Les licenciements aux États-Unis ont atteint en février leur niveau le plus élevé depuis la Grande Récession de 2008

Dans cette photo d’archive du 18 mars 2019, le logo d’IBM apparaît au-dessus d’un poste de négociation sur le parquet de la Bourse de New York. IBM a annoncé le licenciement de près de 4.000 travailleurs. [AP Photo/Richard Drew, File]

Le nombre de licenciements annoncés aux États-Unis a atteint son niveau le plus élevé pour un mois de février depuis 2009, suite à la Grande Récession de 2008, selon un nouveau rapport sur l’emploi publié par Challenger, Gray & Christmas.

Les employeurs américains ont annoncé 84.638 licenciements le mois dernier, selon cette agence qui publie des rapports mensuels sur les licenciements. Cela représente 9 % de plus qu’à la même période en 2023. L’an dernier, les entreprises américaines ont supprimé plus de 721.000 emplois, soit près du double de l’année précédente.

Dans le même temps, le rapport indique que les entreprises ont annoncé leur intention d’embaucher seulement 10.317 travailleurs, ce qui porte le total pour les deux premiers mois de l’année au niveau le plus bas depuis que l’entreprise a commencé à suivre les chiffres en 2009.

Les licenciements collectifs sont le résultat de politiques délibérées, et non de ce que l’on appelle les «forces du marché». Sous l’impulsion de l’administration Biden et de la Réserve fédérale américaine, qui a relevé les taux d’intérêt au cours des deux dernières années dans le but explicite d’augmenter le chômage et de freiner la croissance extrêmement modeste des salaires, les entreprises américaines et mondiales tentent d’utiliser les suppressions massives d’emplois pour briser la résistance croissante de la classe ouvrière.

Cette opposition s’est exprimée dans l’augmentation continue des grèves l’année dernière, lorsque le nombre de travailleurs américains impliqués dans des arrêts de travail a quadruplé et que le nombre de grandes grèves a plus que doublé.

Cette année, l’une des principales armes du massacre perpétré dans l’emploi est la maturation des technologies d’automatisation et d’intelligence artificielle. Ces progrès, qui pourraient être utilisés pour alléger le fardeau du travail et répondre plus efficacement aux besoins de la société, sont au contraire utilisés par le capitalisme pour détruire des pans entiers de la main-d’œuvre. Selon une enquête réalisée en début d’année par ResumeBuilder.com, 38 % des chefs d’entreprise prédisent des suppressions d’emplois cette année dans leur secteur, 4 sur 10 citant l’IA comme facteur déterminant.

CNBC rapporte que mardi, IBM a annoncé à ses employés, lors d’une réunion de sept minutes, qu’elle supprimait la moitié des emplois de sa division marketing et communication. Ces suppressions interviennent après que la société de matériel informatique ait déclaré en décembre dernier qu’elle commencerait à «améliorer massivement les compétences» de sa main-d’œuvre dans le domaine de l’IA et qu’elle ait annoncé en août qu’elle prévoyait remplacer 8.000 travailleurs par des spécialistes de l’IA.

Et ce n’est pas qu’aux États-Unis. Dans le monde entier, des entreprises procèdent également à des suppressions d’emplois. Selon Bloomberg, l’entreprise chinoise LONGi Green Energy Technology Company, le plus grand fabricant de panneaux solaires au monde, a annoncé son intention de supprimer 30 % de ses 80.000 travailleurs, en réponse à la «surcapacité» et à l’intensification de la concurrence.

Ces réductions ont lieu alors que l’impérialisme américain s’efforce sans relâche d’exclure ses concurrents chinois du marché, avec notamment des mesures pour interdire la plateforme de médias sociaux TikTok, détenue par des Chinois, ou l’imposition de droits de douane élevés sur les véhicules électriques chinois, qui est en cours d’examen par le Congrès. Les deux partis de la grande entreprise aux États-Unis attisent le nationalisme antichinois afin de blâmer des «adversaires étrangers» pour les suppressions d’emplois effectuées par les entreprises américaines, le tout avec le soutien total de l’establishment politique.

