 du caucus libéral, huit du NPD et deux des Verts, ont lancé un appel similaire à Trudeau dans une lettre ouverte. La lettre déclarait: «Le Canada est depuis longtemps une voix pour la paix. Plus ce conflit se prolonge, plus des civils innocents paieront de leur vie. Nous demandons que le Canada se joigne à l’appel international croissant en faveur d’un cessez-le-feu immédiat».

Même ce faible appel, qui cherchait à raviver l’image frauduleuse de l’impérialisme canadien en tant que «gardien de la paix», a été trop fort pour les conservateurs de droite et le Bloc Québécois, dont aucun député n’a signé le texte. Lundi, le Bloc a modifié sa position et a lancé son propre appel au cessez-le-feu. Mais il a souligné que tout arrêt des combats ne devrait être que «temporaire», pour permettre l’acheminement de l’aide, c’est-à-dire qu’Israël doit avoir le soutien du Canada pour lancer une invasion terrestre destructrice au moment de son choix.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, dont le parti fournit les voix parlementaires nécessaires pour assurer à Trudeau la majorité au pouvoir, a adressé lundi sa propre lettre au Premier ministre, appelant le gouvernement à promouvoir un cessez-le-feu. Dans un langage encore plus modéré que celui des bureaucrates syndicaux, Singh a écrit: «Je demande une réunion urgente entre nous pour discuter de la manière dont nous pouvons travailler ensemble pour mettre fin à l’effusion de sang par un cessez-le-feu, faire sortir les Canadiens de la région, assurer le retour en toute sécurité de tous les otages et insister pour que le droit international soit respecté». Soulignant le soutien ferme de son parti à l’offensive du régime israélien, il a commencé sa lettre en dénonçant vivement «l’attaque terroriste» du Hamas le 7 octobre, suggérant qu’elle était à l’origine du conflit.

L’hostilité acharnée du NPD à l’égard de tout soutien véritable au peuple palestinien opprimé a été révélée de manière flagrante par le sort de Sarah Jama, membre du NPD à la législature de l’Ontario. Le 10 octobre, Sarah Jama a publié une déclaration appelant à la «fin de l’occupation des terres palestiniennes» et à un cessez-le-feu immédiat. Cette déclaration a suscité un torrent de critiques et d’insultes de la part du gouvernement conservateur de droite dure dirigé par Doug Ford, des médias bourgeois et de la direction du NPD de l’Ontario. Ils ont été scandalisés par le refus de Jama de s’aligner sur la ligne officielle consistant à qualifier l’attaque du Hamas d’opération «terroriste».

La chef du NPD de l’Ontario, Marit Stiles, a annoncé lundi que Jama avait été expulsée du caucus du NPD. Avec un cynisme époustouflant, Stiles a accusé Jama d’avoir créé un «environnement de travail dangereux» pour les membres du personnel, parce que des éléments pro-israéliens ont fait de l’agitation auprès du gouvernement Ford et des journaux comme le Toronto Sun ont passé des appels téléphoniques menaçants dans les bureaux du NPD. Il va sans dire que la déclaration de Stiles n’avait rien à dire sur les pertes massives de vies humaines et la catastrophe humanitaire qui s’aggrave à Gaza, toutes facilitées par le soutien que son parti apporte au gouvernement libéral de Trudeau.

Le NPD a exclu Jama de son caucus le jour même où le gouvernement Ford a adopté une motion de censure contre elle à l’Assemblée législative provinciale. En conséquence, il est désormais interdit à Jama de prendre la parole à la Chambre des communes tant qu’elle n’aura pas présenté ses excuses au parlement provincial et qu’elle n’aura pas retiré sa déclaration initiale du 10 octobre dans laquelle elle défendait le peuple palestinien.

(Article paru en anglais le 25 octobre 2023)


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