Canada : Les gouvernements exigent plus de privatisations alors que s’aggrave la crise du système de santé

Le président de l'Association médicale canadienne (AMC) a publié le mois dernier une déclaration appelant à une action urgente du Parlement et des provinces pour résoudre la crise de débordement dans les salles d'urgence des hôpitaux du pays.

La déclaration de l'AMC met en garde contre l'afflux de patients souffrant d'infections virales, qui s'ajoute à la pénurie de personnel et de matériel, résultat de décennies de sous-financement, ce qui entraine le débordement des services d'urgence dans les établissements de santé de tout le pays. Elle affirme que cette situation va persister en l'absence de «changements systémiques majeurs».

Selon la Dre Kathleen Ross, qui dirige l'association regroupant 70.000 médecins et étudiants en médecine, «le manque de personnel et l'engorgement des hôpitaux, combinés à un accès insuffisant à des soins primaires de qualité dispensés en équipe, font que les services d'urgence des hôpitaux manquent cruellement de ressources pour faire face à l'avalanche de patients atteints de la grippe, du COVID-19 ou du virus respiratoire syncytial (VRS) à cette période de l'année».

Quelque 200 000 travailleurs de la santé du Québec ont participé à une vague de grèves à la fin de l'année dernière, avant que l'alliance intersyndicale du Front commun ne conclue des accords de capitulation avec le gouvernement provincial de la CAQ. Sur la photo, des travailleurs font du piquetage au CHUM, le plus grand hôpital de Montréal.

Elle a noté que des patients attendent 20 heures ou plus pour recevoir des soins. L'exemple le plus récent est celui d'Angelina Malott, 17 ans, qui a dû attendre 19 heures pour se faire soigner dans deux hôpitaux de Kitchener (Ontario) en janvier pour une appendicite. «C'était un véritable retour en arrière, car les ressources étaient là, mais nous ne pouvions pas y accéder. Nous ne pouvions pas faire ce qui devait être fait», a déclaré sa mère Julia Malott à CTV News.

En décembre, deux patients sont décédés alors qu'ils attendaient des soins aux urgences de l'hôpital Anna-Laberge de Châteauguay, au sud de Montréal. L'année dernière, le décès d'Allison Holthoff, une mère de famille de 37 ans, après avoir attendu sept heures dans des douleurs extrêmes sans recevoir de soins dans une salle d'urgence de Nouvelle-Écosse, a suscité l'indignation générale.

Ross a souligné que si l'on ne s'attache pas à améliorer l'accès des Canadiens à des soins primaires de qualité, le système de santé et ceux qui y travaillent «continueront à subir des cycles de détérioration sans fin». Une enquête réalisée en 2023 par l'initiative OurCare a révélé qu'environ 6,5 millions de personnes, soit un Canadien sur six, n'avaient pas de médecin de premier recours qu'ils consultaient pour des examens réguliers. Si l'on tient compte des personnes qui ont déclaré ne pas pouvoir prendre rendez-vous avec leur médecin de famille, l'AMC indique qu'environ la moitié des Canadiens n'ont pas facilement accès à un médecin. Par conséquent, une grande partie de la population, sans qu'elle en soit responsable, souffre de problèmes médicaux courants qui ne sont pas traités, ce qui fait que de nombreuses personnes n'ont d'autre choix que de se tourner vers les salles d'urgence pour obtenir des soins lorsque leurs symptômes deviennent aigus.

Ce que la lettre de Ross n'explique pas, c'est que le système de santé canadien est en crise depuis des décennies, principalement en raison du manque de financement systématique de la part des gouvernements successifs. Le gouvernement libéral actuel, soutenu par le Nouveau Parti démocratique et dirigé par le premier ministre Justin Trudeau, a poursuivi et intensifié les politiques d'austérité de son prédécesseur conservateur, dans le domaine de la santé comme dans beaucoup d'autres.

