Le gouvernement du Québec renouvelle la clause de dérogation pour garder sa loi discriminatoire sur la «laïcité» à l’abri des tribunaux

Jeudi dernier, le gouvernement de droite de la Coalition avenir Québec (CAQ) a déposé le projet de loi 52 à l’Assemblée nationale pour renouveler l’utilisation de la clause de dérogation à la Charte canadienne des droits et libertés relativement à sa Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21). Son objectif est d’enlever aux tribunaux la possibilité d’invalider la Loi 21 pour faire respecter les droits constitutionnels fondamentaux.

Discriminatoire et réactionnaire, la Loi 21 interdit le port de signes religieux par les professeurs et les employés de l’État dits en «position d’autorité» et prive les femmes musulmanes entièrement voilées de services publics essentiels comme les soins de santé. Par contre, elle autorise les symboles catholiques qui sont omniprésents dans l’espace public sous le prétexte qu’ils font partie de l’«héritage culturel» de la province.

Lors de son adoption en juin 2019, la CAQ a dû inclure une disposition de dérogation, car la loi bafoue la liberté de religion, sinon la liberté d’expression, de façon si évidente que les tribunaux l’auraient invalidée sur-le-champ. L’usage de la clause de dérogation doit être renouvelé tous les cinq ans, d’où la nécessité d’adopter le projet de loi 52 d’ici le mois de juin prochain.

Une manifestation contre la Loi 21 [Photo: McGill Students Union/Twitter ]

Le parrain du projet de loi, le ministre de la Langue française et ministre responsable de la Laïcité Jean-François Roberge, a déclaré que la Loi 21 était un «geste d’affirmation nationale» qui avait créé une «espèce de consensus social». De façon cynique, il a ajouté qu’avant l’adoption de la loi caquiste, le «débat était empreint de violence verbale» et que «des gens [ne se] sentaient pas en sécurité». En réalité, c’est la Loi 21 qui a provoqué une hausse marquée des incidents haineux contre les minorités religieuses et le sentiment de ne pas être en sécurité chez ces populations vulnérables.

L’adoption de la Loi 21 par la CAQ peu après son arrivée au pouvoir était la culmination d’une décennie d’agitation par la classe dirigeante québécoise. En 2007, confrontée à une crise sociale grandissante suivant les coupes sociales et l’austérité capitaliste imposées par les gouvernements successifs du Parti québécois (PQ) et du Parti libéral du Québec (PLQ), la classe dirigeante a créé de toute pièce une «controverse» sur les accommodements supposément déraisonnables que la Charte canadienne et les tribunaux forceraient la société québécoise à accorder aux minorités religieuses.

Le nationalisme québécois, une arme idéologique utilisée depuis des décennies par l’élite dirigeante francophone pour diviser les travailleurs sur des lignes ethniques ou linguistiques, a alors pris une teinte résolument chauvine et xénophobe. Depuis, les minorités religieuses et les immigrants sont présentés comme une menace pour le mode de vie des Québécois.

Loin de la satisfaire, l’adoption de la Loi 21 a incité la classe dirigeante à intensifier sa campagne et à cibler encore plus ouvertement tous les immigrants sans égard à leur religion.

Créant une autre controverse autour du chemin Roxham, par où des milliers d’immigrants menacés de déportation aux États-Unis sont entrés au Canada pour demander le statut de réfugié, la classe politique a adopté un discours dénonçant «l’immigration illégale» qui n’est pas sans rappeler le venin xénophobe du Parti républicain aux États-Unis et les déportations massives du gouvernement démocrate de Joe Biden.

Avant les élections provinciales de 2022, la CAQ avait fait de l’immigration l’enjeu central de sa campagne. Legault était allé jusqu’à affirmer qu’il serait «suicidaire» pour la «nation québécoise» d’accueillir plus d’immigrants, en plus d’associer ces derniers au crime et à la violence. Le ministre du Travail et de l’Immigration, Jean Boulet, avait déclaré que «80% des immigrants ne travaillent pas», un mensonge grossier.

En mai dernier, le Journal de Montréal, un tabloïd de droite propriété du milliardaire et ancien chef du PQ Pierre-Karl Péladeau, a publié un dossier hystérique à propos d’un supposé «complot fédéraliste», supervisé par le Premier ministre libéral canadien Justin Trudeau, pour détruire la «nation québécoise» à l’aide de l’immigration «massive».

Mettant en vedette l’idéologue d’extrême droite Mathieu-Bock Côté, le dossier présentait une version québécoise de la théorie fasciste et antisémite du «Grand remplacement» dans laquelle le gouvernement fédéral chercherait à remplacer les Québécois francophones par une vague d’immigrants anglophones. D’autres portions du volumineux dossier présentaient les immigrants comme la source unique de plusieurs problèmes sociaux, dont la crise du logement.

