Les États-Unis et le Japon renforcent leur pacte militaire contre la Chine

Des Marines américains du 1st Marine Aircraft Wing lors d'une cérémonie de passation de commandement à Futenma, Okinawa, Japon, 12 août 2022. [Photo: Navy Petty Officer 2nd Class Keith Nowak]

Un article de premier plan du Financial Times (FT) rapporte lundi que les États-Unis et le Japon «prévoient la plus forte amélioration de leur alliance de sécurité depuis qu’ils ont signé un traité de défense mutuelle en 1960». Le renforcement de ce pacte en vue d’une guerre menée par les États-Unis contre la Chine devrait être annoncé, selon le FT, lorsque le président américain Joe Biden accueillera le premier ministre japonais Fumio Kishida à la Maison-Blanche le 10 avril.

L’article, qui s’appuie sur des sources multiples, explique que ces changements permettront de «restructurer le commandement militaire américain au Japon afin de renforcer la planification opérationnelle et les exercices entre les deux nations». Actuellement, l’armée japonaise est obligée de communiquer avec le commandement américain indo-pacifique basé à Hawaï, à 6.200 km de distance et dans un fuseau horaire situé à 19 heures de Tokyo.

Le Japon accueille le plus grand contingent américain de tous les pays du monde hors États-Unis. Environ 55.000 membres du personnel américain de toutes les branches de l’armée – armée de terre, marines, marine et armée de l’air – sont hébergés dans des bases permanentes réparties sur l’ensemble du territoire. La plus grande concentration de bases se trouve à Okinawa, où l’occupation militaire américaine s’est poursuivie jusqu’à sa restitution officielle au Japon en 1972.

Le Japon est au cœur des plans de guerre du Pentagone, les États-Unis ayant intensifié leur confrontation agressive avec la Chine au cours de la dernière décennie. Dans le même temps, les gouvernements japonais de droite se sont saisi de l’occasion pour saper les restrictions imposées à l’armée – appelée ‘Forces d’autodéfense’ – par la constitution de l’après-Seconde Guerre mondiale, et pour développer rapidement leurs forces armées.

En décembre, le gouvernement Kishida a annoncé le doublement des dépenses militaires et, pour la première fois, il acquiert ouvertement des armes offensives, notamment en achetant des missiles de croisière tels que le Tomahawk de Lockheed Martin et le Joint Air-to-Surface Standoff Missile (JASSM). Le Japon prévoit également de produire ses propres avions de combat de pointe en collaboration avec le Royaume-Uni et l’Italie, en plus des chasseurs F-35 achetés aux États-Unis.

Le gouvernement japonais s’est opposé à la Chine non seulement en raison de ses propres différends territoriaux avec Pékin en mer de Chine orientale mais il s’est encore et surtout aligné sur les États-Unis pour provoquer Pékin au sujet du statut de Taïwan. Comme Washington, Tokyo a cherché à saper la politique d’une seule Chine – qui reconnaît Taïwan comme une partie de la Chine – en renforçant les liens politiques avec Taipei.

Principales bases militaires américaines au Japon [Photo by Wikipedia / CC BY 3.0]

En décembre, le lieutenant général à la retraite Koichiro Bansho a déclaré qu’en cas de conflit militaire avec la Chine au sujet de Taïwan, le Japon jouerait un rôle central dans l’acheminement des armes vers l’île, à l’instar de la Pologne dans la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Il a également préconisé d’autoriser l’armée américaine à stationner des armes nucléaires au Japon, renonçant ainsi ouvertement à la politique non nucléaire adoptée après le largage par les États-Unis en 1945 de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

Washington et Tokyo ont déjà pris des mesures importantes pour préparer la guerre contre la Chine, en surmontant l’hostilité de longue date entre le Japon et la Corée du Sud, pour conclure un accord d’échange de renseignements en temps réel. En janvier 2023, le Japon et les États-Unis ont annoncé un renforcement significatif de leur alliance militaire avec la refonte d’un régiment de marines en unité littorale – une unité qualifiée de plus létale, plus agile, plus capable et plus axée sur la guerre insulaire dans les mers de Chine orientale et méridionale.

