Abbas propose à l’Autorité palestinienne de devenir le gardien de prison d’Israël à Gaza

Le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP), Mohammed Shtayyeh, a présenté sa démission et celle de son cabinet au président Mahmoud Abbas lundi. Il l’a fait alors que des informations indiquent qu’Abbas a accepté de nommer un nouveau gouvernement de «technocrates» non-affiliés pour administrer ostensiblement la bande de Gaza lorsque la guerre de génocide et de nettoyage ethnique d’Israël prendra fin.

Abbas a demandé à Shtayyeh, un économiste qui occupe le poste depuis 2019, de continuer à exercer ses fonctions jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit formé. Shtayyeh a déclaré que sa démission faisait partie d’un effort plus large visant à former un nouveau gouvernement et une nouvelle formation politique dû à la «nouvelle réalité» de la guerre et de la nécessité de parvenir à une réconciliation entre différentes factions politiques palestiniennes, en étendant le pouvoir de l’AP sur la Cisjordanie et la bande de Gaza.

Mohammad Shtayyeh au siège de l’ONU à New York, États-Unis, le 22 septembre 2022 [Photo: European Union/Johanna Leguerre]

Abbas et l’AP dominée par le Fatah sont prêts à faire tout ce que les États-Unis et les régimes arabes exigent. Une AP «revitalisée», sur laquelle insiste le gouvernement Biden, servirait de gardien de prison pour Israël en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

L’Autorité palestinienne

L’AP a été créée dans le cadre des accords d’Oslo de 1993-1995 en tant que supposé gouvernement en attente d’un futur État palestinien comprenant la Cisjordanie et la bande de Gaza illégalement occupés par Israël depuis la guerre israélo-arabe de 1967. Elle administre moins de 40 pour cent de la Cisjordanie et, suite aux élections législatives de 2006, les seules jamais organisées, il a été exclu de Gaza.

Le Likoud de Benjamin Netanyahou n’a jamais accepté les accords d’Oslo, dénonçant le Premier ministre Yitzhak Rabin comme traître pour les avoir signés. Le Likoud et d’autres formations sionistes de droite l’ont déclaré incompatible avec le droit d’Israël à la sécurité et le droit du peuple juif à l’ensemble du territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée. Netanyahou s’est employé à saper et à subvertir l’accord lorsqu’il est devenu Premier ministre en 1996, après l’assassinat de Rabin en 1995 par un fanatique juif d’extrême droite.

Le gouvernement actuel de Netanyahou est composé de fascistes, de colons et de bigots religieux attachés à une suprématie juive allant du Jourdain à la Méditerranée. Non seulement Israël a retenu les recettes fiscales de l’AP, ce qui a entraîné le paiement tardif, partiel ou même le non-paiement des salaires de ses 144.000 employés, mais il a également retiré les permis d’entrée des travailleurs palestiniens dans l’industrie de la construction israélienne et dans les colonies, ce qui a entraîné la perte de 276.000 emplois (32 pour cent de l’emploi) au mois de décembre. Il a mis en place 400 points de contrôle en Cisjordanie, entravant la circulation des personnes et des biens. En conséquence, l’économie de la Cisjordanie s’est contractée de plus de 20 pour cent au cours du dernier trimestre de 2023. Un tiers des entreprises ont fermé ou sont en chômage technique et les pertes quotidiennes s’élèvent à 25 millions de dollars, ce qui a créé des conditions sociales des plus explosives.

Selon les plans déclarés de Netanyahou pour le Gaza d’après-guerre, Israël maintiendrait indéfiniment le contrôle de la sécurité. Ce ne serait en tout cas plus qu’un terrain vague jonché de ruines, avec une population palestinienne massivement réduite par la guerre, la famine et la maladie. Si Netanyahou parvient à réaliser pleinement ses objectifs, les Palestiniens seront nettoyés ethniquement, non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, et chassés dans le désert.

Le rôle d’Abbas et de l’Autorité palestinienne est discuté dans le contexte d’une certaine forme de maintien de la présence palestinienne.

Le président palestinien Mahmoud Abbas [AP Photo/Ludovic Marin]

Du moins publiquement, sans mentionner l’Autorité palestinienne, Netanyahou a insisté sur la «démilitarisation» de Gaza, le retrait de toute capacité militaire au-delà de ce qui est nécessaire à l’ordre public et une «fermeture sud» de la frontière de Gaza avec l’Égypte pour empêcher la contrebande, tout en cédant l’administration de la vie civile à des Gazaouis sans liens avec le Hamas. Il a également appelé au démantèlement de l’UNRWA, l’agence des Nations unies qui fournit de l’aide et des services publics aux Palestiniens déplacés de leurs foyers lors des guerres arabo-israéliennes de 1947-1949 et 1967, ainsi qu’à leurs descendants en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem-Est, en Jordanie, au Liban et en Syrie.