Lorsque l’on compare d’une année à l’autre, les annonces de licenciements se sont multipliées en février dans plusieurs secteurs d’activité, ce qui montre que les attaques contre l’emploi s’étendent à des pans plus larges de l’économie. Les annonces de suppressions d’emplois dans l’industrie manufacturière ont ainsi été multipliées par 17 au cours des deux premiers mois de l’année, passant de 421 annonces en février 2023 à 7.806 cette année. Les licenciements dans le secteur des transports ont également été multipliés par cinq pour atteindre 14.148 pertes d’emploi.

Ces chiffres semblent largement dus aux licenciements massifs en cours dans l’industrie automobile et chez UPS, respectivement, à la suite des accords de capitulation signés par les bureaucraties syndicales des United Auto Workers et des Teamsters l’année dernière. Dans les deux cas, la bureaucratie syndicale a prétendu avoir obtenu des gains «historiques», avant que ne prennent place des licenciements collectifs quelques mois, voire quelques semaines plus tard, dont environ 8.000 dans l’industrie automobile et plus de 12.000 chez UPS.

Toutefois, le décompte de l’agence Challenger pour les travailleurs du secteur des transports ne semble pas inclure les dizaines de milliers d’emplois ciblés par le service postal des États-Unis dans le cadre d’un effort de restructuration massif. Ces suppressions sont effectuées sous le sceau du silence, avec le soutien total des syndicats des postes.

Les travailleurs sont poussés à lutter non seulement contre les mesures de licenciements des entreprises, mais aussi contre les agissements des bureaucrates syndicaux. Aux États-Unis, des centaines de licenciements effectués au début du mois dans l’usine Jeep de Stellantis à Toledo ont déclenché la prise de congés de maladie en masse de la part des travailleurs. Les intérimaires licenciés ont également manifesté devant le siège de l’UAW au centre-ville de Detroit, tenant le syndicat pour responsable des suppressions d’emplois auxquelles il ne fait rien pour s’opposer.

La lutte prend principalement la forme d’une opposition organisée croissante à la bureaucratie, avec la création de comités de base dans l’industrie automobile, chez UPS, parmi les éducateurs et autres travailleurs touchés par les suppressions d’emplois.

La transition vers les véhicules électriques (VE) est utilisée par l’industrie automobile mondiale qui a l’intention de supprimer des centaines de milliers d’emplois au cours des prochaines années. UPS pour sa part met en œuvre l’automatisation de ses opérations dans ses entrepôts, ce qui pourrait entraîner la suppression de 80 % de tous les emplois internes.

Grévistes bloquant l’entrée d’un camion à une usine d’assemblage Ford au Michigan

Selon le journal Crain’s, la startup Rivian, qui produit des VUS et des camionnettes électriques, a supprimé 100 emplois à son usine de Normal (Illinois) en réponse à la hausse des coûts de production et l’adoption plus lente que prévue des VE. L’entreprise a perdu 1,5 milliard de dollars au quatrième trimestre de l’année dernière.

L’attaque contre les emplois utilisant la technologie des VE est également bien avancée en Europe. En Allemagne, Ford et le syndicat IG Metall se sont entendus sur les conditions de fermeture de l’usine de la société à Saarlouis. Les licenciements à Saarlouis surviennent après qu’IG Metall et son homologue espagnol aient opposé les travailleurs allemands aux travailleurs espagnols d’une usine Ford à Valence dans le cadre d’une guerre d’offres de concessions visant à déterminer à quelle usine sera confiée la production d’un modèle de véhicule électrique.

