Le gouvernement allemand répond aux manifestations de masse contre le parti d’extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) en adoptant lui-même de plus en plus ouvertement le programme des fascistes.
Mercredi, le chef de file du Parti social-démocrate (SPD), Lars Klingbeil, a appelé les Lands à mettre en œuvre l’offensive sur l’expulsion des réfugiés décidée par le gouvernement fédéral. «Les Lands ont maintenant des possibilités et ils doivent les utiliser», a déclaré Klingbeil dans une interview accordée à la Neue Osnabrücker Zeitung. «L’État doit fonctionner lorsqu’il s’agit de rapatrier des personnes qui ne peuvent pas rester avec nous ».
Le 18 janvier, le Bundestag (le parlement allemand) a adopté la loi dite «d’amélioration du rapatriement» avec les voix des trois partis de la coalition — SPD, FDP (libéraux) et Verts — qui intensifie massivement les attaques contre les réfugiés. Les demandeurs d’asile sans droit de séjour qui vivent et travaillent en Allemagne depuis des années peuvent désormais être arrêtés sans avertissement, détenus pendant près d’un mois et expulsés de force. La police est non seulement autorisée à fouiller leur logement et leurs téléphones portables, mais aussi le logement de leurs voisins, sans autorisation.
La loi criminalise également toute personne aidant les réfugiés. À l’avenir, les personnes effectuant des sauvetages en mer pourraient également être poursuivies directement en Allemagne pour aide à l’«entrée illégale», même lorsqu’il s’agit de sauver des mineurs. Selon l’organisation de défense des droits de l’homme Medico international, deux rapports d’experts ont conclu «qu’avec le projet de loi qui a été adopté l’extension prévue de la pénalisation inclurait précisément le sauvetage d’enfants».
Avec cette nouvelle loi, les politiciens mettent en pratique les plans d’expulsion de l’extrême droite. «Contrairement à l’AfD, le gouvernement allemand n’a pas besoin d'une réunion secrète pour discuter de la privation massive de droits, il la propose simplement comme une loi», a commenté Oliver Kulikowski, porte-parole de Sea-Watch, à propos de la décision du gouvernement. «Menacer d’emprisonnement le sauvetage d’enfants en détresse en mer et la sécurisation des besoins de base aux frontières est «tout simplement méprisable», a-t-il ajouté.
Cela revient à appliquer systématiquement la politique de l’AfD. Un mois seulement avant la réunion secrète de l’extrême droite à Potsdam qui a déclenché les manifestations de masse en janvier, le chancelier Olaf Scholz (SPD) avait déjà demandé en première page du magazine Der Spiegel: «Nous devons enfin expulser les gens à grande échelle».
Au niveau européen, la classe dirigeante met également en œuvre la politique des réfugiés de l’extrême droite. Le 20 décembre, les représentants des États membres de l’UE, ainsi que le Parlement européen, se sont mis d’accord sur un renforcement massif du régime d’asile européen commun (RAEC). Le WSWS a commenté ces mesures, saluées par l’AfD comme «une action plus décisive contre les migrants illégaux»:
Ce jour restera dans l’histoire comme celui où l’UE et ses gouvernements nationaux ont ouvertement adopté le programme anti-réfugiés de l’extrême droite. La mise en œuvre des «solutions» approuvées par l’UE signifie l’abolition du droit d’asile, l’extension de la forteresse Europe, des déportations massives et la détention même de femmes et d'enfants dans des centres de déportation semblables à des camps de concentration.
Le gouvernement se prépare également à légaliser l’expulsion des citoyens allemands issus de l’immigration, qui est discutée par les extrémistes de droite – la réunion de Potsdam avait également porté sur l’expulsion des Allemands «non assimilés». Par exemple, la nouvelle loi sur la citoyenneté du gouvernement exige un engagement «à l’égard de la responsabilité historique particulière de l’Allemagne dans le règne national-socialiste [nazi] de l’injustice et de ses conséquences, en particulier en ce qui concerne la protection de la vie juive». La citoyenneté peut être révoquée dans un délai de 10 ans en cas d’infraction.
Les conséquences de cela sont considérables. Par «responsabilité historique particulière» et «protection de la vie juive», le gouvernement n’entend pas la lutte contre le fascisme et l’antisémitisme, mais bien plutôt le soutien inconditionnel à Israël et à son génocide contre les Palestiniens. Autrement dit, la loi crée la base pour priver les opposants à ce génocide de leur citoyenneté sous la fausse accusation d’antisémitisme, et pour les expulser conformément aux plans de «remigration» de l’extrême droite.
