Des dizaines de manifestants réclamant la fin des échanges commerciaux entre la Turquie et Israël violemment arrêtés à Istanbul

Samedi 6 avril, la police a arrêté 43 personnes, les frappant et les menottant, lors d’une marche organisée par le groupe «Mille jeunes pour la Palestine» dans la rue İstiklal, dans le centre d’Istanbul. La marche protestait contre le génocide à Gaza et la poursuite des échanges commerciaux entre la Turquie et Israël. Une marche de protestation a également été organisée à Konya avec les slogans «Meurtrier Israël, Collaborateur AKP».

Des membres du groupe «Mille jeunes pour la Palestine» avaient déjà protesté, lors de rassemblements électoraux pour le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdoğan, contre des échanges commerciaux qui alimentent la machine de guerre israélienne et avaient été violemment arrêtés par la police.

Des partisans des Palestiniens de Gaza manifestent à Istanbul, en Turquie, le vendredi 5 avril 2024. [AP Photo/Khalil Hamra]

Dans une déclaration sur X/Twitter, le groupe a partagé des images de la détention et des mauvais traitements infligés, affirmant que la police turque se comportait comme les soldats israéliens. «Nos amis qui ont été battus et détenus avec des menottes dans le dos sont toujours torturés même si leurs mains sont attachées à l’intérieur du véhicule! Ni les entreprises que vous protégez ni la violence d’État qui les sert ne peuvent nous intimider. #StopTradewithIsrael».

La demande de suspension du commerce avec Israël a été constamment rejetée et ignorée par le gouvernement. En Turquie, où la majorité de la population a des sentiments anti-impérialistes et antisionistes, le maintien des liens diplomatiques et économiques du gouvernement avec Israël en plein génocide à Gaza a provoqué l’indignation. Cette opposition a contribué à faire perdre des millions de voix à l’AKP d’Erdogan lors des élections du 31 mars.

La première réaction du gouvernement après le 7 octobre a été celle de la prudence et de la retenue. Il a appelé à un cessez-le-feu et à des négociations entre l’État israélien et le Hamas comme s’ils étaient des acteurs égaux. La Turquie s’inquiète de l’escalade de la guerre, car une guerre régionale impliquant l’Iran nuirait à ses propres intérêts.

Le renforcement militaire américain à grande échelle au Moyen-Orient sous prétexte de la guerre à Gaza faisait partie des préparatifs de l’impérialisme américain en vue d’une guerre contre l’Iran et ses alliés, afin d’assurer sa domination sur le Moyen-Orient. Les provocations en vue d’une guerre contre l’Iran se sont intensifiées la semaine dernière lorsqu’Israël a attaqué l’ambassade iranienne en Syrie, qui est territoire iranien en vertu du droit international.

Le World Socialist Web Site avait précédemment analysé ainsi les préoccupations de la Turquie concernant les préparatifs de guerre contre l’Iran:

« La Turquie abrite un certain nombre de bases américaines et de l’OTAN, notamment la base aérienne d’Incirlik à Adana et la base radar de Kürecik à Malatya. En cas de guerre entre les États-Unis et l’Iran, ces bases pourraient devenir des points chauds.

La Turquie et l’Iran partagent également la question kurde. La bourgeoisie turque craint qu’une victoire de Washington et de Tel-Aviv dans une guerre au Moyen-Orient ne conduise à la création d’un État kurde. Au cours de la guerre de changement de régime menée par l’OTAN contre le président syrien Bachar el-Assad, les nationalistes kurdes sont devenus la principale force par procuration de Washington ».

Mais l’ampleur génocidaire des attaques israéliennes a provoqué la colère de millions de personnes en Turquie et dans le monde. Trois semaines après le début des attaques, Erdogan a commencé à condamner Israël en termes plus durs, critiquant les alliés de l’OTAN et exprimant son soutien au Hamas.

Il est cependant évident à présent que la réponse rhétorique d’Erdogan et la fausse campagne de boycott l’accompagnant ne visaient pas Israël, mais servait à étouffer la colère de l’opinion publique. Même lorsqu’Erdoğan condamnait Israël, il proclamait son désaccord avec le gouvernement Netanyahou, et non avec l’État d’Israël, produit d’un projet sioniste vieux de 75 ans.

Les révélations du journaliste Metin Cihan sur les échanges commerciaux de la Turquie avec Israël pendant le génocide ont confirmé l’hypocrisie du gouvernement. Cihan s’est appuyé sur des statistiques officielles et des sites web consacrés au trafic maritime, qui sont tous accessibles au public. Les échanges commerciaux entre Israël et la Turquie ont atteint 2,5 milliards de dollars pendant les cinq mois de guerre contre les Palestiniens. Selon l’Institut statistique turc, les exportations vers Israël ont augmenté de 27 pour cent et les importations en provenance d’Israël de 18 pour cent en février.

