Le procès pénal de l’ex-président Donald Trump, accusé d’avoir versé des pots-de-vin à l’actrice pornographique Stormy Daniels s’est ouvert lundi à Manhattan. Le juge Juan Merchan a rendu une série de décisions procédurales, suivies de l’interrogatoire des premiers jurés potentiels, dans ce qui devrait être un processus long et controversé de sélection du jury.
L’affaire new-yorkaise, portée par le procureur de Manhattan Alvin Bragg, est une diversion par rapport aux questions politiques capitales soulevées par les quatre années passées par Trump à la Maison-Blanche et les trois années suivantes au cours desquelles il a comploté et préparé son retour au pouvoir.
Elle n’est en rien liée aux véritables crimes de Trump, en particulier à son rôle central dans la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021, lorsque ses partisans ont attaqué le Capitole des États-Unis, bloqué la certification par le Congrès de l’élection présidentielle de 2020 remportée par le démocrate Joe Biden, et cherché à maintenir Trump à la présidence en dépit de sa répudiation par le peuple américain.
La relation sexuelle entre Trump et Daniels n’est pertinente que pour sa femme et sa famille. L’argent versé à Daniels pendant la campagne électorale de 2016 pour l’empêcher de vendre son histoire aux médias n’est pas non plus d’un grand intérêt. La manière dont les fonds ont été acheminés de Trump à Daniels par l’intermédiaire de son homme de main, Michael Cohen, constitue tout au plus une violation technique des lois électorales fédérales, qui serait normalement réglée par le paiement d’une amende.
En ce qui concerne la législation de l’État, le dépôt de faux rapports d’activité, présentant l’argent versé à Cohen comme des paiements pour des services juridiques, n’est qu’un délit mineur, et le délai de prescription a expiré depuis longtemps. Le procureur Bragg a toutefois transformé le délit en crime en alléguant que les faux rapports constituaient un élément d’un complot qui visait à violer la loi fédérale, bien qu’aucun procureur fédéral n’ait choisi d’intenter une telle action. Il a inculpé séparément chacun des 34 faux rapports comme un crime de quatre ans, avec un maximum combiné de 20 ans de prison en cas de condamnation.
La teneur de l’affaire et le moment choisi sont clairement calculés pour avantager le Parti démocrate lors des élections de 2024, au moins en partie en confinant Trump dans la salle d’audience de Manhattan, loin de sa propre campagne présidentielle, chaque jour du procès, qui devrait durer de nombreuses semaines. Ce calcul politique pourrait bien être totalement erroné. Il est certain qu’au cours de l’année écoulée, Trump s’est servi du caractère manifestement concocté et politiquement motivé de l’affaire pénale de Manhattan pour affirmer que toutes les autres accusations portées contre lui – en particulier celles liées au 6 janvier et à d’autres efforts visant à renverser les résultats des élections de 2020 – sont tout aussi bidon.
Seul le Parti démocrate a pu donner à Trump l’occasion de se poser en victime d’une machination politique et de le faire avec une once de crédibilité. Cette attitude est à l’image de celle des démocrates depuis l’entrée de Trump à la Maison-Blanche, qui ont évité toutes les questions démocratiques fondamentales soulevées par la transformation du Parti républicain, sous les auspices de Trump, en une formation politique de plus en plus fascisante.
Les désaccords des démocrates avec Trump tournent largement autour de la politique étrangère, en particulier sur l’utilisation de l’Ukraine comme fer de lance politique et militaire contre la Russie. Cela remonte au coup d’État de Maïdan en 2014, sous le gouvernement Obama-Biden, qui a évincé un président pro-russe élu et installé à Kiev un régime de droite virulemment anti-russe, soutenu par des groupes fascistes et néonazis.
L’enquête Mueller, fondée sur de fausses allégations d’ingérence généralisée de la Russie dans les élections américaines de 2016, et la première destitution de Trump, fondée sur sa rétention temporaire de l’aide militaire américaine à l’Ukraine, étaient deux exemples de cet affrontement sur la politique étrangère. Aujourd’hui, la question centrale dans le Washington officiel est de savoir comment faire passer une nouvelle aide militaire d’urgence de 60 milliards de dollars à l’Ukraine, malgré l’opposition d’une partie des républicains de la Chambre des représentants.
Rien de cette réalité politique n’est reconnu dans la couverture du procès Trump par les grands médias. Au lieu de cela, on assiste à des commentaires sur le caractère «historique» du tout premier procès pénal d’un ancien président.
La question évidente – jamais exprimée bien sûr dans les journaux télévisés – est de savoir pourquoi Trump devrait être le premier. Tous les ex-présidents de mémoire d’homme auraient dû faire l’objet de poursuites pénales pour des faits tels que l’approbation de meurtres de masse, la conduite de guerres illégales, le soutien à des coups d’État militaires, l’autorisation de la torture et l’espionnage du monde entier, y compris des citoyens américains. Mais ces actions, commises pour défendre les intérêts mondiaux de l’élite dirigeante américaine, ne sont pas considérées comme des crimes par le système judiciaire américain.
Et maintenant, Trump, qui en tant que président a séparé des milliers d’enfants migrants de leurs parents, brisant irrémédiablement de nombreuses familles, qui incite ouvertement à la violence fasciste contre les opposants politiques, et qui était le premier président à défier les résultats d’une élection dans laquelle il a perdu par un nombre considérable de votes est poursuivi pour quelque chose qui n’est pas du tout un crime.
Comme nous l’avons écrit l’année dernière :
payer quelqu’un pour qu’il garde le silence sur une relation sexuelle, ou acheter l’histoire de quelqu’un pour ne pas la publier, n’est pas illégal. Il en va de même pour le fait de mentir sur sa conduite personnelle au cours d’une campagne électorale. Si tous les hommes politiques qui ont menti sur de tels sujets étaient poursuivis, les prisons déborderaient.
La criminalisation du comportement sexuel privé est fondamentalement réactionnaire, tout comme les scandales sexuels en général. Ils avilissent la conscience populaire et noient la compréhension politique dans un geyser de sensationnalisme et de lubricité. Le recours à de telles allégations implique toujours un effort pour dissimuler aux masses les véritables désaccords politiques au sein de l’élite dirigeante.
En ce qui concerne la question des pots-de-vin, il est bien connu que le président démocrate Bill Clinton a proposé de payer 700.000 dollars à Paula Jones pour régler son procès concernant ses allégations de comportement inapproprié. Dans ce cas, des avocats républicains de droite ont incité Paula Jones à refuser l’argent afin d’organiser le piège du parjure qui a conduit à la destitution de Bill Clinton. Dans le cas présent, un procureur démocrate utilise des méthodes tout aussi sournoises. Il n’y a rien de progressiste ou de démocratique dans un tel cynisme politique.
Le WSWS et le PES s’opposent de manière intransigeante à la politique de Trump et de ses adversaires démocrates. Nous avons constamment mis en garde contre la transformation fasciste du Parti républicain, alors même que Biden et les démocrates continuent d’implorer leurs «collègues» républicains de se joindre à eux dans une politique bipartisane de militarisme à l’étranger et d’austérité à l’intérieur du pays.
Nous ne cédons pas la défense de la démocratie à «Joe le génocidaire» et aux démocrates : le parti de Wall Street et de l’appareil de renseignement militaire. La seule méthode efficace pour combattre la menace du fascisme incarnée par Trump est la mobilisation de la classe ouvrière, à travers le développement de la lutte des classes, et l’organisation politique des travailleurs en tant que force indépendante, contre les deux partis du grand capital.
(Article paru en anglais le 16 avril 2024)