Perspective

Lors d’un vote bipartisan, le Sénat américain approuve l’octroi de 95 milliards de dollars pour la guerre en Ukraine et le génocide à Gaza

Le président Joe Biden demande l’adoption d’un programme de guerre de 95 milliards de dollars débattu au Congrès, dans la salle à manger de la Maison-Blanche, le mardi 13 février 2024, à Washington. [AP Photo/Evan Vucci]

Lors d’un vote bipartisan de 70 à 29 mardi matin, le Sénat américain a adopté un programme de financement militaire de 95,3 milliards de dollars qui vise à étendre la guerre par procuration contre la Russie en Ukraine, à poursuivre le génocide à Gaza et à préparer la guerre avec la Chine. Au cours de la nuit, la grande majorité des démocrates ont voté en faveur du projet de loi, seuls deux d’entre eux ayant voté contre, tandis qu’une quasi-majorité de républicains, 22 sur les 48 votants, ont apporté leur soutien.

Après l’adoption du projet de loi par le Sénat, le président américain Joe Biden a prononcé dans l’après-midi un discours demandant au président républicain de la Chambre des représentants, Mike Johnson, de «le présenter immédiatement à la Chambre». Johnson avait déclaré qu’il n’autoriserait le vote que si le projet de loi était associé à la loi anti-immigration «Secure Our Border Act», adoptée par les républicains à la Chambre des représentants l’été dernier.

Le discours de Joe Biden était un appel à l’escalade militaire mondiale pour défendre les impératifs géopolitiques de l’impérialisme américain.

Il s’est tout d’abord concentré sur la situation en Ukraine, pour laquelle le projet de loi prévoit un financement de plus de 60 milliards de dollars. Le gouvernement Zelensky, soutenu par les États-Unis, est embourbé dans la crise suite à l’échec de l’«offensive de printemps» l’année dernière, combiné aux conséquences désastreuses de la guerre qui dure depuis deux ans et qui a tué des centaines de milliers d’Ukrainiens.

Décrivant la situation, Biden a déclaré: «Les soldats ukrainiens sont à court d’obus d’artillerie, les unités ukrainiennes rationnent les munitions pour se défendre, les familles ukrainiennes craignent que la prochaine frappe russe ne les plonge définitivement dans l’obscurité ou pire encore».

L’inquiétude professée par Biden pour les «familles ukrainiennes» et les soldats est le comble de l’hypocrisie impérialiste. Après avoir été à l’origine de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, le gouvernement Biden n’a cessé de rejeter tout règlement négocié du conflit, qui se poursuit encore aujourd’hui. Mardi, Reuters a rapporté, en citant des sources russes, que «la suggestion du président russe Vladimir Poutine d’un cessez-le-feu en Ukraine pour mettre la guerre en suspens a été rejetée par les États-Unis après des contacts entre intermédiaires».

Les puissances impérialistes des États-Unis et de l’OTAN ont saigné le pays à blanc dans leur détermination à imposer une défaite militaire à la Russie. Le nombre de morts est si élevé que le gouvernement Zelensky tente d’abaisser l’âge de la conscription afin d’enrôler davantage de jeunes dans la bataille, dans un contexte d’opposition croissante au sein même de l’Ukraine.

Un article du New York Times publié en début de semaine déclarait que l’abaissement de l’âge de la conscription «amènerait plus de soldats agiles et en bonne santé au combat, mais poserait des risques à long terme pour le maintien de la population de l’Ukraine, compte tenu de la démographie du pays». Dans un langage qui pue l’idéalisation du massacre, le Times a reconnu que «le maintien de la population de l’Ukraine» est une question ouverte. En d’autres termes, l’impérialisme se bat jusqu’au dernier Ukrainien, littéralement.

Biden s’est ensuite tourné vers le Moyen-Orient, où il s’est concentré sur le renforcement militaire en mer Rouge, en ciblant l’Iran. Il n’a que brièvement évoqué la deuxième composante la plus importante du projet de loi: 14 milliards de dollars supplémentaires pour Israël et la poursuite du génocide contre le peuple palestinien.

Avec un parfait cynisme et l’hypocrisie de l’impérialisme, Biden a prétendu que le projet de loi comprenait des mesures qui visent à «fournir une aide humanitaire vitale au peuple palestinien, qui a désespérément besoin de nourriture, d’eau et d’abris». Des millions de Palestiniens sont dans une situation désespérée et plus de 35.000 sont morts à cause d’un massacre et de bombardements menés avec toutes les ressources financières et militaires des États-Unis.

En fait, contrairement aux versions initiales du projet de loi, cette enveloppe de guerre interdit strictement tout financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies. L’UNRWA est la principale agence d’aide humanitaire pour les réfugiés palestiniens à Gaza, en Jordanie et au Liban, dont dépendent des millions de personnes.