Ces lois plus strictes et la demande de Klingbeil pour qu’elles soient vigoureusement mises en œuvre démasque toutes les expressions de sympathie des politiciens du gouvernement pour les manifestations de masse contre l’extrême-droite comme de la pure hypocrisie.
Cela vaut également pour le parti chrétien-démocrate (CDU), qui avait des représentants à la réunion secrète de Potsdam et entretient des liens politiques et personnels particulièrement étroits avec l'AfD.
Il en va de même pour le SPD de Klingbeil et pour le président allemand, le social-démocrate Frank-Walter Steinmeier, qui met en garde contre les «joueurs de flûte extrémistes» dans ses discours du dimanche, mais joue en réalité un rôle clé dans le renforcement des forces droitières et fascistes en Allemagne et dans toute l’Europe.
Les réunions de Steinmeier avec Alexander Gauland et Alice Weidel, alors dirigeants de l’AfD, au château de Bellevue en 2017, qui sont bien documentées, et sa rencontre en tant que ministre des Affaires étrangères avec le dirigeant du parti fasciste ukrainien Svoboda et antisémite avoué Oleh Tyahnybok à l’ambassade d’Allemagne à Kiev, pendant le coup d’État pro-occidental de 2014, sont particulièrement notoires.
Il en va de même pour le Parti de gauche et les Verts. Le fait qu’ils essaient maintenant de se présenter comme des champions de la lutte contre l’AfD ne change rien au fait qu’ils soutiennent en réalité la politique pro-guerre du gouvernement — ou la promeuvent agressivement dans le cas des Verts — et mettent en œuvre le programme anti-réfugiés des fascistes partout où ils gouvernent, au niveau fédéral ou dans les Lands.
Parallèlement à la réunion secrète de Potsdam, les Verts ont tenu leur congrès à Karlsruhe fin novembre, où ils ont préconisé davantage de déportations et la poursuite du démantèlement du droit d’asile. Le Parti de gauche — en particulier en Thuringe, où son ministre-président Bodo Ramelow a utilisé son propre vote pour nommer Michael Kaufmann, membre de l’AfD, au poste de vice-président du parlement du Land — est responsable de déportations brutales et de taux d’expulsion élevés.
Dans sa perspective du Nouvel An, le World Socialist Web Site écrit que, contrairement aux années 1930, la montée des partis et des politiciens fascistes est «bien moins un mouvement de masse venu d’en bas que le résultat d’un tournant universel vers la droite de la classe dirigeante».
Cela est également évident en Allemagne. Dans son livre «Pourquoi sont-ils de nouveau là»? publié en 2018, le dirigeant du Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SGP) Christoph Vandreier écrit: «Alors qu’en 1933, la conspiration des élites dirigeantes s’appuyait sur un mouvement fasciste existant, aujourd’hui, c’est l’inverse». La croissance de l’AfD «est le résultat d’une telle conspiration. Elle ne peut être comprise sans analyser le rôle du gouvernement, de l’appareil d’État, des partis, des médias et des idéologues des universités qui lui ouvrent la voie».
Le livre ne se contente pas de démontrer en détail comment tous les partis bourgeois, de la CDU/CSU au Parti de gauche, ont systématiquement créé les conditions sociales, politiques et idéologiques de la montée de l'AfD ces dernières années. Il explique également que la renaissance du militarisme et du fascisme allemands menée par la classe dirigeante a en fin de compte les mêmes causes objectives qu'au 20e siècle.
«Le capitalisme mondial n’a résolu aucun des problèmes qui ont conduit à la catastrophe des années 1930. Toutes les contradictions sociales, économiques et géopolitiques éclatent à nouveau avec force à la surface», écrit Vandreier. Dans ces conditions, la classe dirigeante, qui a porté Hitler et les nazis au pouvoir en 1933 afin d’armer l’Allemagne, de la préparer à la guerre et d’opprimer brutalement la classe ouvrière, poursuit à nouveau une politique fasciste.
Les manifestations de masse contre l’extrême droite en Allemagne montrent que les travailleurs et les jeunes ne sont pas prêts à accepter cela. Mais cette opposition a besoin d’une perspective claire.
La leçon décisive de l’histoire est que la lutte contre le fascisme et la guerre nécessite une lutte contre leur cause, le capitalisme – et contre tous les partis qui défendent ce système en faillite. Ce qu’il faut, c’est un mouvement révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière sur la base d’un programme socialiste international.