Plus d'un million de personnes manifestent en Allemagne contre le retour du fascisme

Manifestants à Francfort. La pancarte dit : «Plus jamais 1933!» [AP Photo/Michael Probst]

Plus d’un million de personnes ont manifesté dans toute l’Allemagne ce week-end contre le parti fasciste Alternative pour l’Allemagne (AfD). Suite à la révélation que des politiciens de l’AfD et de l’‘Union des valeurs’ de la CDU chrétienne-démocrate avaient discuté avec des représentants du monde des affaires de plans visant à expulser des millions de gens issus de l’immigration, des masses de personnes sont descendues dans les rues de très nombreuses villes.

Partout, la participation a été bien plus forte que prévue par les organisateurs. Rien qu’à Munich, plus de 200.000 personnes sont descendues dans la rue. La Leopoldstrasse et la Ludwigstrasse étaient tellement bondées qu’il y avait un risque d’asphyxie. Les organisateurs, qui attendaient 25.000 participants, ont annulé la marche et invité les manifestants, par le biais d’annonces de la police, à rentrer chez eux.

Des personnes brandissent leur téléphone portable alors qu’elles protestent contre l’AfD et l’extrémisme de droite devant le bâtiment du Reichstag à Berlin, en Allemagne, dimanche 21 janvier 2024. [AP Photo/Ebrahim Noroozi]

À Berlin, les organisateurs ont revendiqué 350.000 participants, tandis que la police en a dénombré 100.000. Sur l’esplanade devant le bâtiment du Reichstag [site du parlement] la foule était tellement dense qu’on a déclaré que la rue du 17 juin faisait partie du périmètre de la manifestation. Les organisateurs n’avaient initialement annoncé que 1.000 participants.

Plus de 40 000 personnes ont manifesté à Francfort le samedi 20 janvier. L'image montre une vue du Römerberg [site de l’hôtel de ville] rempli de monde.

Les rassemblements ont également mobilisé un nombre record de personnes à Cologne (70.000), Hambourg (80.000), Brême (70.000), Francfort (40.000), Hanovre (35.000), Dortmund (30.000), Stuttgart, Karlsruhe et Heidelberg (20.000 chacun), Halle et Kassel (15.000 chacun), ainsi que dans de nombreuses villes plus petites où les milliers mobilisés dépassaient de plusieurs fois le nombre prévu. Dans l’est de l’Allemagne, où l’AfD est particulièrement bien placée dans les sondages, jusqu’à 60.000 personnes ont manifesté à Leipzig, 40.000 à Dresde et 12.000 à Chemnitz.

À Cologne, plus de 70 000 personnes ont manifesté devant la Deutzer Werft, sur le Rhin, le dimanche 21 janvier.

Ces manifestations montrent la profondeur et l’ampleur de l’opposition au retour du fascisme et de la guerre au sein de la population allemande. Après les terribles expériences des deux guerres mondiales et de l’Holocauste, le rejet de l’impérialisme et du militarisme allemands est profondément ancré dans la conscience des masses.

Dans les manifestations dominaient les pancartes en carton faites soi-même, avec des inscriptions telles que: «C’est comme ça que ça a commencé à l’époque», «À nous de faire maintenant ce que nos grands-parents ont négligé», «La haine n’est pas une opinion», «Celui qui se tait approuve», «Multicolore au lieu de brun», «Le fascisme n’est pas une alternative» et «Déportez l’AfD!».

À Stuttgart, plus de 20 000 personnes ont manifesté contre l'AfD sur la Schlossplatz le samedi 20 janvier.

La mobilisation de masse contre l’AfD fasciste est aussi objectivement dirigée contre la politique droitière du gouvernement fédéral et de tous les partis du Bundestag (Parlement), qui, pas plus tard que la semaine dernière, ont sévèrement restreint le droit à l’immigration et facilité les déportations. Le gouvernement et les partis parlementaires mettent également en œuvre le programme de l’AfD en soutenant le génocide à Gaza et le réarmement massif.

Ces manifestations s’inscrivent dans un mouvement international de la classe ouvrière contre la politique de chauvinisme anti-immigré, d’austérité, de dictature et de guerre menée par tous les partis capitalistes.

Depuis des semaines, des millions de gens dans le monde entier manifestent contre le génocide israélien à Gaza, activement soutenu par tous les gouvernements impérialistes. En France, 150.000 personnes ont participé dimanche à des manifestations contre la nouvelle loi sur l’immigration de Macron, qui porte la signature de la fasciste Marine Le Pen. En Allemagne, les grandes manifestations des agriculteurs contre la politique d’austérité du gouvernement de coalition se poursuivent, et un puissant mouvement de grève de la classe ouvrière se développe dans toute l’Europe et dans le monde.

Mais les manifestations contre l’AfD sont marquées par une contradiction. Alors que la majorité des participants sont résolus et sérieux dans leur opposition à la politique de droite, la plupart des organisateurs des manifestations font tout ce qu’ils peuvent pour neutraliser ce mouvement et le subordonner au gouvernement et aux partis parlementaires, eux-mêmes responsables de la montée de l’AfD. Dans de nombreux endroits, des représentants des sociaux-démocrates (SPD), des Verts et de la CDU ont été invités à prendre la parole. Des slogans tels que «Tous ensemble contre l’AfD» visaient à masquer le fossé béant entre la politique droitière du gouvernement et le sentiment des manifestants antifascistes.