Aux États-Unis, les entreprises du secteur de l’énergie ont également multiplié par dix les suppressions d’emplois, avec 4.486 suppressions d’emploi depuis le début de l’année. Les licenciements dans le secteur de l’éducation ont également été multipliés par près de 10 pour atteindre 6.336 suppressions d’emploi, l’administration Biden laissant tarir le financement fédéral prévu pour contrer les effets de la COVID-19, tandis que les autorités locales et étatiques réduisent leurs dépenses en enseignement public. Les suppressions d’emplois dans le secteur de la production alimentaire ont presque quadruplé pour atteindre 2.158 suppressions d’emploi.

Bien que le dernier rapport de l’agence Challenger ne précise pas le nombre d’emplois supprimés dans le secteur de la santé, c’était l’un des principaux domaines visés par les licenciements l’an dernier, en raison à la fois de la réduction des dépenses reliées à la COVID-19 et l’endettement massif résultant des fusions et acquisitions parasitaires réalisées par les grandes entreprises en soins de santé.

Toutefois, ce sont les réductions d’effectifs dans le secteur technologique qui continuent de prédominer, avec 12.412 licenciements annoncés le mois dernier et 28.212 depuis le début de l’année. Un décompte distinct effectué par le site Web Layoffs.fyi révèle des chiffres encore plus élevés, avec 209 entreprises technologiques ayant supprimé 50.312 emplois depuis le début de l’année. Selon le site Web, c’est plus de 260.000 emplois qui ont été supprimés dans le secteur technologique l’an dernier.

Il s’agit des suppressions d’emplois les plus importantes à survenir parmi les travailleurs du secteur technologique depuis une génération, c’est-à-dire depuis l’éclatement de la bulle Internet au début du siècle, selon un rapport de CNBC qui décrit la présence d’un «sentiment de malheur imminent» dans l’industrie. «La situation est particulièrement déconcertante pour les développeurs de logiciels et les scientifiques des données qui, il y a quelques années à peine, possédaient certaines des compétences les plus commercialisables et les plus appréciées de la planète, et qui se demandent maintenant s’ils ne devraient pas quitter ce secteur pour trouver un autre emploi», déclare le média économique.

Les travailleurs licenciés qui ont parlé à CNBC décrivent une situation où il y a des centaines de candidats par offre d’emploi, avec des dizaines de milliers provenant de grandes entreprises prestigieuses telles que Google, qui a supprimé plus de 12.000 emplois, et qui sont maintenant à la rue et incapables de trouver du travail.

Pendant ce temps, les entreprises se tournent à une vitesse fulgurante vers l’utilisation de l’intelligence artificielle, et les salaires des ingénieurs principaux en IA ont grimpé à plus de 190.000 dollars. Mais même pour les emplois liés à l’intelligence artificielle, les candidats sont «en concurrence avec des personnes qui ont six, sept ou huit ans d’expérience pour le même poste», déclare un travailleur à CNBC.

Les détaillants ont également continué à annoncer des réductions importantes et des fermetures de magasins, après l’annonce la semaine dernière par Dollar Tree de la fermeture de 1.000 succursales et l’annonce le mois dernier par Macy’s de la suppression de 150 de ses magasins.

Le détaillant de produits technologiques Best Buy annonçait de son côté la semaine dernière qu’il fermerait d’autres magasins, après en avoir déjà fermé 24 l’an dernier. Selon l’entreprise, de 10 à 15 magasins devraient être fermés cette année. La chaîne de pharmacies Walgreen’s a annoncé la fermeture de deux centres de distribution et la suppression de plus de 600 emplois dans le Connecticut et à Orlando, rapportait Newsweek lundi.

Le rôle de la bureaucratie syndicale est déterminant pour permettre aux entreprises de procéder à ces suppressions sans rencontrer d’opposition organisée importante. Elle constitue également une division essentielle de la politique gouvernementale, notamment en préparant la classe ouvrière américaine à la guerre. Le président de l’UAW, Shawn Fain, a fait plusieurs apparitions publiques aux côtés du président Biden, le protégeant des manifestants opposés au soutien du président démocrate au génocide israélien à Gaza ou en les faisant taire.

