Festival de Cannes 2024: #MeToo déploie ses couleurs réactionnaires

La chasse aux sorcières contre l’inconduite sexuelle est déjà responsable de bien des effets néfastes. Objectivement parlant cependant, l'activité du milieu #MeToo au Festival de Cannes de cette année, qui s’est terminé samedi, représente son activité la plus pernicieuse à ce jour.

Face aux massacres à Gaza et à la guerre mondiale qui menace et alors que le gouvernement français joue un rôle de premier plan dans l'escalade du conflit en Ukraine, les militants #MeToo ont affiché leur indifférence à l'égard de la souffrance de masse et l’obsession permanente pour leurs propres intérêts mesquins et égoïstes. Consciemment ou non, ils ont aidé les élites dirigeantes françaises et occidentales à «changer de sujet» et à passer du génocide israélien et du danger de guerre nucléaire aux préoccupations d’une classe moyenne supérieure satisfaite et aisée.

L'opération a été lancée avant le début du festival, le 14 mai. Divers gros titres suggéraient que l'événement de cette année serait dominé par une «nouvelle vague d'allégations d’abus lancée par #MeToo». Le Guardian a déclaré avec enthousiasme à ses lecteurs dans un titre du 11 mai qu'une «liste secrète ‘explosive’ d'agresseurs» était en passe «d’éclipser la grande semaine des femmes au festival de Cannes». Un «nuage noir menace», a prévenu (c’est-à-dire s’est réjoui) le Guardian: «On s’attend à ce que de nouvelles allégations d’abus envers les femmes dans l’industrie européenne du divertissement soient rendues publiques.»

La réalisatrice «Me Too», Judith Godrèche, au centre, pose mains sur la bouche au 77e festival international du film à Cannes, le mercredi 15 mai 2024. [AP Photo/ Andreea Alexandru]

L'article semi-hystérique faisait référence à des «rumeurs» largement répandues concernant cette liste secrète, comprenant les noms «d'acteurs et de réalisateurs de premier plan qui ont abusé des femmes. Les noms […] auraient été envoyés de manière anonyme au Centre national du cinéma de Paris, ainsi qu’à d’autres grandes sociétés de financement du cinéma en France ». Par ailleurs, en préparation de l’éclatement de cette tempête apparemment dévastatrice, «les organisateurs du festival ont mis en place une équipe de gestion de crise pour répondre aux accusations. Il serait peut-être question d’exclure des films du calendrier des projections s’ils sont liés à des noms impliqués ».

Le Monde, premier journal bourgeois français, publia le 13 mai un article allant dans le même sens intitulé: «Cannes 2024, une édition sous le signe du #metoo du cinéma français ». Le journal introduit ainsi son article : « Le Festival, dont le coup d’envoi est donné mardi, démarre dans un climat de libération de la parole sur la question des violences sexuelles dans le septième art. »

En l’occurrence, la tant vantée «liste des agresseurs» n’est jamais apparue et la présence de #MeToo au 77e festival a été discrète et largement centrée autour de la projection d’un film de 17 minutes, Moi Aussi réalisé par l’actrice française Judith Godrèche, qui s'est positionnée à la tête de cette campagne réactionnaire.

Selon Le Monde, « Le film rend visibles plusieurs centaines de ces témoins, des femmes mais aussi des hommes. Judith Godrèche les filme comme un corps collectif, silhouettes serrées et emmitouflées sur une avenue parisienne, tandis qu’une voix off égrène, sans s’attarder, les traumatismes subis par les unes et les autres. »

«Tout à coup, devant moi une foule de victimes, une réalité qui représente la France aussi, tant ces récits surgissent de toutes les origines sociales, de toutes les générations, confie Judith Godrèche. S’est alors posée la question de ce que j’allais en faire. Qu’est-ce qu’on fait quand on est submergée par ce qu’on entend, par la quantité de témoignages?»

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En février, Godrèche avait déposé plainte contre les cinéastes Benoît Jacquot pour «viol sur mineur» et Jacques Doillon pour «abus sexuels». Les deux plaintes font référence à des événements qui se seraient produits il y a 35 ans ou plus. Selon The Guardian, Jacquot «nie avoir commis aucune infraction et a déclaré qu'il était 'sous son charme'. Elle affirme que Doillon, 80 ans, l'a forcée à participer à une scène de sexe gratuite dans son film La Fille de 15 ans de 1989. Il dit qu’elle a accepté de participer à la scène, dans laquelle il a également joué, et il nie tout viol ou agression ».

Godrèche «a donné suite à ses accusations un mois plus tard avec un discours lors de la très médiatisée cérémonie des César en France, dans lequel elle a affirmé que l'industrie cinématographique avait servi de couverture pour exploiter des acteurs mineurs ».

Faisant sa propre publicité, l’égocentrique Godrèche a créé une tempête médiatique autour d'une multitude d’affirmations et d’allégations vagues. Le seul bénéficiaire de ses bêtises à Cannes a été le gouvernement français et ses alliés de Washington et Tel-Aviv.