Netanyahou a exclu toute reconnaissance d’un État palestinien, fantôme une fois de plus brandi par Washington et ses alliés impérialistes pour suggérer un point final au génocide de Gaza autre que le nettoyage ethnique. Il a rappelé que la Knesset avait voté à une écrasante majorité quelques jours auparavant pour rejeter la «reconnaissance unilatérale d’un État palestinien», qui «non seulement n’apporterait pas la paix, mais mettrait en danger l’État d’Israël».

La fraude d’une AP «revitalisée»

Le projet d’une AP «revitalisée» a vu le jour à Doha en décembre dernier lors d’une réunion des principaux alliés arabes de l’impérialisme américain dans la région, l’Arabie saoudite, l’Égypte, le Qatar et la Jordanie. Le boucher du Caire, Abdel Fattah al-Sisi, y a présenté ses plans pour un nouveau gouvernement provisoire de l’AP, ouvrant la voie à des élections parlementaires et présidentielles pour déterminer l’administration d’après-guerre de la Cisjordanie et de Gaza.

L’inclusion du Hamas et du Jihad islamique palestinien (PIJ), tous deux plus populaires que le Fatah, dans tout gouvernement palestinien étant inacceptable pour Israël, les despotes arabes ont proposé à Abbas de nommer un gouvernement de technocrates sans affiliation politique explicite, qu’ils soutiendraient financièrement.

Le prétexte des «élections» est une tentative de contrer l’hostilité massive à l’égard de l’AP, qui est méprisée pour son régime corrompu, autocratique et inefficace et pour sa soumission à Israël. Après les premières et uniques élections présidentielles de 2005, le mandat d’Abbas a été prolongé indéfiniment en 2009. N’ayant organisé aucune élection parlementaire depuis la première en janvier 2006, lorsque le Hamas a remporté une victoire surprise sur le Fatah, Abbas a renvoyé le parlement et a largement gouverné par décret, annulant les élections parlementaires prévues pour 2021 par crainte d’une nouvelle défaite.

De toute façon, aucune élection ne serait possible à Gaza, dont les infrastructures sont en grande partie détruites. Et aucune élection légitime ne pourrait avoir lieu en Cisjordanie, d’autant plus que le candidat le plus populaire à la tête de l’Autorité palestinienne est Marwan Barghouti, qui purge actuellement plusieurs peines de prison à vie dans une prison israélienne.

Les régimes arabes ont proposé cette réorganisation de l’AP dans le cadre d’une stratégie plus large, comprenant un cessez-le-feu immédiat et permanent, un échange d’otages et de prisonniers, la reconstruction de Gaza, la pleine reconnaissance de la Palestine par les Nations unies et une conférence internationale pour convenir de la création d'un mini-État palestinien.

Ce scénario optimiste ne se réalisera jamais. Les discussions sur un cessez-le-feu temporaire se poursuivent au moment d’écrire ces lignes, Netanyahou et Biden étant réceptifs à un échange d’otages et de prisonniers en échange d’une brève pause dans les plans d’invasion terrestre de Rafah. Mais Netanyahou a insisté sur le fait qu’une fois remplies les formalités de l’envoi d’aide pour quelques semaines, les hostilités reprendront. En outre, un cessez-le-feu permanent est inacceptable pour toutes les factions politiques israéliennes, qui soutiennent toutes l’expansion des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que les réseaux de transport qui les relient et qui rendent impossible la création d’un État d’un seul tenant.

Des Palestiniens inspectent les dégâts après une frappe aérienne israélienne sur la zone d’El-Remal à Gaza-ville, le 9 octobre 2023. [Photo by Palestinian News & Information Agency (Wafa) in contract with APAimages / CC BY 3.0]

La Jordanie et l’Égypte étant toutes deux déterminées à empêcher une fuite massive de Palestiniens démunis vers leurs pays, qui sont déjà des poudrières sociales, le rôle réel de l’Autorité palestinienne serait de garder une prison à ciel ouvert. Prison que les régimes arabes ont aidé à créer, non seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie.

Pour pouvoir jouer son rôle répressif, l’AP aurait besoin du soutien d’une force internationale, dont les troupes proviendraient très probablement des États arabes ayant déjà signé des accords de normalisation avec Israël et seraient financées conjointement par ces derniers et les puissances impérialistes.