À la manifestation de Flensburg, qui a rassemblé 10.000 personnes, une intervenante a été interrompue par les organisateurs pour avoir critiqué la politique du gouvernement à l’égard des réfugiés. Dans plusieurs villes, les organisateurs ont interdit les drapeaux palestiniens. À Berlin, des provocations répétées ont eu lieu à l’encontre de manifestants protestant contre le génocide à Gaza, fortement soutenu par l’AfD. Le groupe «PA Allies» a signalé que les organisateurs de Fridays For Future (FFF) les avaient exclus de la manifestation.

De nombreux participants n’étaient pas d’accord avec l’orientation officiellement pro-gouvernementale des manifestations.

Sophia, qui travaille comme assistante sociale dans un centre d’accueil pour réfugiés, a expliqué au World Socialist Web Site à Cologne qu’en s’opposant à l’AfD, elle protestait également contre la politique d’expulsions du gouvernement. Les expulsions «ont fortement augmenté et sont devenues plus inhumaines», a-t-elle déclaré.

Même la protection de la santé des personnes ne comptait pas. «Les personnes enceintes ou malades sont expulsées», a-t-elle déclaré. «J’avais une femme âgée atteinte d’un cancer qui devait constamment se rendre en oncologie pour recevoir un traitement. Le médecin avait certifié qu’elle n’était pas en mesure de voyager, mais elle a tout de même été expulsée ». L’Agence des étrangers de Cologne, dit Sophia, ignore tout simplement les lois existantes.

Sur l’adoption de la ‘Loi d’amélioration du rapatriement’ jeudi dernier au Bundestag, Sophia a déclaré: «Ils n’ont fait que légaliser ce qui était déjà une pratique courante». Elle poursuit:

Les Roms constituent l’un des groupes les plus touchés par les expulsions. Ils ont également été lourdement persécutés sous le régime nazi. On pourrait penser qu’ils bénéficient d’une protection spéciale ici, compte tenu de la responsabilité historique de l'Allemagne. Mais ce n’est pas le cas.

Bahar, qui travaille dans le secteur public, voulait également «lancer un signal fort contre l’AfD et l’extrémisme de droite» en participant à la manifestation. Mais, comme elle le souligne:

Si nous nous contentons d’être contre l’AfD et sa politique raciste, mais ne faisons rien contre la marche à droite du milieu de la société, c’est-à-dire contre ce que propagent la CDU, le FDP (Parti libéral) et le SPD (Parti social-démocrate), je pense que nous n’avons rien compris à la manière dont la politique de droite se fraye un chemin dans les structures «normales» des partis. Si nous excluons cet aspect des débats et ne le mentionnons pas, nous avons très peu de chances de nous positionner en tant que société contre cette marche à droite.

Bahar avec son affiche: «Question pour 23,8 millions de personnes: Nous expulseront-ils avec Flixbus ou Ryanair?»

Lors de la manifestation à Berlin, Katharina a déclaré au WSWS qu’elle voyait un lien évident entre la politique du gouvernement à l’égard des réfugiés et la montée de l'AfD:

Ici, la haine est ouvertement dirigée contre les réfugiés et les étrangers, et le problème vient en fait de la politique. Le gouvernement porte une responsabilité dans le fait que ces personnes doivent fuir.

Elle a également critiqué l’organisation FFF pour sa solidarité avec Israël:

Je trouve cela difficile. L’un des coorganisateurs est la FFF, qui a pris ses distances avec Greta Thunberg. Elle a dit à juste titre qu’il n’y a pas de justice climatique dans une terre occupée. Néanmoins, je pense qu’il est important d’être représenté ici aujourd'hui. Cela ne veut pas dire que je soutiens tous les organisateurs. Mais je soutiens pleinement la raison pour laquelle nous sommes ici. Mais je ne peux pas lutter pour la justice climatique et soutenir en même temps le génocide. Cela ne va pas ensemble.

Elle s’est dite convaincue qu’il est nécessaire d’affronter le gouvernement pour stopper l’extrême droite:

Beaucoup de gens battent en retraite parce qu’ils savent que le gouvernement allemand soutient Israël. Certains n’osent pas parler contre. C’est précisément là qu’on devrait soutenir Greta au sein de l’organisation.

Les représentants du Parti de l’égalité socialiste (Sozialistische Gleichheitspartei – SGP) ont distribué des milliers d’exemplaires de la déclaration «Comment battre l’Alternative pour l'Allemagne» dans les manifestations de tout le pays, expliquant comment le fascisme se développe à partir du capitalisme. La déclaration affirme:

« L’AfD n’est pas un corps étranger dans un organisme par ailleurs sain, mais le pire symptôme d’un système profondément malade. Comme il y a 90 ans, l’aggravation de la crise capitaliste conduit à nouveau au fascisme et à la guerre ».

Le SGP se bat pour que la lutte contre le retour du fascisme soit menée dans la classe ouvrière et pour l’armer d’un programme socialiste. À cet effet, la déclaration affirme:

« Ce qu’il faut, c’est développer ce mouvement de protestation grandissant et en faire un mouvement international contre le capitalisme même. Ce n’est qu’en brisant le pouvoir des banques et des trusts et en supprimant ainsi le fondement de la guerre et des inégalités que l’on pourra stopper la marche vers la dictature. Cela exige une lutte contre le gouvernement et ses appendices de la pseudo-gauche, qui paralysent les luttes et défendent le capitalisme ».

(Article paru d’abord en anglais le 22 janvier 2024)

Loading