Des documents officiels montrent que des fournitures essentielles, telles que l’acier et le pétrole, qui alimentent la machine de guerre de Tel-Aviv, proviennent de Turquie. Israël importe 65 pour cent de son acier de Turquie. Le pétrole azerbaïdjanais, d’une importance vitale, est acheminé vers Israël via des ports turcs. Le ciment, les produits chimiques, et même la poudre à canon, le fil barbelé et les pièces d’armes sont également expédiés par les ports turcs.

Les acheteurs de nombreux produits se sont révélés être des fournisseurs travaillant directement avec l’armée israélienne. Un nombre important d’exportateurs et de sociétés de logistique turcs appartiennent à des personnes proches du gouvernement. Même la société de transport maritime appartenant au fils d’Erdogan s’est avérée avoir effectué des livraisons en provenance d’Israël après le 7 octobre. Enfin, il a été révélé que des mines appartenant à l’État envoyaient du minerai de bore en Israël.

Tout cela a démasqué Erdoğan comme politicien pro-impérialiste et pro-sioniste avant les élections municipales de cette année où l’AKP n’a pas réussi à remporter la première place pour la première fois depuis 2002. Outre l’augmentation du coût de la vie, la position hypocrite du gouvernement sur le génocide israélien à Gaza a été l’une des principales raisons de son importante défaite aux élections locales.

Le parti islamiste Nouveau parti de la prospérité (initiales turques YRP) a été le seul à tirer parti de la colère suscitée par le génocide de Gaza. Faisant campagne sur les revendications d’augmentation des salaires des travailleurs et des retraités et de réduction des échanges commerciaux avec Israël, le YRP est devenu le troisième parti le plus important, passant de 2,8 pour cent à 6,2 pour cent des voix.

Quelques jours avant les élections, le chef du parti, Fatih Erbakan, a posé comme conditions au soutien du candidat de l’AKP à Istanbul: «Si le gouvernement déclare qu’il met fin au commerce avec Israël, qu’il réduit les exportations vers Israël, qu’il ferme la base radar [de l’OTAN] de Kürecik à Malatya, qui a été créée pour protéger Israël, et qu’il augmente les pensions à 20.000 livres turques [575 euros] nous sommes prêts à retirer notre candidat d’Istanbul aujourd’hui».

La critique du YRP à l’égard du gouvernement est une manœuvre hypocrite. Lors des élections présidentielles et législatives de 2023, le YRP a soutenu l’Alliance populaire dirigée par Erdogan. En outre, l’ex-Premier ministre Necmettin Erbakan, dont le YRP perpétue l’héritage, a établi des liens étroits avec Israël pendant son mandat, reniant toutes ses promesses antérieures.

Pour quelle raison le gouvernement Erdogan continue-t-il de commercer avec Israël? De nombreux commentateurs l’attribuent au fait que l’économie turque est en crise et au bord de l’effondrement, avec une inflation réelle de 125 pour cent. Mais la véritable raison réside dans les liens étroits qu’entretient la classe dirigeante turque avec l’impérialisme.

La politique traditionnelle, qu’Erdogan a largement maintenue depuis 2002, consiste à manœuvrer entre les sentiments pro-palestiniens du peuple et le caractère pro-impérialiste et pro-sioniste de la classe dirigeante. En Turquie, premier pays à majorité musulmane à reconnaître la création d’Israël en 1948, l’élite dirigeante a, au cours des décennies suivantes, condamné de manière rhétorique les crimes d’Israël, mais elle a essentiellement agi en accord avec la politique destructrice des États-Unis et d’Israël au Moyen-Orient.

C’est pourquoi Erdogan et le Parti républicain du peuple (CHP) kémaliste d’opposition ont approuvé l’adhésion de la Suède à l’OTAN, alors que le génocide israélien se poursuit à Gaza avec le soutien des forces de l’OTAN dirigées par les États-Unis.

La classe dirigeante et l’establishment politique turcs ont révélé leur complicité avec le génocide lancé contre les Palestiniens et une guerre impérialiste contre l’Iran qui pourrait impliquer tout le Moyen-Orient.

La violente terreur d’État contre «Mille jeunes pour la Palestine» montre que la lutte contre le génocide et la guerre ne peut être menée en lançant des appels aux gouvernements capitalistes. Comme l’a écrit dans une déclaration le Groupe de l’égalité socialiste, seule tendance politique de gauche à avoir placé la lutte contre le génocide à Gaza au centre de sa campagne pour les municipales : «la lutte contre le génocide et la guerre doit être menée par la classe ouvrière internationale et dirigée contre leur cause, le capitalisme et l’impérialisme».

(Article paru en anglais le 8 avril 2024)

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