Une universitaire arrêtée pour «déclarations contre le sionisme» alors qu’Israël intensifie sa répression contre l’opposition au génocide

Ce mois-ci, la police israélienne a arrêté et détenu pour interrogatoire la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian, éminente universitaire palestinienne, pour des commentaires faits sur un podcast quelques semaines plus tôt. Shalhoub-Kevorkian est titulaire d’une chaire de droit à l’université hébraïque de Jérusalem et d’une autre à l’université Queen Mary de Londres.

La police a déclaré: «La détenue est soupçonnée d’incitation grave contre l’État d’Israël et d’avoir fait des déclarations contre le sionisme et même affirmé qu’Israël commet actuellement un génocide dans la bande de Gaza». Elle a ajouté avoir trouvé chez elle des affiches et des photos représentant les soldats des Forces de défense israéliennes (FDI) comme une armée d’occupation.

Professeur Nadera Shalhoub-Kevorkian [Photo: screenshot: https://scholarsagainstwar.org]

La liberté d’expression politique dans le cadre du conflit israélo-palestinien a toujours été limitée et les citoyens palestiniens d’Israël qui ont publiquement critiqué la guerre à Gaza ont été détenus à de nombreuses reprises. Mais c’est la première fois qu’une universitaire est prise pour cible en raison de son opposition au sionisme, de la possession d’affiches contre l’occupation et d’allégations de génocide israélien à Gaza — des déclarations qui ne constituent pas une «menace pour la sécurité», et encore moins une «incitation» à la violence, à la terreur ou au racisme. Étant donné que le bureau du procureur général doit approuver toutes les poursuites liées à la liberté d’expression, la détention de Shalhoub-Kevorkian a été approuvée non seulement par la police, mais par les sommets mêmes du gouvernement.

Sa détention fait partie d’une répression plus large de la dissidence et d’un ciblage général des critiques d’Israël par le régime fasciste du Premier ministre Benjamin Nétanyahou, qui vise à intimider et à réduire au silence des citoyens palestiniens d’Israël représentant 20 pour cent de la population. L’objectif stratégique de Nétanyahou, annexer les territoires palestiniens illégalement occupé depuis la guerre israélo-arabe de 1967 et d’établir un régime ethno-religieux entre le Jourdain et la Méditerranée, signifie que la «seule démocratie du Moyen-Orient» élimine jusqu’à la façade démocratique délabrée de l’État israélien.

La police a confisqué des livres et des affiches au domicile de Shalhoub-Kevorkian et l’a longuement interrogée sur ses travaux universitaires, y compris sur des articles publiés il y a plusieurs années, alors que les écrits universitaires bénéficient d’une protection juridique particulière en Israël. Âgée d’une soixantaine d’années, elle a été fouillée nue, menottée si étroitement qu’elle en ait mal, privée d’accès à la nourriture, à l’eau et aux médicaments pendant plusieurs heures, et détenue pendant la nuit dans une cellule froide sans vêtements ni couvertures adéquats, des conditions que ses avocats ont qualifiées de «terribles» et destinées à l’humilier. Bien qu’elle ait été libérée sous caution le lendemain, après qu’un magistrat et un juge du tribunal de district eurent tous deux estimé qu’elle ne représentait pas une menace, elle a été convoquée quelques jours plus tard pour un nouvel interrogatoire.

Son avocat, Hassan Jabareen, directeur de l’organisation de défense des droits de l’homme Adalah, a déclaré: «Ce cas est unique. Il ne s’agit pas seulement d’une professeure; il pourrait s’agir d’un précédent pour tout universitaire qui irait à l’encontre du consensus en temps de guerre. Comme il l’a expliqué, «ils auraient pu lui demander de venir au poste de police pendant deux ou trois heures pour discuter et enquêter. Procéder à l’arrestation de cette manière, comme s’il s’agissait d’une personne dangereuse, montre que l’objectif principal était de l’humilier. C’était illégal, c’est pourquoi le tribunal de première instance a accepté mon argument qu’elle devait être libérée et le tribunal de district l’a confirmé».

Son arrestation fait suite à des mois d’attaques politiques orchestrées par l’université hébraïque, qui aime à se présenter comme un modèle de libéralisme et d’inclusion, dans la perspective de sa détention. Le recteur l’avait invitée à démissionner fin 2023 après qu’elle eut signé une lettre appelant à un cessez-le-feu à Gaza et qualifiant la campagne israélienne de génocide, et elle avait été brièvement suspendue à la suite d’un podcast dans lequel elle discutait des événements tragiques du 7 octobre et de la destruction, de la mort et de la famine qui s’ensuivirent à Gaza. Il s’était opposé à ce qu’elle appelle à l’abolition du sionisme et mette en doute certains aspects de l’attaque du 7 octobre, en particulier les informations faisant état d’agressions sexuelles.

Plus de 100 universitaires de l’Université hébraïque ont publié une lettre ouverte soutenant Shalhoub-Kevorkian, critiquant l’université pour ne pas l’avoir soutenue: «Indépendamment du contenu des paroles de Nadera, de leur interprétation et des opinions qu’elle a exprimées, il est clair pour tout le monde qu’il s’agit d’une arrestation politique, dont l’objectif est de bâillonner les bouches et de limiter la liberté d’expression. Aujourd’hui, c’est Nadera qui se trouve sur le banc des accusés, et demain, c’est chacun d’entre nous».

