Le ministre allemand de la Santé veut rendre le système de santé apte à la guerre

Avec le «système de santé de la nouvelle ère» annoncé par le ministre allemand de la santé Karl Lauterbach, les dépenses de santé seront encore sabrées au profit du réarmement militaire. Le gouvernement de coalition subordonne l’ensemble du système de santé à sa politique de guerre.

Le ministre de la santé Karl Lauterbach (SPD) lors d'une conférence de presse le 14 janvier

Au début du mois, Lauterbach (social-démocrate, SPD) a déclaré que le système de santé allemand devait être préparé pour «d’éventuels conflits militaires». Le ministre de la Santé a annoncé un projet de loi pour l’été qui comblerait un vide juridique afin de préparer un «cas d’alliance militaire», c’est-à-dire une entrée en guerre directe de l’OTAN avec la Russie. «Après l’attaque criminelle de la Russie contre l’Ukraine, ce défi a malheureusement gagné en importance», a déclaré Lauterbach.

Dans le même temps, le politicien du SPD a clairement indiqué qu’avec un engagement militaire croissant, l’Allemagne devait se préparer à un grand nombre de victimes dans la population. «En cas de crise, chaque médecin, chaque hôpital, chaque autorité sanitaire doit savoir ce qu’il doit faire. Nous devons définir clairement les responsabilités, par exemple en ce qui concerne la répartition d’un grand nombre de blessés dans les hôpitaux allemands ».

«En cas de guerre, une grande partie du personnel des hôpitaux de la Bundeswehr [forces armées] travaillera principalement dans des centres médicaux de campagne. Les capacités des hôpitaux de la Bundeswehr ne suffiraient donc pas à elles seules à traiter le nombre de soldats blessés transportés en Allemagne sur une longue période», a déclaré Siemtje Möller (SPD), secrétaire d'État parlementaire au ministère de la Défense.

La «nouvelle ère» de la politique de santé s’inscrit dans le cadre des préparatifs actuels de guerre avec la Russie. Alors que le ministre de la Défense Boris Pistorius (SPD) a annoncé qu’il fallait à nouveau rendre l’Allemagne « bonne à la guerre» et qu’il menace ouvertement de faire la guerre à la Russie, les discussions fuitées de hauts responsables militaires allemands montrent à quel point les plans sont déjà avancés.

Il est significatif que le projet de loi du ministère de la Santé soit étroitement coordonné avec la Bundeswehr. Dans le même temps, le monde universitaire s’oriente lui aussi en fonction des besoins de l’armée. L’interdiction des «clauses civiles» pour les universités, doit permettre d’abolir la séparation stricte entre recherche civile et militaire.

Tout récemment, Lauterbach et le gouvernement ont procédé à des coupes massives dans les soins de santé. D’une part, le budget de la santé pour l’année en cours a été réduit au profit d’un financement supplémentaire de l’armement, de l’autre, les «réformes» hospitalières entraînent la fermeture d’un nombre sans précédent d’hôpitaux.

La pièce maîtresse de ces réformes est un nouveau système de rémunération censé soulager les hôpitaux de la pression économique. En réalité, pas un centime ne sera injecté dans les soins, ce qui ne fera qu’accroître la pression. Sous prétexte de vouloir réduire d’«importants déficits de qualité» par une plus grande spécialisation, ce sont de nouvelles coupes et fermetures dans le secteur hospitalier qui sont imposées.

Il y a peu, Lauterbach a une nouvelle fois souligné que pour le gouvernement il s’agissait de fermer des hôpitaux à grande échelle. «Il est tout à fait clair que nous avons une offre excédentaire d’hôpitaux», a-t-il déclaré. Dans les villes prétendument en «sur-offre», des taux d’occupation des lits de 50 à 70 pour cent n’étaient pas rares selon lui. «Nous n’avons pas le personnel nécessaire pour d’autres établissements. C’est pourquoi nous avons trop d’hôpitaux».