Les plans révélés par le FT visent à un renforcement du commandement et du contrôle opérationnels par le commandant des forces américaines au Japon (initiales anglaises USFJ). Ils soulignent le fait que le Pentagone se prépare à une guerre avec la Chine dans l’immédiat, et non pas dans plusieurs années. Les conflits entre grandes puissances impliquant des armes de pointe, dont les armes nucléaires, nécessitent évidemment une coordination en temps réel des plus étroites. En complément d’une coopération plus étroite avec les États-Unis, l’armée japonaise mettra également en place l’an prochain un «commandement des opérations conjointes» afin d’améliorer la coordination entre les branches de ses propres Forces d’autodéfense.

Le FT cite les commentaires de l’ancien chef du commandement indo-pacifique, l’amiral Philip Davidson, qui indique clairement que ces changements ont été préparés bien à l’avance. Après avoir salué la remilitarisation du Japon comme «l’évolution la plus positive de ce siècle en matière de sécurité en Asie de l’Est», il a déclaré: «la reconnaissance de la convergence des stratégies de défense de nos deux nations fait de l’amélioration de notre commandement et de notre contrôle quotidiens la prochaine étape logique ».

Ryoichi Oriki, ancien chef d’état-major interarmées de l’armée japonaise, a déclaré au FT qu’il n’était pas pratique de devoir se coordonner avec le commandement indo-pacifique à Hawaï plutôt qu’avec le commandant de l’USFJ, son homologue au quotidien. Tokyo estime qu’il est urgent d’envoyer un officier américain de plus haut rang au Japon, car le pays joue un rôle accru en matière de défense régionale.

«Cela envoie un signal stratégique fort à la Chine et à la Corée du Nord et il est important, du point de vue de la dissuasion, de dire que les États-Unis vont renforcer la structure de commandement au Japon», a expliqué Oriki au FT.

Les modifications du pacte militaire commun devant être officiellement annoncées le mois prochain susciteront très certainement une opposition populaire. Le traité de sécurité américano-japonais de 1960, qui permettait aux États-Unis d’établir des bases militaires permanentes au Japon, avait provoqué des manifestations massives, connues sous le nom de protestations ou de lutte Anpo.

En juin 1960, alors que le gouvernement du Premier ministre Nobusuke Kishi, se préparait à faire ratifier le traité par le parlement japonais, des centaines de milliers de manifestants ont encerclé le bâtiment pratiquement tous les jours. Des manifestations de masse ont également eu lieu autour de l’ambassade des États-Unis et de la résidence officielle du premier ministre. Trois grèves générales d’un jour ont eu lieu dans tout le pays, impliquant des millions de travailleurs, et des dizaines de milliers d’entreprises ont été fermées en signe de sympathie. Un voyage prévu du président américain Eisenhower au Japon a été annulé et, après la ratification du traité, Kishi a démissionné.

Ces manifestations reflétaient le sentiment anti-guerre largement répandu, en particulier parmi les travailleurs et les jeunes, après la fin du régime militariste de l’époque de la guerre, dont Kishi avait fait partie, et qui avait brutalement réprimé toute opposition. En 2015, de grandes manifestations ont également eu lieu pour s’opposer à la législation du gouvernement de Shinzo Abe, petit-fils et admirateur de Kishi, qui visait à «réinterpréter» la constitution pour permettre la «légitime défense collective», c’est-à-dire la participation du Japon aux guerres d’agression des États-Unis.

Déjà engagé dans une guerre contre la Russie en Ukraine et soutenant l’attaque génocidaire d’Israël à Gaza, l’impérialisme américain accélère sa guerre contre une Chine que Washington considère comme la principale menace à son hégémonie mondiale. La refonte du traité de sécurité américano-japonais est un élément clé de ses plans militaristes dans la région indo-pacifique.

(Article paru en anglais le 25 mars 2024)

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