La dernière apparition de Shawn Fain en date a été lors du discours sur l’état de l’Union, où il a été invité et ovationné en tant que «grand dirigeant syndical et grand ami». Le discours belliciste du président a souligné la dépendance de son administration à l’égard de la bureaucratie syndicale, non seulement quand vient le temps d’imposer des suppressions d’emplois et réduire les salaires, mais aussi pour forcer les travailleurs à se sacrifier pour des guerres prenant de l’expansion et qui sont profondément impopulaires.

Des billions de dollars sont détournés de la classe ouvrière sous forme de licenciements, de réductions de salaires et d’accélération des préparatifs de guerre. Bien que les États-Unis soient au centre de ce processus, celui-ci se déroule également dans tous les pays impérialistes. En Allemagne, des réductions en dépenses sociales s’élevant à des dizaines de milliards d’euros ont été approuvées dans le dernier budget, tandis que les dépenses militaires ne cessent d’augmenter. L’impérialisme allemand est fortement investi dans la guerre en Ukraine, site de certaines des pires atrocités nazies perpétrées pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Tout cela provoque néanmoins une opposition de masse. La semaine dernière, l’Allemagne a connu une série de grèves menées à l’échelle nationale, mobilisant les travailleurs des chemins de fer, des transports publics et des compagnies aériennes – une mobilisation que la bureaucratie syndicale tente d’embourber dans les processus arbitrage.

Jerry White, le candidat du Parti de l’égalité socialiste (É.-U.) à la vice-présidence des États-Unis, a dénoncé les suppressions d’emplois dans un message publié sur X (Twitter), présentant du même coup le programme du SEP pour défendre les emplois.

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Le texte se lit en partie comme suit:

L’appauvrissement de la classe ouvrière est une politique délibérée de lutte des classes, pleinement soutenue par l’administration Biden et les deux partis contrôlés par la grande entreprise. Joseph Kishore, le candidat du Parti de l’égalité socialiste à la présidence des États-Unis, et moi-même insistons sur le fait qu’un emploi sûr et bien rémunéré est le droit le plus fondamental de chaque travailleur. Pour protéger la classe ouvrière de la ruine économique et de tous les dangers associés à la pauvreté – itinérance, familles brisées, toxicomanie, suicide – nous exigeons les mesures d’urgence suivantes pour garantir un emploi et un revenu entier à tous les travailleurs.

- Pour une échelle mobile des heures de travail et des salaires! Si les nouvelles technologies permettent aux travailleurs de produire des marchandises en moins de temps, il faut réduire fortement le temps de travail et répartir le travail disponible entre les travailleurs tout en augmentant les salaires. Les salaires doivent être indexés sur le coût réel de la vie afin que les travailleurs puissent se procurer les produits de première nécessité, y compris les produits alimentaires qui coûtent 25 % de plus aujourd’hui qu’en 2020.

- Pour la transformation socialiste de l’économie! Si le capitalisme est incapable de garantir l’emploi et un niveau de vie décent à tous les travailleurs – et il a prouvé qu’il ne le pouvait pas – alors le système de profit doit être aboli. Le PES demande que les conglomérats géants soient transformés en services publics, détenus collectivement et contrôlés démocratiquement par la classe ouvrière, dans le cadre de la transformation socialiste de l’économie américaine et mondiale.

Dans chaque usine et sur chaque lieu de travail, les travailleurs doivent organiser des comités de base, indépendamment de la bureaucratie syndicale, afin de mener leurs grèves et adopter des mesures pour défendre les emplois. En opposition au chauvinisme antichinois, au nationalisme économique et au bellicisme des partis du grand patronat et de la bureaucratie syndicale, le PES se bat pour que les travailleurs coordonnent leurs luttes contre les entreprises mondiales grâce à l’expansion de l’Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC).

(Article paru en anglais le 19 mars 2024)

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