La maigre «aide» fournie aux Palestiniens souffrants dans le projet de loi par l’intermédiaire du département d’État et de l’Agence des États-Unis pour le développement international contient plusieurs exigences onéreuses en matière de contrôle et d’établissement de rapports. Il est notamment exigé que les procédures d’acheminement de l’aide soient élaborées «en coordination avec d’autres donateurs bilatéraux et multilatéraux et le gouvernement d’Israël, le cas échéant».

C’est comme si un pyromane mettait le feu à un quartier, assassinait un grand nombre de ses habitants, puis fournissait un balai pour aider au nettoyage, à condition que cela se fasse sous l’œil vigilant du pyromane lui-même – et pendant qu’il continue à détruire le reste de la ville.

Enfin, Biden a déclaré que le projet de loi «comprend un financement essentiel pour nos priorités en matière de sécurité nationale en Asie, car même si nous nous concentrons sur les conflits à Gaza et en Ukraine, nous ne devons pas perdre de vue nos défis en matière de sécurité nationale dans le Pacifique». En d’autres termes, la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine, le génocide à Gaza et le renforcement militaire au Moyen-Orient sont considérés comme préparatoires et font partie du conflit en cours avec la Chine.

Le projet de loi prévoit 5 milliards de dollars supplémentaires à cette fin, dont près de 2 milliards pour l’acquisition de sous-marins lanceurs de missiles balistiques de classe Columbia dans le cadre de l’accord militaire Australie-Royaume-Uni-États-Unis (AUKUS). Les sous-marins de la classe Columbia peuvent transporter jusqu’à 16 missiles balistiques Trident D5, chacun pouvant être équipé d’une ogive thermonucléaire W88. La puissance estimée d’une W88 est de 475 kilotonnes, soit plus de 23 fois celle de la bombe larguée sur Nagasaki.

La suite du projet de loi reste incertaine. Alors que Trump et ses plus fervents partisans au sein du groupe républicain de la Chambre des représentants s’y opposent, certaines sections du Parti républicain demandent qu’il soit soumis au vote et adopté.

Le Wall Street Journal, allié du Parti républicain, a publié un éditorial après le vote du Sénat, le qualifiant de «victoire pour la sécurité américaine, qui renforcerait les défenses des États-Unis et les protégerait contre les dangers grandissants à l’étranger». Le rejet du projet de loi, écrit-il, «annonce une faiblesse face à la Chine et à l’Iran autant que face à la Russie. Quiconque pense qu’une bataille sur Taïwan se profile à l’horizon devrait se précipiter pour faire passer 2 milliards de dollars de ventes d’armes et d’entraînement pour [nos] partenaires du Pacifique».

De leur côté, plusieurs démocrates, dont l’ancienne présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, ont évoqué la possibilité d’une «pétition d’exclusion». Cette manœuvre parlementaire permettrait au chef de la minorité, Hakeem Jeffries, avec le soutien d’une poignée de républicains, de présenter le projet de loi sans l’approbation de Johnson.

Quelle que soit l’issue immédiate, le processus a révélé de manière frappante la dynamique politique des États-Unis.

Le Parti démocrate est un parti de guerre et de génocide. Ses divergences avec la faction Trump du Parti républicain portent essentiellement sur des questions de politique étrangère, en particulier en ce qui concerne la Russie. Vers la fin de son discours, Biden a dénoncé Trump pour s’être accommodé de Poutine, déclarant, en référence à des remarques antérieures de Trump, «Tant que je serai président, si Poutine attaque un allié de l’OTAN, les États-Unis défendront chaque centimètre du territoire de l’OTAN».

Quant à Trump et aux autres fascistes du Parti républicain, ils ne sont pas moins partisans de l’impérialisme américain que les démocrates. Si Trump devait revenir au pouvoir, il procéderait avec une brutalité absolue pour faire avancer les intérêts impérialistes américains à l’étranger. Le conflit autour du projet de loi reflète certaines divisions au sein de la classe dirigeante sur l’orientation de la politique de guerre, et Trump y voit également une occasion d’intensifier sa campagne fasciste contre les immigrés.

Biden a déclaré dans ses remarques qu’un «tournant dans l’histoire» avait été atteint. C’est vrai, mais dans deux sens très différents. Pour Biden, cela signifie que l’élite dirigeante américaine, confrontée à une crise désespérée, doit utiliser la violence militaire à une échelle sans précédent pour vaincre ses rivaux, réprimer l’opposition populaire, maintenir son hégémonie mondiale et défendre ainsi ses profits et sa richesse.

Pour la classe ouvrière des États-Unis et du monde entier, cependant, la question se pose différemment. Pour la classe ouvrière, il s’agit de s’opposer à l’escalade incessante de la brutalité impérialiste, à la normalisation du génocide et de la guerre nucléaire, qui menace l’ensemble de l’humanité, en développant un mouvement de la classe ouvrière contre le système capitaliste et pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 14 février 2024)

Loading