Depuis, ce type de démonisation des immigrants, réservé jusque-là aux groupes fascistes tels que La Meute ou Atalante et à quelques journalistes et intellectuels d’extrême droite, a été repris par l’ensemble de l’establishment. Tous les grands médias capitalistes ont publié des chroniques et des éditoriaux de membres prétendument respectables de l’intelligentsia bourgeoise qui reprennent sans aucune critique cette idée frauduleuse que les immigrants sont responsables de la crise du logement, du manque de ressources spécialisées dans les écoles et de façon générale, de l’impossibilité de maintenir des services publics décents. Cette xénophobie occupe désormais une place centrale dans le discours du PQ qui cherche ainsi à dépasser la CAQ sur sa droite en faisant preuve d’un chauvinisme anti-immigrant encore plus virulent.

En réalité, l’état désastreux des services publics est le résultat des politiques de la classe dirigeante et de ses coupes sauvages dans les services sociaux pour canaliser encore plus de ressources dans les poches des riches, par des baisses d’impôts et des subventions de milliards de dollars à la grande entreprise.

De plus, les déplacements massifs de population sont le résultat du rôle prédateur que joue l’impérialisme canadien et ses alliés à travers le monde, détruisant des sociétés entières au moyen de la guerre et des brutales mesures de restructuration économique du FMI et de la Banque Mondiale dans des régions aussi variées que le Moyen-Orient, l’Asie centrale, l’Afrique ou l’Amérique latine.

Dans sa campagne pour blâmer les immigrants pour les maux dont elle est responsable, l’élite dirigeante peut compter sur l’appui de Québec solidaire (QS), le parti de la pseudo-gauche québécoise.

QS, qui représente les intérêts des sections les plus aisées de la classe moyenne, a depuis le début légitimé le tournant chauvin de la classe dirigeante en qualifiant l’agitation hystérique sur les «accommodements raisonnables» de «débat légitime». Démontrant la nature fondamentalement réactionnaire du nationalisme québécois, QS a annoncé qu’il supporterait le projet de loi 52 au motif que la Charte canadienne des droits et libertés ne devrait pas s’appliquer au Québec parce qu’elle a été imposée unilatéralement par l’ordre fédéral.

Tentant de préserver le peu de crédibilité qu’il lui reste auprès des jeunes et des travailleurs de gauche, QS a tenté de donner un vernis progressiste à cette position réactionnaire en prétendant être contre certaines dispositions de la Loi 21 mais que seule la Charte des droits et libertés de la personne – une loi provinciale qui contrairement à la Charte canadienne n’est pas constitutionnelle et peut être modifiée en tout temps par l’Assemblée nationale – devrait s’appliquer aux lois du Québec. Il s'agit d’un argument fallacieux puisque la Loi 21 contient également une disposition de dérogation à la Charte québécoise qui, elle, n'a pas besoin d'être renouvelée périodiquement.

Le recours de plus en plus fréquent à la clause dérogatoire fait partie du tournant vers la droite de tout l’establishment politique au Canada.

La disposition de dérogation à la Charte canadienne – et son pendant québécois – est profondément réactionnaire et antidémocratique en plus de contrevenir au droit international. Tristement unique dans le monde, elle a souvent été citée avec approbation par le gouvernement israélien d’extrême droite de Benjamin Netanyahu, qui mène actuellement une campagne militaire criminelle et génocidaire contre les Palestiniens à Gaza avec la complicité des gouvernements impérialistes à travers le monde, y compris ceux du Canada et du Québec.

Comme le démontre son utilisation en novembre 2022 par le Premier ministre conservateur de l’Ontario, Doug Ford, pour protéger une loi criminalisant une grève imminente de travailleurs de l’éducation, la cible première du mécanisme de dérogation à la Charte est les travailleurs qui entrent en lutte.

En Ukraine, à Taiwan et à Gaza, l’impérialisme canadien, y compris sa section québécoise, est impliqué dans des guerres et des provocations qui font partie d’une lutte sans merci entre les grandes puissances pour la conquête des marchés, des matières premières et des sphères d'influence.

Ces politiques impitoyables de guerre et d’austérité font face à une énorme opposition dans la population et elles ne peuvent être imposées qu’en ayant recours à des formes dictatoriales de pouvoir, à des alliances avec les forces politiques les plus réactionnaires et à la promotion de l’extrême droite.

Cette tendance internationale trouve son expression, notamment, dans l’ovation accordée à un criminel de guerre nazi au parlement canadien, dans l'adoption par le président français Emmanuel Macron des politiques anti-immigration du Rassemblement national d'extrême droite, dans la mise en œuvre par le gouvernement allemand des principales demandes du mouvement fasciste qu’est l'Alternative pour l'Allemagne, et dans l’absence de conséquence pour Donald Trump et les autres républicains qui ont participé à l’assaut contre le Capitole le 6 janvier 2021.

La seule force sociale capable de défendre les droits démocratiques face à la menace croissante du fasciste est la classe ouvrière internationale mobilisée dans une lutte politique contre le système de profits. La même crise du système capitaliste qui pousse les classes dirigeantes à embrasser la guerre et la dictature comme gardiennes de leurs immenses richesses pousse la classe ouvrière à une lutte historique pour faire valoir ses intérêts et transformer la société sur la base du socialisme international.

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