Le ministre de la Santé omet de préciser que l’extrême pénurie de personnel est due à des décennies de coupes budgétaires. Lors de la pandémie de coronavirus en particulier, le gouvernement a littéralement saigné à blanc hôpitaux et personnel. Selon une étude récente, la grande majorité des hôpitaux s’attendent à ce que la pénurie de personnel infirmier s’aggrave. Quatre-vingt-six pour cent des hôpitaux interrogés estiment que la situation en fait de personnel dans les services généraux va s’aggraver au cours des trois prochaines années.

C’est précisément la conclusion d’une étude publiée lundi dernier par le cabinet d’audit BDO et l’Institut allemand des hôpitaux (DKI), et communiquée à l’agence de presse DPA. «Les hôpitaux sont confrontés à de sombres perspectives dans un avenir proche», indique l’étude.

Sur le site web de la Fédération allemande des hôpitaux (initiales allemandes DKG) on peut voir une « horloge du déficit » indiquant un déficit de plus de 9,4 milliards d’euros. Pour 2024, 71 pour cent des hôpitaux allemands s’attendent à une nouvelle détérioration de leur situation financière. Et selon les prévisions, près d’un hôpital sur cinq en Allemagne pourrait fermer dans les dix prochaines années.

Depuis la fin de l’année 2022, plus de 40 hôpitaux ont déposé leur bilan, dont six au cours du seul mois de janvier. Quatre-vingts autres pourraient se retrouver en situation d’insolvabilité cette année. Le ministère de la Santé refuse d'accorder les aides dont le système a un besoin urgent afin d'accélérer le « changement structurel à froid ».

À la mi-février, le gouvernement national et les gouvernements des Länder ont réglé un différend sur la réforme des hôpitaux. Un accord a été conclu sur ce qu’on appelle la transparence des traitements hospitaliers. Il s’agit d’une étape préliminaire importante pour les réformes prévues et les coupes qui en découlent.

Bien qu’il s’agisse en apparence d’une liste publique de services, de nombres de cas traités et de personnels hospitaliers, l’accord jette en réalité les bases d'une réorganisation des hôpitaux en fonction de 'groupes de services' et de 'niveaux'. Cela signifie que plus de 300 d'entre eux seront probablement déclassés en centres ambulatoires et perdront ainsi leur statut d'hôpital.

Il est certain que les coûts entraînés par la réforme seront intégralement répercutés sur les travailleurs par le biais de l’augmentation des cotisations obligatoires à l’assurance maladie. Toutes les réserves accumulées dans ce domaine profiteront alors également aux plans de coupes.

S’exprimant dans le quotidien financier Handelsblatt, l’économiste Martin Werding a déclaré de manière provocatrice que l’utilisation des réserves pour investir dans les hôpitaux ne remplirait pas son objectif. Ces fonds devaient être utilisés pour la réorganisation structurelle prévue du paysage hospitalier, a-t-il déclaré, «y compris une réduction du nombre d'hôpitaux».

La réforme des services d’urgence annoncée en janvier vise également à réduire les services et le nombre d’hôpitaux.

Cette réforme a pour toile de fond les conditions insoutenables des services d’urgence, qui sont de plus en plus surchargés et doivent être transférés à l’avenir dans de nouveaux centres d’urgence dits intégrés. Il devrait y avoir un centre pour 400.000 habitants. Ces centres doivent également comprendre un cabinet d’urgence ambulatoire à proximité immédiate. En outre, la télémédecine et les soins de médecine générale le week-end sont appelés à jouer un rôle plus important.

Cette réforme a pour toile de fond les conditions insoutenables des services d’urgence, qui sont de plus en plus surchargés et doivent être transférés à l’avenir dans de nouveaux centres d’urgence dits intégrés. Il devrait y avoir un centre pour 400.000 habitants. Ces centres doivent également comprendre un cabinet d’urgence ambulatoire à proximité immédiate. En outre, la télémédecine et les soins de médecine générale le week-end sont appelés à jouer un rôle plus important.

Autrement dit, la surcharge des urgences doit carrément être compensée par un moins bon traitement des patients. Au lieu d’augmenter le personnel et le financement des services d’urgence, le projet sert de modèle à des restrictions et des fermetures nouvelles.

(Article paru en anglais le 12 mars 2024)

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