Il convient de rappeler qu'il y a deux ans, le festival de Cannes fut dominé par une propagande cherchant à justifier la guerre menée par l'OTAN contre la Russie. Le festival 2022 débuta par un discours sur grand écran du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui affirma que dans la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN l'armée ukrainienne se battait pour le cinéma et les arts. Lors d'une première de gala l'année dernière, le public du festival a été accueilli par le spectacle d'une manifestante couverte de faux sang et vêtue des couleurs bleu et jaune du drapeau ukrainien.

Après la mort de centaines de milliers de soldats ukrainiens et russes au cours des deux dernières années, le traitement de la guerre au festival de cette année a été discret et largement limité à la projection d'un nouveau film du réalisateur ukrainien de droite Sergueï Loznitsa .

Dans ce contexte généralement répugnant, un certain nombre de cinéastes palestiniens courageux ont cherché à attirer l’attention sur le sort de la population de Gaza soumise à l’assaut meurtrier israélien. La Palestine, non reconnue par la France en tant qu'État, n'avait aucun statut officiel au festival, mais était autorisée à arborer son drapeau et à partager l'espace du pavillon algérien à Cannes.

Ayant échoué à obtenir une reconnaissance officielle pour son projet Ground Zero, le cinéaste palestinien chevronné Rashid Masharawi (article en anglais) a installé une tente sur la plage de Cannes où il a projeté une vingtaine de courts métrages réalisés récemment à Gaza par différents cinéastes.

Selon la journaliste de l'AFP Alice Hackman, ces films racontent «le bombardement israélien de Gaza et le désastre humanitaire qui a suivi du point de vue des civils sur le terrain».

Dans un de ces films, une mère déplacée par le conflit plonge sa fille dans un grand seau blanc et, avec une cafetière propre, lui verse doucement de l’eau pour la baigner. Dans une autre, un homme raconte son calvaire de 24 heures sous les décombres après l’effondrement du bâtiment où il se trouvait.

Masharawi, écrit l'AFP, «a dirigé les 20 équipes à Gaza depuis l'étranger – un processus qu'il a décrit comme «très, très, très difficile». « Parfois on attendait une semaine à dix jours pour pouvoir contacter quelqu’un, ou juste pour qu’il trouve une connexion Internet pour télécharger » a déclaré Masharawi, qui est né à Gaza.

To a Land Unknown (Vers une terre inconnue)

To a Land Unknown de Mahdi Fleifel était le seul film palestinien projeté au Festival de Cannes cette année. Il s'agit du premier long métrage de fiction de Fleifel. Il est connu pour ses films documentaires captivants, notamment A World Not Ours (2012), A Man Returned (2016), A Drowning Man (2017) et 3 Logical Exits (2020). Son nouveau film est un traitement fictif du sort des Palestiniens qui fuient un camp de réfugiés au Liban pour se retrouver bloqués et désespérés à Athènes, le sujet de certaines de ses premières œuvres non-fictionnelles.

Selon France 24, « Après la première du long métrage, les acteurs principaux, Mahmood Bakri et Aram Sabbagh, tous deux Palestiniens, ont pris la pose, aux côtés de militantes venues à leur rencontre, arborant fièrement des drapeaux palestiniens. 'Vive la Palestine libre' a scandé l'une d'elles ». 

France 24 reconnaît que les organisateurs du festival «se sont efforcés d'empêcher les manifestations contre la guerre à Gaza d'avoir lieu sur la Croisette, le boulevard balnéaire emblématique de Cannes. Les manifestations traditionnelles sur le tapis rouge du festival ont été relativement modérées par rapport à l'édition de l'année dernière», avec ses extases sur le nationalisme ukrainien et la guerre menée contre la Russie par l'OTAN.

Cate Blanchett pose pour les photographes à son arrivée à l'avant-première du film 'L'Apprenti' au 77e festival international du film de Cannes, le lundi 20 mai 2024. [AP Photo/Daniel Cole]

Le 22 mai, des dizaines de cinéastes et d'acteurs, dont Valérie Donzelli, Lubna Azabal et Laëtitia Eïdo, ont participé à un rassemblement organisé «par le groupe de femmes Guerrières de la Paix pour appeler, ‘d'un seul souffle’, à un cessez-le-feu urgent à Gaza et la libération de tous les otages restants. Elles brandissaient des pancartes exposant leurs revendications en arabe, en hébreu, en français et en anglais.» ( France 24 )

Selon l'Agence presse française, l'actrice australienne Cate Blanchett, « a semblé faire une déclaration de soutien plus subtile aux Palestiniens lundi lorsqu'elle a révélé la doublure verte de sa robe noire et blanche sur le tapis rouge, dans ce qui a été largement interprété comme un hommage ambulant du drapeau palestinien ».

(Article paru en anglais le 25 mai 2024)

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