L’université de Queen Mary à Londres n’a pas condamné l’arrestation, mais plus de 250 universitaires ont publié une lettre ouverte soutenant Shalhoub-Kervorkian, appelant l’université à la soutenir et condamnant l’attaque portée contre la liberté universitaire en Israël.

L’arrestation de Shalhoub-Kevorkian fait suite à l’arrestation et à la détention de centaines de citoyens palestiniens d’Israël pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages ou des commentaires condamnant la guerre génocidaire menée par Israël. D’autres ont perdu leur emploi ou leur accès à l’éducation. Plus de 160 étudiants d’université, pour la plupart des Israéliens palestiniens, ont été renvoyés devant des comités disciplinaires, accusés de soutenir la terreur, de soutenir des organisations terroristes ou d’inciter au terrorisme. D’autres ont été victimes d’injures et de menaces de violence, confrontés aux chants «Mort aux Arabes» d’étudiants juifs extrémistes, parfois avec la coopération des syndicats étudiants et des administrations universitaires.

En octobre, la professeure Nurit Peled-Elhanan, chargée de cours dans une université de Jérusalem, a été suspendue et menacée de licenciement pour avoir réagi dans un groupe WhatsApp de la faculté en évoquant le contexte de l’attentat du 7 octobre. Bien qu’elle ait été autorisée à conserver son emploi après une sévère réprimande, d’autres professeurs d’université dans différents établissements ont également été convoqués à des audiences. Une directive du ministère de l’Éducation a exigé des universités qu’elles suspendent immédiatement tout étudiant ou employé s’exprimant d’une manière qui constitue un «soutien au terrorisme» ou un «soutien à l’ennemi», tandis que des groupes d’extrême droite scrutent les réseaux sociaux et servent d’indicateurs aux universités.

Netanyahou a donné à ses ministres d’extrême droite toute latitude pour réduire au silence ce qui reste de la gauche israélienne, ainsi que les groupes de défense des droits de l’homme, les organisations pacifistes et les citoyens palestiniens, et pour introduire des mesures visant à les éliminer, notamment en interdisant les appels au boycott des produits issus des colonies, en déclarant «organisations terroristes» six des ONG palestiniennes les plus importantes et en interdisant la commémoration de la Nakba.

Depuis octobre, le législateur Simcha Rothman, qui préside la commission constitutionnelle de la Knesset, a fait pression pour restreindre la liberté d’expression au nom de la «lutte contre l’incitation au terrorisme». Il a demandé à la police et au ministère public de lâcher les freins et de permettre davantage d’enquêtes, arrestations et délégitimations des détracteurs de la guerre et des partisans de la paix. Il a convoqué le procureur adjoint Alon Altman, à une séance de la commission et l’a réprimandé pour avoir «interféré» dans des affaires et des enquêtes sur des crimes d’incitation au terrorisme.

Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir, ancien partisan du parti raciste interdit Kach et condamné pour racisme, a mis en place un groupe de travail chargé de surveiller l’incitation palestinienne présumée au terrorisme sur l’internet. Lui et ses collègues ministres, fonctionnaires, généraux à la retraite et des journalistes appellent régulièrement les forces de défense israéliennes à «effacer Gaza de la carte» ou à perpétrer une «seconde Nakba» en toute impunité.

Vendredi, la police a fait une descente dans les bureaux du parti Hadash, majoritairement palestinien, et du Parti communiste d’Israël à Nazareth, la veille d’une marche prévue pour s’opposer à la guerre, et a arrêté deux militants qui préparaient des affiches et des drapeaux. Cette opération fait suite à une descente de police similaire dans les locaux de la branche du Hadash à Nazareth en novembre, qui visait à empêcher un rassemblement anti-guerre.

Une horde d’extrême droite a attaqué le domicile d’Israël Frey, journaliste et militant de gauche, pour avoir exprimé sa tristesse face aux victimes israéliennes du 7 octobre et aux milliers de civils innocents, de femmes et d’enfants tués à Gaza, obligeant Frey à fuir son domicile et à se cacher. Frey a déclaré que les policiers lui avaient craché dessus et l’avaient agressé physiquement, l’accusant de «soutenir le Hamas» alors qu’ils l’escortaient hors de chez lui.

La police a pris l’habitude de diffuser des photographies montrant des détenus palestiniens, soupçonnés ou accusés d’avoir protesté contre Israël ou la guerre, les mains attachées et sur fond d’un immense drapeau israélien, dans le but de les humilier. Les autorités ont interdit les manifestations de solidarité avec les Palestiniens de Gaza, dispersé violemment des rassemblements à Haïfa, Jérusalem, Umm al-Fahm et ailleurs, et arrêté des dizaines de manifestants.

Les médias israéliens sont soumis à la censure militaire et ne parlent que très peu des 34.000 Palestiniens tués, des 10.000 disparus présumés ensevelis sous les décombres ou les 1,7 million de sans-abri que la guerre a laissés derrière elle. Ils se concentrent presque exclusivement sur l’attaque du 7 octobre et alimentent un sentiment de crise existentielle et de traumatisme national. L’armée israélienne a tué au moins 175 journalistes qui couvraient et filmaient les atrocités commises à Gaza. Au début du mois, la Knesset a adopté la ‘loi Al Jazeera’, qui donne au gouvernement le pouvoir temporaire d’empêcher un réseau d’information étranger d’opérer en Israël si les agences de sécurité le jugent «nuisible à la sécurité nationale».

(Article paru en anglais le 1er mai 2024)

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