Si l'on tient compte de la croissance et du vieillissement de la population, le gouvernement Trudeau a imposé de véritables réductions des dépenses de santé transférées du gouvernement fédéral aux provinces au cours de ses huit années de mandat. Un accord de 46,2 milliards de dollars conclu l'année dernière avec les provinces ne fera passer la part fédérale du financement des soins de santé que de 22 à 24 %, ce qui est bien inférieur à la répartition 50-50 qui prévalait à la naissance du système public de soins de santé du pays à la fin des années 1960.

L'attaque de Trudeau contre le financement des soins de santé s'inscrit dans le programme de son gouvernement en faveur des grandes entreprises, qui vise à renforcer la position «concurrentielle» du capitalisme canadien et ses intérêts prédateurs sur la scène mondiale, aux dépens des travailleurs. Le gouvernement Trudeau est déterminé à faire payer aux travailleurs les centaines de milliards distribués aux grandes entreprises et aux banques pendant la pandémie, le programme massif de réarmement militaire et la guerre contre la Russie.

La bureaucratie syndicale, qui constitue un pilier essentiel du soutien au gouvernement de Trudeau, pro-guerre et pro-austérité, a été intimement impliquée dans l'élaboration de l'accord de financement des soins de santé de l'année dernière. Dans une déclaration publiée quelques jours avant que Trudeau ne dévoile l'accord final, la présidente du Congrès du travail du Canada, Bea Bruske, s'est réjouie d'une «réunion productive et constructive avec le ministre [de la Santé Jean-Yves] Duclos». Bruske a conclu en exhortant Trudeau et les premiers ministres à «relever le défi» de la crise des soins de santé.

Tout en prétendant s'opposer à la privatisation des soins de santé, les directions syndicales travaillent sans relâche pour bloquer toute véritable lutte des travailleurs de la santé contre la privatisation. Au contraire, elles ont collaboré avec les gouvernements provinciaux de tout le pays pour imposer un accord de capitulation après l'autre, comme le montre le sabotage de la lutte des travailleurs du secteur public au Québec. Aux niveaux fédéral et provincial, les syndicats ont travaillé en étroite collaboration avec les gouvernements respectifs pour mettre en œuvre la campagne de «retour au travail» au cours des premières phases de la pandémie, submergeant le système de soins de santé et tuant des milliers de personnes.

La crise des soins de santé a été aggravée par l'approche consistant à prioriser les profits sur la vie durant la pandémie et qui a été adoptée à tous les niveaux de gouvernement, entraînant des millions d'infections et près de 58.000 décès officiels. L'espérance de vie a chuté pendant trois années consécutives entre 2020 et 2022 au Canada, le COVID étant la troisième cause de décès. Depuis le début de la pandémie au début de l'année 2020, les hôpitaux ont été submergés à plusieurs reprises par des vagues de maladies et une «épidémie triple» de COVID, de grippe et de VRS.

L'afflux de patients, combiné au manque de financement, a contribué à la montée en flèche de l'épuisement professionnel chez les travailleurs de la santé et à la fermeture de salles d'urgence en raison de la pénurie de personnel. Selon l'Ontario Health Coalition, les salles d'urgence et les centres d'urgence de l'Ontario ont fermé 1199 fois en 2023 en raison d'un manque de personnel.

La crise qui s’aggrave du système de santé canadien est utilisée par tous les gouvernements provinciaux pour justifier la poursuite de la privatisation. L'affectation d'une part toujours plus importante des fonds publics à des caisses privées a été justifiée par le mensonge selon lequel cela réduirait les temps d'attente pour les soins de base et les procédures médicales.

En fait, comme l'ont souligné les experts en santé et comme l'ont démontré diverses études, la profusion de cliniques privées à but lucratif n'a fait que détourner le personnel et les fonds publics du système public, exacerbant les pénuries de personnel et allongeant les listes d'attente pour des procédures urgentes, voire vitales.

Alors que les services privés font depuis longtemps partie du système de santé canadien, les soins ophtalmologiques, dentaires et de santé mentale ainsi que les prescriptions étant entièrement ou en grande partie exclus du système «universel», la privatisation s'est accélérée ces dernières années à l'instigation des entreprises. Près d'un tiers des soins de santé sont aujourd'hui payés par les patients de leur poche ou par le biais de régimes d'assurance proposés par leur employeur.

