Le président américain Joseph Biden a eu un long entretien téléphonique avec le président chinois, Xi Jinping mardi. Les deux parties l’ont qualifié, dans le langage anodin de la diplomatie, de «franc et constructif». En réalité, rien n’a été résolu, puisque Biden, qui avait sollicité cet appel, a réaffirmé les éléments clés de la confrontation économique et stratégique entre Washington et Pékin.
Taïwan se profile comme un point d’ignition majeur avec l’investiture le 20 mai dernier de William Lai Ching-te, partisan de l’indépendance de Taïwan, en tant que nouveau président de l’île. Le gouvernement Biden a délibérément attisé les tensions à propos de Taïwan, mettant à mal la politique d’une seule Chine en vertu de laquelle les États-Unis reconnaissent de facto Pékin comme le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan. La Chine a averti à plusieurs reprises qu’elle réunirait de force l’île avec le continent chinois si Taïwan déclarait officiellement son indépendance.
Selon le compte rendu de l’appel téléphonique par le ministère chinois des Affaires étrangères, Biden a assuré à Xi que les États-Unis ne soutenaient pas «l’indépendance de Taïwan», qu’ils suivaient la politique d’une seule Chine et qu’ils ne cherchaient pas le conflit avec la Chine. En outre, l’objectif de Washington n’était pas de «changer le système chinois» et les alliances américaines n’étaient pas dirigées contre la Chine.
À Pékin, on ne croira pas un mot de tout cela. Le gouvernement Biden a mis fin à des protocoles diplomatiques de longue date limitant les contacts officiels des États-Unis avec Taipei, augmenté la fourniture et la vente d’armes à Taïwan et stationné des «formateurs» militaires américains à Taïwan, y compris sur des îlots situés à quelques kilomètres seulement du continent chinois.
De manière plus générale, les États-Unis ont renforcé leurs alliances militaires, encouragé une plus grande présence de l’OTAN et multiplié les jeux de guerre conjoints dans toute la région indo-pacifique, le tout dirigé contre la Chine. Biden doit d’ailleurs rencontrer la semaine prochaine à la Maison-Blanche le président philippin Ferdinand Marcos Jr. et le Premier ministre japonais, Fumio Kishida dans le but de renforcer les liens militaires entre les trois alliés.
Xi a souligné le caractère potentiellement explosif de la «question de Taïwan», qui constituait «la première ligne rouge à ne pas franchir dans les relations entre la Chine et les États-Unis». Selon le ministère chinois des Affaires étrangères, Xi a lancé un franc avertissement. «Devant les activités séparatistes visant à l’indépendance de Taïwan et aux encouragements et soutiens extérieurs dont elles bénéficient, la Chine ne va pas rester les bras croisés», déclare le ministère. «Il [Xi] a exhorté les États-Unis à traduire en actions concrètes l’engagement pris par le président Biden de ne pas soutenir l’indépendance de Taïwan.
Le compte-rendu américain de l’appel téléphonique, bien que peu détaillé, réitère «l’importance du maintien de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taiwan et de l’État de droit et de la liberté de navigation en mer de Chine méridionale». Autrement dit, Biden n’a fait aucune tentative significative pour désamorcer le problème, qui a également été enflammé par les provocations de la marine américaine dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale, sous prétexte de «liberté de navigation».
Dans le même temps, Biden a fait part de ses inquiétudes quant au soutien que la Chine apporterait à la base industrielle de défense de la Russie, ce qui laisse entrevoir l’une des raisons possibles de la demande d’appel téléphonique. Déjà embarqué dans un conflit avec une Russie puissance nucléaire en Ukraine et soutenant la guerre génocidaire d’Israël à Gaza, Joe Biden pourrait bien chercher à éviter, du moins temporairement, un conflit ouvert avec la Chine, alors qu’il se dirige vers les élections américaines.
Dans une démonstration flagrante d’hypocrisie, Biden a fait part de ses «préoccupations constantes» concernant les «politiques commerciales déloyales et les pratiques économiques non marchandes de la Chine, qui nuisent aux travailleurs et aux familles américaines». Il a également souligné que son gouvernement «continuerait à prendre les mesures nécessaires pour empêcher que des technologies américaines de pointe ne soient utilisées pour porter atteinte à notre sécurité nationale, sans limiter indûment le commerce et les investissements».
Tout en condamnant la Chine pour la production de biens compétitifs par rapport aux produits américains, dont les véhicules électriques, le gouvernement Biden a maintenu les droits de douane protectionnistes massifs du gouvernement Trump sur un large éventail d’articles fabriqués en Chine. Sous prétexte de «sécurité nationale», Washington a également imposé des interdictions de plus en plus vastes sur l’exportation d’articles de haute technologie vers la Chine, en particulier les puces informatiques de pointe et l’équipement pour les fabriquer, dans le but de paralyser les entreprises chinoises y étant liées.
La Chambre des représentants des États-Unis a récemment adopté une loi à l’encontre de la société chinoise ByteDance, lui donnant six mois pour vendre son application de réseaux sociaux TikTok à un consortium américain, faute de quoi celle-ci serait interdite sur le territoire américain pour des raisons fallacieuses de sécurité nationale. Biden a indiqué qu’il était prêt à signer un tel projet de loi.
Xi a averti que les États-Unis avaient adopté une série de mesures visant à réprimer le commerce et le développement technologique de la Chine et qu’ils ajoutaient de plus en plus d’entités chinoises à leurs listes de sanctions. «Ce n’est pas de la ‘‘réduction de risques’’ mais de la création de risques», a-t-il averti.
Les propos de Biden précèdent le voyage en Chine de la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen qui, selon un responsable du Trésor, prévoit d’avoir des «discussions franches» sur ce que le gouvernement américain considère comme des pratiques commerciales chinoises «déloyales». Yellen a mis en garde contre le danger d’une «surcapacité» manufacturière chinoise – en d’autres termes contre la capacité des entreprises chinoises à exporter des produits bon marché et compétitifs.
S’adressant à la BBC, Robert Daly, directeur de l’Institut Kissinger sur la Chine et les États-Unis du Wilson Center, a résumé l’appel téléphonique entre Biden et Xi comme étant «largement un acte de représentation et une tentative de montrer au reste du monde que ces pays sont effectivement attachés à bien gérer leurs relations, même si la dynamique négative de ces relations n’a pas changé».
Cet appel téléphonique fait suite au sommet de novembre entre Biden et Xi, en marge de la réunion annuelle de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à San Francisco. Cette rencontre avait rétabli les contacts au plus haut niveau entre les États-Unis et la Chine après les vives tensions ayant éclaté suite à l’abattage par les États-Unis d’un ballon chinois qui avait dérivé au-dessus des États-Unis. Le sommet n’avait toutefois débouché que sur très peu de mesures tangibles visant à apaiser les relations.
Ces démonstrations de coopération ne sont qu’une façade éphémère. Non seulement la «dynamique négative» n’a pas changé, mais elle devient de plus en plus dangereuse. Quelles que soient les raisons ayant poussé Biden à demander à parler avec Xi au téléphone, et quelles que soient les rebondissements immédiats dans les relations avec Pékin, l’impérialisme américain est déterminé à écraser par tous les moyens disponibles, y compris militaires, la menace que l’expansion économique de la Chine fait peser sur l’hégémonie mondiale des États-Unis.
(Article paru en anglais le 5 avril 2024)