L’objectif fondamental de l’Égypte était de fournir un mécanisme politique pour maintenir la «stabilité», c’est-à-dire supprimer toute opposition à l’occupation militaire des territoires palestiniens par Israël et empêcher celle-ci de déclencher une lutte régionale plus large contre des régimes arabes qui sont de connivence avec Israël depuis des décennies. Leur crainte ultime est que le soutien populaire mondial aux Palestiniens s’associe à la colère croissante de leurs propres citoyens, suscitée par la détérioration des conditions sociales.

À cette fin, ils sont déterminés à bricoler un mécanisme «palestinien» d’administration des territoires qui soit acceptable pour l’impérialisme américain, mais avec un sceau d’approbation arabe pour protéger Washington en tant que véritable auteur du génocide de Gaza.

La contrepartie est l’engagement de Washington à soutenir leur «sécurité» dans l’éventualité d’un nouveau «printemps arabe» ou d’un mouvement de masse visant à les renverser ; l’engagement à neutraliser la menace des Houthis pour l’Arabie saoudite et à faire la guerre à l’Iran (qui a soutenu les forces d’opposition à leur pouvoir) dans le cadre des préparatifs de guerre visant la Chine.

Si Shtayyeh a déclaré publiquement que le Hamas faisait partie intégrante de l’arène politique palestinienne, il a insisté pour qu’il abandonne son programme de «lutte armée». Il a déclaré: «Pour que le Hamas soit membre de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine], il doit accepter certaines conditions préalables: la plate-forme politique de l’OLP, un accord sur la question de la résistance – et nous appelons à la résistance populaire, rien d’autre. Le Hamas doit se rallier à notre programme politique. Notre position est très claire. Deux États sur les frontières de 1967 par des moyens pacifiques».

Mardi, Tel-Aviv a accepté de commencer à transférer à l’Autorité palestinienne des fonds retenus depuis le 7 octobre. Le dimanche précédent, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, avait écrit à Netanyahou pour l’avertir que les actions d’Israël «nuisaient gravement à l’économie de la Cisjordanie, réduisaient les revenus et avaient en même temps un impact négatif sur Israël».

Jeudi, le Hamas et le PIJ sont rentrés dans le rang et ont rejoint les autres factions palestiniennes pour poursuivre les discussions sur la composition d’un futur «gouvernement» palestinien à Moscou. Le fait que de telles discussions aient lieu au milieu du génocide de Gaza signifie l’impasse totale de la «solution à deux États», qui n’a jamais été qu’une tromperie cruelle visant à supprimer les aspirations politiques, économiques et sociales légitimes du peuple palestinien.

Partout dans le monde, les mouvements nationalistes bourgeois qui cherchaient à obtenir l’«indépendance» de leurs maîtres coloniaux ont fini par dépendre de plus en plus de puissances extérieures pour imposer leurs gouvernements. État et «indépendance» palestiniens ont dégénéré en mécanisme permettant à une poignée de familles – tant en Cisjordanie qu’à Gaza – de s’enrichir grâce à l’exploitation et à la répression des travailleurs palestiniens et des pauvres des zones rurales. Ayant accédé à l’indépendance plus tard que les autres mouvements nationalistes bourgeois, cette richesse n’a pu être obtenue et maintenue qu’en présidant à des bantoustans appauvris en Cisjordanie et à une prison à ciel ouvert à Gaza.

Léon Trotski [Photo by Bundesarchiv, Bild 183-R15068 / CC BY-SA 3.0]

La théorie de la révolution permanente de Trotsky démontre que les peuples coloniaux et semi-coloniaux ne peuvent satisfaire aucun de leurs besoins les plus élémentaires – libération de l’oppression impérialiste, droits démocratiques, emplois et égalité sociale – sous la direction d’une quelconque section de la bourgeoisie nationale. Trotsky a insisté sur le fait qu’à l’époque impérialiste, la réalisation des tâches démocratiques et nationales fondamentales dans les nations opprimées – des tâches associées aux XVIIe et XVIIIe siècles à la montée de la bourgeoisie – exigeait la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Celle-ci ne pouvait se faire que dans le cadre de la lutte pour la révolution socialiste mondiale, afin de placer toutes les ressources de l’économie nationale et internationale sous le contrôle des travailleurs et des masses opprimées.

Le mouvement international grandissant contre le génocide de Gaza – aux États-Unis, en Europe, en Israël/Palestine, au Moyen-Orient ou ailleurs – doit rompre avec tous les anciennes organisations, partis et institutions qui ont été totalement discrédités par leur complicité avec l’impérialisme et construire un mouvement international unifié de la classe ouvrière contre le capitalisme et pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 4 mars 2024)

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