En Ontario, le gouvernement du premier ministre conservateur Doug Ford a approuvé l'extension des services pouvant être fournis par des cliniques privées, de la chirurgie de la cataracte et des IRM aux remplacements de la hanche et du genou. L'autorisation accordée aux cliniques privées de proposer des opérations chirurgicales a débuté en janvier 2022, Ford présentant cette mesure comme un moyen d'alléger la pression exercée sur les hôpitaux de la province. Ces cliniques «privées» reçoivent des millions de dollars de fonds publics pour effectuer des interventions chirurgicales. Une enquête menée par CBC News a révélé qu'une clinique privée de Toronto recevait plus de deux fois plus de fonds que les hôpitaux publics pour les procédures couvertes par le programme d'assurance maladie de l'Ontario.

Le gouvernement populiste de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a adopté à la fin de l'année dernière le projet de loi 15 qui place l'ensemble du système de santé public de la province – y compris les hôpitaux, les maisons de retraite et les cliniques de santé communautaire (CLSC) – sous la responsabilité d'une nouvelle agence, Santé Québec. Cette agence sera dirigée par des «top guns» du monde des affaires et chargée d'accroître l'«efficacité» du système de santé en introduisant des normes du milieu des «affaires» et en procédant à une privatisation pure et simple. La province autorise également les cliniques entièrement privées, qui fournissent des services à ceux qui peuvent se permettre de payer des milliers de dollars par an de leur poche, pour les soins familiaux et les opérations chirurgicales telles que les remplacements de hanche.

Pendant ce temps, le gouvernement de droite dure et hostile à la santé publique de Danielle Smith, première ministre de l'Alberta et membre du Parti conservateur uni, a présenté un vaste plan de démantèlement du système de santé de la province. Un plan visant à diviser les services de santé de l'Alberta en quatre agences distinctes permettra aux entreprises de piller 17 milliards de dollars supplémentaires de fonds publics.

Les gouvernements successifs du Nouveau Parti démocratique en Colombie-Britannique ont accordé chaque année des contrats d'une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars à des cliniques chirurgicales privées, en s'appuyant sur une politique lancée par les libéraux de la province.

Telus, l'un des plus grands monopoles de télécommunications du Canada, s'est lancé ces dernières années dans le secteur lucratif de la santé. Il propose des services de «télésanté», des pharmacies et des cliniques privées en Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador par l'intermédiaire de sa filiale Telus Health. La société est également présente aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. La filiale a déclaré un chiffre d'affaires de 422 millions de dollars au troisième trimestre 2023.

Malgré la crise du système de santé, l'assurance-maladie reste très populaire parmi les travailleurs canadiens, la privatisation étant depuis longtemps considérée comme un tabou politique. Alors qu'ils salivent, ainsi que leurs maîtres du grand patronat, devant les milliards à gagner, tous les partis bourgeois savent qu'une privatisation pure et simple susciterait l'indignation générale, d'où la privatisation progressive et la mort à petit feu des services de santé publique. C'est la stratégie privilégiée par tous les partis politiques lorsqu'ils sont au pouvoir, qu'il s'agisse des conservateurs, des libéraux, du Parti Québécois ou du NPD, en partenariat avec les syndicats nationalistes et pro-capitalistes.

La racine de la crise des soins de santé au Canada, comme partout dans le monde, est le système capitaliste, qui subordonne les besoins de l'humanité aux intérêts de l'accumulation des profits. Une lutte politique de la classe ouvrière contre tous les représentants de la classe dirigeante est nécessaire pour sauver l'assurance-maladie et établir un système de soins de santé véritablement universel qui offre des soins de haute qualité à tous. Les travailleurs du secteur de la santé doivent créer des comités de base indépendants qui se mobiliseront contre les bureaucrates syndicaux pour défendre les soins de santé publics. Par-dessus tout, cette lutte exige de lutter pour le socialisme en construisant le Parti de l'égalité socialiste en tant que direction révolutionnaire de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 4 février 2024)

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